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LE NUMÉRO TECHNOLOGIE

Circuit électrique

À bien considérer le monde qui m’entoure, je me demande ce qu’on branlerait sans la technologie. Il existe certainement un univers parallèle au nôtre rempli d’elfes...

Les gluons en vrac de Black Dice, la petite miction dans la prairie des T.I.T.S., la chromodynamique quantique selon Emeralds et le logo de No Fun Fest 2009

À bien considérer le monde qui m’entoure, je me demande ce qu’on branlerait sans la technologie. Il existe certainement un univers parallèle au nôtre rempli d’elfes, de trolls sautillants qui font de la musique avec des cailloux et de druides qui vivent au fin fond d’une forêt entourés de grimoires écrits en runes, avec des fées Clochette accrochées au derche. Mais, à vrai dire, j’ai autant envie de le connaître que d’aller à un fest-noz indépendantiste dans la Bretagne profonde ou de participer à un jeu de rôles du fan-club de Star Wars. Vu les progrès stupéfiants de la science et de la physique quantique, ce serait plutôt des mondes comme ceux de Videodrome ou d’Existenz (Cronenberg, you know?) qui nous pendent au nez, entre la paranoïa croissante liée à la dissémination incontrôlable des nanotechnologies, l’accélération de l’intelligence artificielle à côté de laquelle on passera pour des petites crottes, le clonage à tout va et les tunnels spatio-temporels qui nous permettront de nous téléporter virtuellement à n’importe quel moment de notre existence… Sans compter le risque que le monde soit englouti par un trou noir généré par le Grand collisionneur de hadrons. L’espace-temps sera bientôt malléable à volonté, ce qui provoquera une démultiplication des possibles, et on sera pas dans la merde quand on aura la capacité de zapper dans le temps à notre guise. Ricane si tu veux, mais tout ce barnum technologique, qu’on le veuille ou non, dépasse de loin nos capacités de résistance, on ne peut pas le contrer (ça servirait à quoi d’ailleurs ? Tu as envie, toi, de retourner à l’état sauvage comme un vieux babos ?) mais il est nécessaire de s’adapter, c’est à la fois notre Main Armée et notre Troisième Œil, et ce n’est ni Thomas Edison ni Oswald Spengler qui m’auraient contredit. Et qu’on arrête de nous faire croire que la musique du futur sera induite par je ne sais quelle vibration télépathique d’infrabasse ou produite avec des gadgets à la con comme le Tenori-on, alors qu’on est en passe de devenir des archéologues du passé : 78 tours oubliés, cassettes audio, synthétiseurs analogiques et magnétos à bande possèdent désormais une véritable singularité en comparaison de la norme high-tech. Si tu écoutes le dernier Black Dice par exemple, c’est un peu un avant-goût du genre de boxon qui nous attend quand on aura assimilé dans un implant microscopique tout ce que l’homme a engendré comme détritus pop depuis la nuit des temps pour les restructurer en une sorte de techno-noise incantatoire en phase digestive, avec plein de petits bouts de sons hachés menu, des voix qui dérapent et des samples absurdes, entre psychédélisme sidérurgique et oscillations subhawaïennes. Un album bizarro-génial qui lorgne à la fois du côté de Chrome, de Throbbing Gristle et des Boredoms, même si au final ça sonne plutôt comme un régiment de poules mutantes qui caquettent dans un vocoder modifié sur un bateau en train de chavirer. Je me demandais quelle musique pouvait produire une formation de San Francisco nommée N.I.C.H.O.N.S., et j’avoue que je craignais un peu d’avoir affaire à un ignoble réchauffé d’electroclash, versant RiotGrrrl-goudou-camionneuse en marcel dont le tour de bras fait au moins quatre fois celui de tes jambes. Révision de jugement après écoute de l’excellent album Second Base, les quatre élégantes sorcières de T.I.T.S. ont un goût prononcé pour la sauvagerie doom-metal, les divinités égyptiennes et la no wave la plus tribale. Pas le genre à aller faire son shopping chez Colette, quoi. Et question technologie, c’est plutôt huile de vidange et circuits rouillés. De plus, tu peux t’amuser à décliner le sens de leurs initiales : Trousers Inside Tartare Sauce, Technicolor Inner Troll Syndrome, Torture Island Truth Safety… Si tu n’as pas envie d’aller choper l’album après ça, c’est que tu es irrécupérable. Quant au dernier LP d’Emeralds, sorti sur No Fun, et que mes confrères ont déjà encensé entre ces pages, tout le monde devrait s’y plonger illico, on éviterait sûrement les désagréments d’un débat inutile sur le déficit de la Sécurité sociale, le scandale du Plan épargne retraite et la nouvelle coupe de Tania au Grand Journal. Leurs sessions d’impro aux synthés s’apparentent à la découverte d’une nef paradisiaque plongée dans un brouillard phosphorescent où s’égosillent des piafs d’un autre monde, au détour d’une ruelle obscure. Si l’on pénètre sous sa surface bleutée et étrangement paisible, comme l’héroïne de Suspiria, on tombe sur un désert aux reflets rouges et mauves où résonnent des clusters électroniques coagulés dans un enchevêtrement de drones et de bleeps qui tourbillonnent dans l’oreille interne, basculant sans crier gare dans un trip post-hardcore entre Slint et Big Black (là, je vais encore passer pour un vieux con). What Happened transforme le soleil printanier en lumière noire et fait le vide dans ton habitacle circonscrit par les flux d’information jetable qui te font progressivement oublier l’appel du grand large, des terres vierges et des hautes profondeurs. On a beau avoir le blog le plus fréquenté de la planète, le laptop dernier cri, des montagnes de coke et des poufs à gogo, on se sent minuscule tout à coup, pas vrai ? Hep, au fait, si tu es à New York à la mi-mai, ne loupe sous aucun prétexte No Fun Fest, tu m’en diras des nouvelles. À part Emeralds, donc, on y retrouve la crème de la fratrie noise dont les exactions sonores ont formé le socle de mon existence et bientôt de la tienne, si tu daignes passer le cap : Sonic Youth, Merzbow, Skullflower, Conrad Schnitzler, Prurient, Peter Rehberg, Raglani… Je te rassure, il n’y aura pas que des trentenaires chiants comme la pluie, mais une foule de kids aux idées larges et aux baskets usées qui se jetteront tête la première contre des amplis en hurlant : « Geronimo ! » BLACK DICE – Repo (Paw Tracks)
T.I.T.S. – Second Base (Upset the Rhythm)
EMERALDS – What Happened (No Fun)
NO FUN FEST http://nofunfest.com/2009.html