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Culture

Le jour où Juliette Binoche a dit à Spielberg qu'elle voulait jouer un dinosaure dans « Jurassic Park »

L'actrice nous a parlé de ses débuts dans le septième art et des difficultés d'être une femme dans un milieu un poil macho.

Cet article a été initialement publié sur VICE UK.

Lorsque j'étais plus jeune, j'ai fait un peu de théâtre avec ma mère, qui était dans une troupe. Elle n'a jamais voulu que je devienne actrice, à cause de l'incertitude de ce milieu, des salaires ridicules lorsqu'on débute. Mon père n'était pas au courant de mon projet : il habitait en Amérique du Sud, où il faisait également du théâtre. Mais j'étais certaine que ma passion était plus forte que leurs angoisses. Quand ma mère a su que je voulais devenir actrice quoi qu'il arrive, elle m'a donné le nom et le numéro d'une école de théâtre privée. J'y suis allée à 18 ans, après avoir passé mon bac.

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Je me suis intéressée au milieu du septième art à partir de mes 17 ans, après avoir mis en scène et joué dans une production du Roi se meurt, d'Eugène Ionesco. Celle pièce raconte l'histoire d'un roi qui perd peu à peu de son influence et de son pouvoir, et qui assiste impuissant au délitement de son empire.

Après cette expérience, j'étais certaine de vouloir faire carrière dans le théâtre. Je ne pensais pas jouer dans des films car, même si j'adore le cinéma, je ne venais pas de ce monde. Un jour, j'ai rencontré un directeur de casting via un ami en commun. Il m'a demandé si je voulais être actrice de cinéma, et je lui ai dit que non, seul le théâtre m'intéressait. Là, il a poursuivi et m'a affirmé que je pouvais faire les deux. J'ai donc répondu : « D'accord, dans ce cas, je suis partante. » C'est comme ça que ma carrière a débuté.

C'était compliqué au début, car j'ai fait face à de nombreux problèmes. Je dois d'ailleurs remercier mon petit ami de l'époque, qui m'a hébergée pendant mes premières années d'actrice. Mes parents me soutenaient dans mon projet, mais pas financièrement. J'ai reçu un peu d'argent pour payer mon loyer quand j'avais 18 ans, et ma mère m'a aidée pendant un an environ, mais après ça, j'ai tout fait toute seule. C'est pour ça que mes parents ont été très impressionnés que tout se passe si bien, et que je sois à Cannes à l'âge de 21 ans. Ma mère est venue au festival et, à la fin de la projection, elle m'a demandé : « Comment as-tu réussi à faire tout ça ? » Le désir, la passion : ça vous entraîne. Personne ne peut le comprendre, parfois vous ne le comprenez pas vous-même. C'est quelque chose qui dépasse l'entendement : une ardeur qui doit être matérialisée. J'avais une sorte d'énergie en moi qui avait besoin d'éclater au grand jour.

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Quand j'ai commencé ma carrière au cinéma auprès de Jean-Luc Godard, j'étais pleine d'espoir. Je pensais que Godard allait m'apprendre à jouer et à me dépasser – probablement parce que je sortais tout juste d'une école dans laquelle mon professeur faisait ça. Mais Godard était à l'opposé de tout ça. À l'époque, j'avais l'impression qu'il traversait une période difficile et que différents conflits l'aidaient en quelque sorte à faire son film. Je voulais être l'élève parfaite et boire ses paroles, mais je crois qu'il ne voulait pas que je fasse ça. J'ai appris à ne jamais rien attendre d'un réalisateur : il faut juste venir sur le plateau pour faire son boulot, et c'est tout. C'était excitant, dans un sens : ce n'était en rien une relation sympathique, chaleureuse ou paternelle ; il s'agissait de réfléchir, de ressentir et de créer.

C'est à cette époque que j'ai refusé de jouer dans Jurassic Park, et ça n'a pas été une décision facile. Ce n'est pas tous les jours que Steven Spielberg vous appelle pour jouer dans l'un de ses blockbusters ! J'avais envie de prendre des risques, c'est dans ma nature d'artiste de vouloir découvrir et explorer. En fait, j'ai été extrêmement touchée par l'histoire de Trois couleurs : Bleu. L'une de mes amies venait de perdre son mari et son fils, et j'ai eu envie de faire ce film pour elle. Même si je n'ai jamais connu son fils avant sa mort, je me sentais en quelque sorte liée à lui.

Après, bien entendu, j'aurais adoré travailler avec Spielberg. Qui ne le voudrait pas ? Mais ce qui mmanque parfois dans le cinéma, c'est l'énergie féminine. J'en ai parlé avec lui un jour, et il m'a dit : « Dans mes premiers films, il n'y avait que des femmes, beaucoup de femmes ! » Je ne sais pas de quels films il parlait, mais je pense que c'est un manque généralisé, qui touche tout le monde.

Je me sens toujours mal d'avoir refusé Jurassic Park, mais peut-être qu'on pourra retravailler ensemble plus tard. Quand j'y repense, je me dis que j'ai fait le bon choix, car Trois couleurs : Bleu a été un film très important dans ma carrière. À vrai dire, lorsque j'étais au téléphone avec Steven Spielberg pour parler de Jurassic Park, je lui ai dit : « J'adorerais jouer un dinosaure, tu sais. » Ça l'a fait rire, c'est toujours ça ! Je me sentais mal de refuser, du coup je voulais le faire rire. Mais je ne pense pas qu'il avait vraiment besoin de moi. Tout le monde veut travailler avec lui, il n'a jamais eu à s'en faire.