Quand l'ultradroite met les femmes en vitrine
Image : Instagram @action_française

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Quand l'ultradroite met les femmes en vitrine

Pour rompre avec leur image hyper-viriliste, les responsables (masculins) de la droite hardcore misent sur la féminisation des troupes. Enquête.

Les images ont marqué les esprits. Le 21 avril dernier, les réseaux sociaux ont été envahis de clichés montrant des hommes en doudounes bleues siglées « Defend Europe », patrouillant en quad et hélico dans les Alpes, à la recherche de migrants qu’ils entendaient empêcher d’entrer sur le sol français. Mais les militants de Génération Identitaire, chefs d’orchestre de cette opération de communication, ont bien pris soin de publier aussi des photos montrant des femmes ayant participé à l’action. Enfin, en marge, puisque leurs tweets étaient souvent accompagnés de la mention « Bravo aux courageux militants identitaires ! ».

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En retrait, et pourtant bien présente, telle est la nouvelle place des femmes dans les mouvements de droite radicale. Et les responsables (masculins) de ces groupes ont bien compris l’avantage qu’ils pouvaient en tirer en communiquant sur la féminisation – réelle ou supposée – de leur parti. Car faire des femmes leur nouvelle vitrine, c’est rompre avec l’image ultra-viriliste qui leur colle à la peau.

D’ailleurs, Clément Gallant, l’un des porte-parole de Génération Identitaire, se félicite que son groupe compte entre 20 et 25 % de militantes. « Si ces chiffres sont vrais, ce serait énorme », tempère le sociologue Samuel Bourdon, qui a infiltré l’ancêtre du mouvement, Jeunesses Identitaires, en 2010. Au camp d’été, il n’a ainsi comptabilisé que 5 jeunes filles sur 80 militants présents. Il ajoute : « Elles étaient souvent en cuisine et participaient vaguement aux séances de boxe ». Une exclusion volontaire : « pour elles, cela allait de soi de ne pas pouvoir faire la même chose que les garçons ».

Photo : Twitter @Leafrct

Pourtant, en 2010, un basculement s’est opéré au sein de GI avec le lancement du blog « Belle et Rebelle » : « c’était la première fois qu’elles s’affichaient sur le terrain du militantisme », décrypte le sociologue. Féminin, le blog n’en est pas pour autant féministe puisqu’il y a fait « l’éloge de la famille et du retour aux valeurs », précise Samuel Bouron. Quoi qu’il en soit, techniquement et idéologiquement, « Belle et Rebelle » a marqué les prémices de la féminisation de la droite hardcore.

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« La place des femmes est à l’arrière-garde pour encourager et panser les blessures des militants » - manifeste des Caryatides.

Deux ans plus tard, en 2012, la Manif Pour Tous a accéléré la tendance. Famille, filiation, GPA, PMA, ces thèmes – désormais au cœur du débat public – touchaient évidemment ces femmes attachées aux traditions. Alors, elles se sont lancées, souvent pour la première fois, dans la mobilisation et le militantisme. L’année suivante, en 2013, à Lyon, en présence d’Yvan Benedetti, chef de file de l’Oeuvre Française, est lancé le mouvement les Caryatides, le courant féminin du Parti Nationaliste Français.

Au cœur de l’idéologie, un rejet d’une certaine conception de la femme – « synonyme de sexe, de plaisir, d’objet ». À leurs yeux, la place de la-femme-la-vraie est « à l’arrière-garde, pour encourager et panser les blessures des militants ». Leur idéal féminin ? « Une femme qui doit avoir toute sa place, sa juste place, dictée par la loi intangible de la transmission de la vie ». La même année, des femmes drapées de blanc et se faisant appeler Antigones, apparaissent dans les médias. Leur combat ? Lutter contre de « sextrémisme » des Femen.

Des femmes également attirées par un changement d’image : la quête de « normalisation » entamée par ces mouvements, pour reprendre l’expression de l’historien Nicolas Lebourg. Et dans cette quête, l’ultradroite a bien compris l’intérêt d’avoir des femmes dans ses rangs. Dans l’esprit de ses cadres dirigeants, la présence des militantes adoucit l’image, rompt avec l’esthétique « bombers et crâne rasé » dont ils ont cherché – au moins en apparence – à se détacher. Bref, la « division du travail » est claire, pour le sociologue Samuel Bouron : « les hommes font les grosses actions. Les femmes passent la couche de vernis : elles parlent de valeurs, de famille, d’écologie… ».

