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Des physiciens luttent contre la cécité grâce à de la pâte à crêpes

Cuisiner des pancakes pourrait nous aider à trouver un meilleur traitement contre le glaucome.

Cachés au sein d'un laboratoire de l'University College de Londres, des ingénieurs sont affairés à préparer le petit-déjeuner. Il n'y a que des pancakes au menu, et la plupart des cuisiniers ont un doctorat en mécanique des fluides. Chaque membre du laboratoire est animé par un but ultime : créer la crêpe parfaite. Nous sommes tous d'accord pour dire que c'est une mission admirable ; cependant, l'obsession des ingénieurs en question a moins à voir avec la préparation d'un petit-déjeuner raffiné qu'avec l'étude de la physique du pancake, qui pourrait faire avancer les connaissances sur la restauration de l'acuité visuelle.

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L'équipe de l'UCL explique son projet en détails dans le dernier numéro de Mathematics TODAY. Il s'agit d'étudier les phénomènes physiques à l'œuvre dans la préparation des crêpes afin d'améliorer les méthodes chirurgicales qui permettent de traiter les glaucomes, un type de maladie oculaire qui peut mener à la perte partielle ou totale de la vision.

Après avoir examiné des recettes de crêpes du monde entier, du ploye canadien aux poffertjes hollandais en passant par les lempeng kelapa malaisiennes, l'équipe s'est employée à observer comment la texture et l'apparence des crêpes variaient en fonction des ingrédients, de la préparation, de la cuisson, etc. Selon eux, la physionomie des crêpes dépend essentiellement de la façon dont l'eau s'échappe de la pâte durant la cuisson, un facteur lui-même influencé par l'épaisseur de la pâte.

Pour arriver à cette conclusion, les ingénieurs ont analysé la variation de deux paramètres sur 14 recettes de crêpes. Ils ont d'abord regardé le « ratio d'aspect » de la crêpe (le rapport entre son diamètre et le volume de la pâte) puis le « pourcentage du boulanger » (le ratio liquide / farine, qui détermine l'épaisseur de la pâte).

Ils ont découvert que les petites crêpes épaisses, comme les poffertjes hollandais, avaient un ratio d'aspect très bas (3), tandis que celui des crêpes très larges et très fines, comme les crêpes françaises, était très élevé (300). Le pourcentage du boulanger, quant à lui, admettait des variations moins importantes, d'un intervalle de 100 (pâtes épaisses où le liquide et la farine sont en proportions égales) à 225 (textures très fluides).

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En gardant une quantité fixe d'œufs et de farine dans différentes recettes de pâtes, l'équipe de l'UCL a fait varier la quantité de lait pour voir si le pourcentage du boulanger affectait l'apparence des crêpes. Ils ont alors remarqué que les pâtes épaisses (100) possédaient des cratères irréguliers sur la face en contact avec la poêle : l'eau tentant de s'évaporer à cause de la chaleur restait piégée par l'épaisseur de la pâte et finissait par la soulever en creusant des trous. Les pâtes les plus fines (225) arboraient quant à elle une couleur uniforme parsemée de petites taches sombres, ainsi qu'un contour brun distinctif sur le pourtour de la crêpe, là où elle était la moins épaisse. La vapeur d'eau s'était échappée facilement de la base de la crêpe à l'aide de petits canaux marqués de cette couleur sombre.

« Nous avons découvert que la physique de la préparation de crêpes était très complexe, mais suivait néanmoins deux tendances, » explique Yann Bouremel, l'un des auteurs de l'étude, affilié à l'Institut d'Ophtalmologie de l'UCL. « Si la pâte se répand facilement dans la poêle, la crêpe aura une surface lisse et uniforme ; on ne peut obtenir une crêpe fine qu'à la condition d'étaler la pâte au maximum. La valeur s'échappera alors par de minces canaux de diffusion. »

Selon les ingénieurs, ces observations nous montrent de quelle façon des feuilles souples, comme celles que l'on trouve dans l'œil humain, interagissent avec la vapeur et les liquides. Elles peuvent aider à mettre au point de nouvelles techniques pour traiter le glaucome, un groupe de maladies caractérisé par l'accumulation de liquide autour de l'œil. Ce liquide est incapable de s'échapper et exerce une lourde pression sur le nerf optique, l'endommageant au point de conduire à la cécité partielle ou totale. Si les ingénieurs trouvaient une façon d'aider le liquide en question à s'échapper (en s'inspirant de la pâte à crêpes), on pourrait peut-être soigner les personnes atteintes de glaucome.

« Lorsqu'on opère le glaucome, les chirurgiens ménagent un canal en tranchant une partie des couches très flexibles de la sclère, afin que le fluide puisse être évacué, » explique le professeur Sir Peng Khaw, co-auteur de l'article et directeur du Centre de recherche biomédicale NIHR à l'Hôpital Moorfields et à l'Institut d'Ophtalmologie de l'UCL. « Nous améliorons notre technique en travaillant avec des ingénieurs et des mathématiciens. L'expérience du pancake est un merveilleux exemple de la façon dont la science des choses ordinaires peut nous aider à trouver de nouvelles idées ingénieuses. »