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LE NUMÉRO FICTION 2009

Tête de sucette

Knob Tyler se prend pour le plus fort, le plus coriace, le plus dur de dur de tous les mauvais garçons de Mill Avenue.

Satan Burger et sa suite, Punk Land. Mais il y a aussi : Le Vagin hanté, Adolf au pays des merveilles et son dernier roman, Le Vampire le plus gay du monde. Allez en lire des extraits sur son site si vous avez envie de pénétrer dans un sous-bois dégueulasse peuplé de créatures absurdes. Knob Tyler se prend pour le plus fort, le plus coriace, le plus dur de dur de tous les mauvais garçons de Mill Avenue. Malheureusement, Knob a une sucette à la place de la tête. Ça gâche un peu son côté mauvais garçon. Et tandis qu’il descend la rue en se pavanant dans son tee-shirt blanc moulax, les épaules trempées de sueur, Knob aime à faire jouer ses pectoraux pour impressionner les nanas. Quand il dit le mot nanas, il a tendance à prononcer nanaz. Mais, allez savoir, lesdites nanaz ne sont jamais impressionnées par ses pectoraux. Elles sont trop repoussées par la bizarrerie de sa tête de sucette pour remarquer ses muscles. La tête de sucette de Knob est de la taille d’une boule de bowling et d’une couleur orange clair. Le goût c’est sensation tropicale, un mélange d’ananas, de mangue et de carambole. Ses minuscules yeux de bonbon, son nez et sa bouche sont regroupés au centre de sa large face toute ronde. Ses sourcils descendent vers le bas comme pour bien montrer que Knob ne plaisante pas avec les choses sérieuses, putain. Souvent, quand le soleil tape dur sur Mill Avenue, Knob a sa tête de sucette qui transpire, remplissant l’air d’arômes tropicaux. Cette odeur attire des mouches qui ne vont plus lâcher sa tête d’une semelle, et qui se tortillent dans ses trous d’oreilles. Knob tente de les chasser, mais pour chaque mouche qu’il parvient à déloger, trois autres prennent sa place. Et ça, c’est pas génial pour draguer les nanaz. L’autre truc qu’est pas génial non plus pour draguer, c’est le gang de chauffeurs routiers barbus qui le suit partout en essayant de lui lécher la tête. Pas facile de draguer les nanaz avec des chauffeurs routiers au cul, en train de vous lécher la tête. Mais il faut comprendre une chose, c’est que les routiers sont vraiment dingues des sucettes au goût sensation tropicale. Ils sont accros. Sucer une sucette sensation tropicale jusqu’au petit bâton gluant, au volant d’un 15 tonnes, sur l’autoroute, en écoutant « Kansas City Lights », c’est un truc qui les fait se sentir en paix avec l’univers. Mais maintenant que le goût sensation tropicale a été arrêté par les fabricants de sucettes, c’est un truc qu’ils ne peuvent plus faire. La seule façon de se fournir leur dose tropicale, c’est d’aller sur Mill Avenue, et de se faufiler derrière Knob Tyler pour lécher l’arrière de sa tête de bonbon. Et pourtant, même cette ressource s’épuise, menaçant à terme la satisfaction de leurs besoins de sensation tropicale. Une sucette ne peut être léchée infiniment. Knob ne s’est pas encore rendu compte de la différence en faisant ses exercices devant le miroir chaque matin. Il est bien trop occupé à surveiller le développement de ses muscles pour remarquer la diminution de sa tête. Mais les chauffeurs routiers, eux, ont bien remarqué la différence de taille, dernièrement. Et la pensée que sa tête puisse bientôt se réduire à rien du tout fait courir une vague de panique dans la communauté. Knob est un amateur de fromage. Aujourd’hui, il participe à une dégustation à la fromagerie à la mode de Mill Avenue. Il tient un petit morceau de fromage de raclette au poivre sur un cure-dents, il en grignote les bords du bout de ses lèvres orange toutes collantes. La boutique est remplie d’amateurs de fromage, réunis pour cette dégustation hebdomadaire. Knob se pavane parmi des hommes à bouc en tenue de bureau grise savamment décontractée, il les évalue, et puis il passe son chemin. Knob sait bien qu’il est le dégustateur le plus musclé de la pièce. Il se dit que cela devrait lui donner un avantage face à la concurrence pour draguer les nanaz. Alors qu’il passe la fromagerie au radar, Knob se rend compte que la plupart des femmes présentes sont accompagnées d’autres types. Mais cela ne l’empêche pas de flirter, de loin. Il s’approche d’une femme en pull col roulé qui discute avec une crevette à bouc. Se tenant au-dessus de l’épaule de l’homme, Knob fait jouer un seul de ses pectoraux en direction de la femme, comme s’il lui posait une question. La femme est bien consciente de la présence de Knob, mais elle ne le regarde pas dans les yeux, aussi joue-t-il de ses muscles