Le garde du corps muay thaï : au service du big boss

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Le garde du corps muay thaï : au service du big boss

Un ancien combattant muay thaÏ nous donne un aperçu de sa vie de garde du corps à Macau, auprès d'un magnat de la mafia qui possède un hôtel-casino.

[Aun, connu sur le ring sous le nom de Kongsuriya Narupai et sur son acte de naissance sous celui de Buncha Taparsa, a commencé à apprendre le muay thaï à l'âge de 10 ans, dans sa province natale de Ranong. Il a réalisé environ 100 combats dans sa carrière. Aun a aujourd'hui 27 ans.]

Après avoir pris ma retraite de boxeur, j'ai rejoint l'armée. C'est comme ça pour les hommes en Thaïlande. Quand tu atteins 21 ans, il y a une sorte de loterie, soit tu es choisi soit tu ne l'es pas. Tous ne sont pas aptes, par exemple ceux qui ont des problèmes de vue, ou un quelconque autre handicap, ne peuvent devenir soldat. Ceux qui sont déclarés aptes doivent choisir une couleur, rouge ou noir. Si tu choisis le rouge tu dois servir deux ans dans l'armée. J'ai choisi rouge.

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J'ai été envoyé dans le sud de la Thaïlande, là où ils ont toujours des problèmes. Ma mission était de parler aux gens dans le village, essayer de les aider à comprendre que l'armée était dans leur province pour les protéger et non pas pour les blesser. Il y a encore des problèmes dans le sud de la Thaïlande. Ils essaient d'avoir leur propre pays et leur propre culture, il y a beaucoup de musulmans là-bas.

J'entendais des coups de feu tous les jours, mais je n'ai jamais été impliqué. Par contre, j'ai connu des attentats. Il y a eu trois explosions de bombones de gaz pendant que j'étais là- bas. J'étais proche, mais à chaque fois j'étais en sécurité. Des gens sont morts, oui, mais heureusement personne parmi ma section ou mes amis.

Après mon service militaire, je suis revenu au muay thaï. J'ai travaillé quelques mois en tant qu'entraîneur à Hong-Kong et je suis ensuite allé au FA Group à Bangkok, puis au Wat Charoenrit à Kih Phangan. Le FA Group m'employait comme partenaire d'entraînement pour certains de ses boxeurs, mais je n'étais pas un entraîneur parfaitement accompli, et c'est en partie pourquoi j'ai pris ce nouveau poste à Kon Phangan. Je n'ai jamais eu aucun problème avec mes employeurs. Je suis juste parti trouver de meilleures opportunités.

Peu après être arrivé à Chiang Mai pour travailler au Santai Gym, j'ai reçu une offre pour rejoindre Macau.

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Mais ce n'était pas pour être entraîneur de muay thaï.

Beaucoup de mes amis boxeurs sont allés à Macau. Ils me racontaient plein de choses. C'est par eux que j'ai eu le boulot. Ils m'ont appelé et m'ont demandé de travailler avec eux. En tant que garde du corps m'ont-ils dit. Si le patron veut un nouveau garde du corps, il demande à ses autres gardes du corps, dont la plupart sont d'anciens boxeurs, de demander à leurs amis.

J'y ai donc réfléchi pendant deux semaines puis j'ai décidé d'y aller. J'ai pu quitter la Thaïlande immédiatement. Le patron que j'allais protéger faisait partie de la mafia et il a pu m'aider à obtenir les visas et arranger tout le reste facilement. J'ai commencé en février 2014 et suis resté 1 an et 10 mois au total.

Mon boulot ressemblait exactement à ce que l'on voit dans les films. Quand le boss va dîner, on va avec lui et on reste derrière lui. Je n'ai pas reçu d'entraînement spécial lorsque je suis arrivé. On m'a dit qu'à partir du moment où je savais me battre je pouvais faire ce travail.