un peu plus, et encore un peu plus. La femme ne lui accorde toujours pas un regard. C’est à cause de la règle absurde de la fromagerie : pas de chemise, pas de service. Knob sait bien qu’elle serait bien plus impressionnée s’il ne portait pas de chemise. Knob se sert un verre de nebiollo et goûte un morceau de piave vecchio. Il sourit et hoche la tête d’un air approbateur. « Ce fromage est vraiment bon », dit-il à une femme qui donne le sein à un bébé qu’elle porte en écharpe. Puis, il laisse son regard tomber sur le sein nu et lève un sourcil de bonbon. La femme couvre la tête du bébé et s’éloigne. Knob hausse les épaules et continue sa route. Après cinq échecs supplémentaires, Knob décide de se concentrer sur le fromage. Il goûte une très vieille mimolette, dont il apprend qu’elle s’accompagne à merveille d’un zinfandel ou d’un syrah. Ensuite, il essaie l’emmental, qui dégage des notes de fleurs, de raisin et de feu de bois. « Il faut absolument que vous goûtiez le banon », lui glisse une voix derrière lui. Knob se retourne et découvre une femme blonde aux cheveux courts, lunettes carrées et casquette de baseball. Il la reconnaît pour l’avoir déjà croisée lors d’une précédente dégustation. Elle fait partie de ces quelques habituées avec lesquelles il n’a pas encore eu l’occasion de tenter sa chance, parce qu’elle passe son temps à regarder des vieux épisodes de Flash Gordon sur son iPod et semble toujours indifférente à son environnement. Il l’a matée, bien sûr, et il la trouve carrément canon, même si elle a la poitrine un peu petite à son goût. « Il est vieilli dans une feuille de noisetier », dit-elle en mordant dans un cracker nature. Knob jette un œil derrière lui, au cas où elle s’adresserait à quelqu’un d’autre. Mais non. Il soulève une épaule et tend langoureusement ses pectoraux. « Goûte », dit-elle, en lui mettant son fromage sous le nez. Knob ouvre la bouche. Elle lâche le fromage. Il mâche, il avale. « C’est bon, dit-il, la gorge irritée par les miettes de cracker. - Je te vois tout le temps ici. Tu aimes vraiment le fromage ? » Il hoche sa tête de sucette. « Moi, j’adore le fromage, elle dit. - Ouais, moi aussi », il dit, tandis que ses pectoraux dansent pour elle. Ils se retournent vers le buffet. Et Knob en profite pour reluquer la fille pendant qu’elle examine les fromages. Sa jupe violette s’agite autour de ses hanches tandis qu’elle étale un brie de Nangis sur une tranche de pain croustillant. Il se penche pour mieux la voir de devant, quand quelque chose humidifie l’arrière de sa tête. Knob se retourne. Et découvre là un chauffeur poids lourd costaud, tatoué, bedonnant, qui tient un morceau de port-salut sur un cure-dents. Knob le fusille du regard. « Quoi ? », dit le routier en passant sa langue sur ses lèvres à travers une barbe dure et grisonnante. Knob reporte son attention sur la fille. C’est vraiment le pire moment pour se faire lécher la tête par un chauffeur routier. « Je m’appelle Alisa », dit la fille en attrapant sa main pour la lui serrer. Knob passe sa main libre sur l’endroit humide de sa tête et en retire quelques poils gris et bouclés. « Knob Tyler », répond-il en s’inclinant légèrement vers elle. En se penchant, Knob sent deux autres coups de langue sur sa tête. Il y a deux autres routiers derrière lui. Ces deux-là sont encore plus gros et plus poilus que le premier. Ils lui sourient, levant leurs verres de vin et mâchouillant du fromage. Knob évalue les routiers. Les routiers évaluent Knob. Avant qu’ils n’essaient de le provoquer, Knob se tourne à nouveau vers Alisa. Il ne sait pas si elle a vu les routiers lui lécher la tête, aussi décide-t-il de la jouer cool. « Goûte ce stilton », dit Alisa en lui présentant un autre morceau de fromage. Knob ouvre la bouche. Alors qu’il mord dans le cube, il sent deux grandes langues lui laper carrément l’arrière de la tête. Elles se pressent contre son scalp en bonbon comme de gros serpents poisseux. Et pendant que les routiers lui lèchent la tête, Knob fait comme si de rien n’était. C’est la première fois depuis super longtemps qu’il a une vraie chance de concrétiser, pas question de tout gâcher. Il mâche le fromage, approuve les saveurs, alors que les routiers barbus lui bavent dessus. « Il a un goût de gingembre, dit-il, hérissé par la sensation des poils qui lui caressent la nuque. - Ouais, de mangue et de gingembre », renchérit Alisa. Knob ne sait pas comment Alisa n’a pas encore remarqué les routiers. Il continue à la jouer cool, en priant pour que ses pectoraux dansants l’aient hypnotisée. En revanche, plein d’autres dégustateurs de fromages ont bien vu les routiers lécheurs, et se détournent désormais poliment de lui. Knob fait jouer ses muscles aussi intensément qu’il le peut, pour leur prouver qu’il n’est pas homo, peu importe le nombre de routiers qui lui lèchent la tête. « La dernière fois, ils avaient un gouda de cinq ans d’âge qui était vraiment bon », dit-il, alors qu’un liquide tiède lui coule dans l’oreille droite. Discrètement, Knob se soustrait aux langues en forme de ver et se glisse de l’autre côté d’Alisa. « Oh oui, oui, il était génial, dit-elle en papillonnant de ses yeux bleus. Génial. J’en ai même acheté pour chez moi. » Knob sent un nouveau coup de langue et il se retourne. Le nombre de clients dans la fromagerie a soudainement doublé. Plus de la moitié sont des gros routiers qui ont échappé au radar de Knob, comme des ninjas obèses dégoûtants. Ils se sont déployés dans toute la boutique, se mélangeant parmi les amateurs de fromages. Knob les voit bien qui le reluquent depuis l’autre côté de la pièce, lui envoyant des clins d’œil entre deux gorgées de chardonnay. « Ils ont toujours les meilleurs fromages ici, dit Alisa, les plus intéressants. » Quand elle se retourne pour se resservir du vin, une douzaine de routiers se met à charger la tête de Knob par-derrière. Ils l’attrapent par les épaules et lèchent de toutes leurs forces à tour de rôle. Knob se tend comme s’il venait de sauter dans une douche glacée. Il parvient à conserver une posture virile tandis qu’il se fait gang-lécher par les routiers, pour qu’aucune des nanaz qui regardent ne puisse penser qu’il est gay. Les routiers s’arrêtent quand Alisa se retourne vers Knob. Elle remarque que sa tête orange est trempée et que ses muscles sont tout tendus. « Qu’est-ce qui t’arrive ? », elle demande. Knob lisse sa tête de sucette, recueillant une masse de bave orange. Alisa examine son crâne. « Qu’est-ce que c’est que ça ? », demande-t-elle en passant son doigt sur un point mou de la sucette. Knob passe à son tour sa main sur la zone qu’elle a essuyée du doigt. Il y a une grosseur. « On dirait de… l’os », dit-elle. Knob le sent bien. Sa tête de sucette a tellement été léchée que l’os est à nu. « C’est ton crâne, dit-elle. On voit ton crâne. » Les routiers remarquent la grosseur blanche qui sort du sucre orange, comme le tootsie d’un Tootsie Roll Pop à moitié mangé. Ils baissent la tête, honteux. Knob passe frénétiquement son doigt sur sa tête, essayant d’évaluer les dégâts. Les autres amateurs de fromage grimacent à ce spectacle. « Il faut qu’on t’emmène à l’hôpital », dit Alisa. Elle l’assoit dans un fauteuil. Quand sa tête passe à son niveau, elle capture un arôme d’ananas, de mangue et de carambole. « Cette odeur… » Soudain, elle oublie complètement l’hôpital et se perd dans la fragrance. Puis, elle se met à lui lécher la tête. « Est-ce que c’est… ? elle lèche encore. Sensation tropicale ? » Avant que Knob ne puisse lui demander ce qu’elle fabrique, Alisa donne quelques coups de langue supplémentaires et puis elle mord dans son crâne, attaquant l’os. « Je suis désolée, dit-elle en essuyant une trace de sauce orange sur ses lèvres. J’ai jamais pu m’empêcher de croquer. » Tout le monde dans la boutique est paralysé. Les yuppies, comme les routiers, ont les yeux fixés sur Knob et Alisa, la bouche ouverte, horrifiés par la tête de sucette ouverte de Knob. À la différence de sa tête, le cerveau de Knob ressemble à n’importe quel cerveau, sauf qu’il transpire un fluide d’une couleur acajou foncé qui évoque un vieux porto. Le goût de ce jus de cerveau se mélange à l’arôme tropical dans la bouche d’Alisa. Son regard se perd dans le vague tandis qu’elle baigne son palais du liquide acajou. Ensuite, elle avale lentement et elle sourit. Les pectoraux de Knob se recroquevillent vers ses aisselles. Il ignore la douleur de son mieux pour que personne ne le prenne pour une lavette. Mais les gens ne font plus du tout attention à Knob. Leurs yeux sont fixés sur Alisa. « Waouh, elle dit. C’est encore meilleur à l’intérieur ! » Alisa donne un nouveau coup de langue sur le cerveau de Knob, plus lentement, comme pour vraiment bien goûter. Elle savoure le fluide, explorant ses complexités. Elle explique au public ce qu’elle ressent : « Ça a un goût de noix… mais sucréIl y a des notes de vanille… de raisin… de tabac… de framboise… » Et puis elle pique un morceau de fromage avec un cure-dents et le met dans sa bouche. Elle lève les yeux au ciel dans un élan de félicité euphorique : « Et c’est juste extraordinaire avec ce stilton. » Knob fixe cette folle avec ahurissement, se demande quel est son problème, mais les autres amateurs de fromage semblent désormais plus curieux que choqués. «