Les horaires de travail dépendaient de mon patron. S'il n'allait nulle part, je restais au bureau à l'attendre, ou à attendre qu'il appelle. Parfois, il passait me chercher chez moi. Je gagnais entre 50 000 et 60 000 bahts par mois sans compter les pourboires du boss et de ses amis.

J'avais mon jour de repos le dimanche. Je pouvais faire ce que je voulais. Parfois je faisais du tourisme à Macau, mais, le plus souvent, je préférais rester à la maison, cuisiner et me détendre. Les bars et les casinos n'ont jamais vraiment été mon truc et je n'ai jamais vraiment aimé faire la fête. Je voulais plutôt mettre de l'argent de côté.

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Mon boss était Chinois, il avait une cinquantaine d'années. Entre nous, on parlait cantonais. Il avait un business légal, il gérait un hôtel cinq étoiles à Macau et en Chine et il avait aussi des casinos. Sans parler de son business illégal de prêt d'argent ; il prêtait aux gens avec de forts taux d'intérêts. Je savais qu'il faisait des trucs illégaux parce que j'étais avec lui tout le temps, même quand il passait ses accords louches. Il n'essayait pas non plus de me le cacher. Tout le monde sait à Macau que ceux qui se promènent avec des gardes du corps sont probablement impliqués dans des affaires illégales. Tout le monde sait que les gens riches sont de la mafia parce qu'ils achètent tout le monde. Macau appartenait au Portugal, donc il y a de la corruption partout. Ils sont indépendants depuis un moment et la corruption est toujours présente, notamment dans la police.

Bien sûr le boulot était amusant, mais, parfois, j'avais aussi peur pour ma vie.

J'avais ce sentiment d'angoisse qui me prenait à chaque fois qu'on allait quelque part. J'avais peur que quelqu'un nous tire dessus dans la voiture. Pensez-y : les voitures ne sont pas un lieu sûr. Dans une voiture on ne peut pas se battre. Je m'imaginais des gens qui nous tiraient dessus de loin, comme des snipers, ou bien j'imaginais un camion percutant notre voiture la faisant tomber du pont. Je pense que j'avais peur de tout ça parce qu'on m'avait dit que certaines de ces choses étaient déjà arrivées, il y a longtemps, avant que je travaille là. La voiture de mon boss était blindée mais à chaque fois, avant de partir, il fallait vérifier qu'il n'y ait pas de bombe dessous. Mon patron avait des gardes du corps juste pour la voiture, on prenait des tours de garde les uns après les autres. Il employait sept ou huit gardes du corps rien que pour lui. Parfois on travaillait ensemble et chacun avait ses instructions.

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Tous les big boss étaient amis, ils formaient un groupe de dix dirigeants d'entreprises, et ils avaient tous des gardes du corps muay thaï. Et parfois, quand ils voulaient se battre, ils se battaient contre un autre groupe qui employait des gardes du corps chinois. Mais il arrivait que ça dégénère. Il était bien connu que si tu allais en prison après avoir battu quelqu'un à mort, ton boss ne pouvait pas t'aider mais il pouvait aider ta famille, lui envoyer ton salaire. Donc ils aidaient quand même.

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Rien de tout ça ne m'est arrivé, mais c'est arrivé à des gardes du corps thaïlandais que je connaissais. J'ai entendu une fois parler d'un cas comme ça. Quinze ans de prison pour le meurtre d'un policier et les dix personnes impliquées se sont retrouvées en prison. Peu importe qui avait porté le coup fatal. Ils sont tous allés en prison. Mais leurs patrons continuaient d'envoyer de l'argent à leurs familles. J'ai entendu dire que le policier en question avait été tué accidentellement. Le patron avait dit à ses gardes du corps : « Ce policier m'a fait un sale coup. Donnez-lui une leçon. » Mais ça a dégénéré.

Ce genre d'histoire me faisait vraiment peur. Je ne me battais contre personne parce que j'avais peur des conséquences que cela pouvait avoir. Heureusement mon boss était un homme sympa et je n'ai pas eu besoin de me battre. Tant mieux, parce que les choses dégénèrent facilement pendant une baston. Macau a des règles très stricts qui interdisent par exemple les armes à feu et les couteaux, donc s'il se passe quelque chose c'est censé se régler aux poings. Si tu utilises des armes à feux ou des couteaux, tu peux prendre pour 15 ans de prison. C'est pour ça qu'ils recrutent d'anciens boxeurs de muay thaï comme gardes du corps, parce qu'on sait se battre.

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Mais je dirais quand même que c'est beaucoup plus dangereux d'être garde du corps en Thaïlande qu'à Macau à cause des lois. Ici en Thaïlande, on a le droit aux armes à feu, on peut demander une licence de port d'arme. Je préfère 100 fois être garde du corps à Macau. En Thaïlande, tu pourrais avoir à tuer quelqu'un et je ne veux tuer personne. C'est illégal de tuer.

Parfois, mon boss partait en voyage à l'étranger, ce que j'aimais beaucoup parce que ça voulait dire que je pouvais rester chez moi sans travailler pour me détendre. Parfois, il partait plusieurs semaines et ne prenait qu'un garde du corps avec lui. Le reste d'entre nous pouvions rester tranquilles chez nous. Il allait en vacances en Angleterre et moi je n'ai jamais été choisi pour y aller. Le patron nous emmenait seulement un par un parce que les vols internationaux et tout le reste coûtaient chers.

La période la plus rude était toujours le Nouvel An chinois lorsque toute la famille se réunissait. On devait être beaucoup plus attentifs et faire attention à ne pas faire d'erreur. Une grande famille, beaucoup d'amis, plus de gens autour signifiaient plus de travail. On devait s'occuper de toute la famille. Heureusement que ce n'était qu'une fois par an.

Un conseil pour les boxeurs qui veulent devenir garde du corps ? Si tu veux travailler pour l'argent, fais ton boulot et ne te mêle pas aux casinos et aux histoires de drogues. Reste loin de tout ce qui pourrait te prendre ton argent. Au fond, le métier n'est pas si dur, mais il faut se concentrer et éviter toute distraction.

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Maintenant que je suis de retour en Thaïlande, tout se passe bien. J'avais une copine ici lorsque j'étais à Macau. On était dans une relation longue distance. Je mettais de l'argent de côté pour notre futur ensemble, je ne lui ai pas envoyé d'argent parce qu'on n'était pas marié, mais je lui achetais des cadeaux. Je me suis dit que je mettrais juste de l'argent de côté pour mon futur avec elle et que je verrais bien si elle serait encore là quand je rentrerais. Et bien vous savez quoi ? Elle était toujours là ! Je suis toujours avec elle, ça fait quatre ou cinq ans maintenant. Elle s'inquiétait un peu pour moi quand j'étais à Macau, mais elle comprenait que j'avais besoin de travailler et ce n'était pas trop dur parce que je me suis bien comporté.

Je suis content d'être de retour en Thaïlande. Peu importe de gagner beaucoup à l'étranger, il n'y a rien de mieux pour un Thaïlandais que de travailler en Thaïlande. On finit toujours par avoir le mal du pays.

Maintenant je travaille à Santai, j'espère y rester quelques années, mettre de côté le plus possible. Le plan c'est de me marier, de revenir à Ranong d'où je viens, construire une maison, élever du bétail et cultiver la terre, travailler plus dans la boucherie. Mon père a déjà 30 têtes de bétail à la maison. Je les ai achetées avec tout l'argent que j'ai économisé, mais c'est mon père qui s'en occupe.

Je veux aussi être père de famille et gérer ma propre affaire. Je veux que mes futurs enfants aient accès à un bon niveau d'éducation afin qu'ils n'aient pas à faire le métier que j'ai dû faire pendant ma vie. Mieux vaut être le patron que l'employé. Ce serait génial que mes enfants réussissent au point qu'il doivent embaucher leur propres gardes du corps.

Traduction du thaïlandais par Jiraphan Hjalmarsson.