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« Dès la création de l'Action Française, les femmes ont joué un rôle. Avec, par exemple, le Comité des Dames Royalistes qui regroupait des aristocrates et des bourgeoises » - Jean-Yves Camus, sociologue

Mais le grand changement, c’est que ces dernières années, les femmes ont été nommées à des postes en responsabilité au sein des groupuscules d’ultradroite. Chez Génération Identitaire, elles dirigent aujourd’hui des sections locales, à l’image d’Alaïs Vidal, ou sont porte-parole, comme Claire Brunier. Contactées, elles n’ont pas souhaité répondre à Vice. Dommage. Mais les Identitaires ne sont pas les seuls à mettre leurs militantes en avant.

Manifest Belle et Rebelle, Facebook

Ainsi, dans l’organigramme actuel de l’Action Française, on dénombre pas moins de 7 femmes. Ce qui peut surprendre tant le mouvement est dépeint comme old school et traditionaliste – en opposition aux Identitaires présentés comme la version « moderne » de la droite radicale. Là encore les cadres assurent qu’elles représenteraient un quart des effectifs. « Il y en a beaucoup à Paris », constate le politologue Jean-Yves Camus, qui souligne que l’Action Française a toujours compté des femmes dans ses rangs : « Dès la création du mouvement, elles ont joué un rôle. Avec, par exemple, le Comité des Dames Royalistes qui regroupait des aristocrates et des bourgeoises ».

À Bordeaux, elles seraient quatre filles sur la dizaine de militants. Parmi elles, Pauline, 22 ans, arrivée en septembre dernier. Ce qui lui plaît ? « Les valeurs, la famille et le discours contre la mondialisation », récite-t-elle. Silhouette fine, cheveux longs, lunette, petite veste, elle participe souvent aux conférences après ses journées de travail. Quand son emploi du temps le lui permet, elle va sur le terrain et tracte aux côtés des garçons. Pour elle le militantisme n’a pas de sexe : « Il n’y a pas d’histoire d’homme/femme, c’est une question de temps ou de personnalité. D’ailleurs, je pense que sur certaines actions, il pourrait y avoir plus de filles ».

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À l’AF, on joue à fond la carte de l’égalité des sexes. Charles, le responsable de la section de Bordeaux, le promet : « les femmes font la même chose que les militants : assister aux cercles pour se former, tracter, vendre des journaux, participer aux manifestations et aux actions d’agit-prop ». Si certaines se tiennent toutefois à distance des actions un peu plus dangereuses, d’autres deviennent cadres et dirigent des sections.

« À l'Oeuvre Française, on m’a rapidement fait comprendre que ma place serait en cuisine » - Isabelle Suiste, militante à l'Action Française

C’est le cas d’Isabelle Suiste, 31 ans, débardeur noir, tatouages apparents et clope à la main. La jeune femme a d’abord tapé à la porte de l’Oeuvre Française mais n’y a, justement, pas trouvé sa juste place : « on m’a rapidement fait comprendre qu’elle serait en cuisine ». La jeune femme a donc claqué la porte : « j’avais envie de m’engager. Je ne voulais pas être discriminée en raison de mon sexe ». Elle s’est donc tournée vers le royalisme et est entrée à l’Action Française, en 2013. Son compagnon de l’époque avait ouvert une section à Grenoble et quand il a dû partir, trois ans plus tard, Isabelle Suiste a été propulsée Chef de section. « Ça a tout de suite été accepté. Très vite, j’ai même eu l’impression que l’on oubliait que j’étais une femme ». Même si, évidemment – et au fond, comme partout – « si on fait une erreur, on sait que le fait d’être une femme reviendra dans le débat ».

Photo : Action française - Centre Royaliste d'Action française / Facebook

Reste qu’à force de jouer la carte de l’égalité des sexes, l’Action française irrite jusque dans ses propres rangs : « cette hypermixité ne prend pas toujours en compte les déterminismes », peste Isabelle Suiste. Au nom de la différenciation des sexes, Isabelle Suiste s’est donc opposée aux séances de sports communes pendant les camps d’été. Vous avez dit tradi ? Pourtant, la jeune femme revendique un certain sens du girl power puisque son idéal féminin est, dit-elle, « une femme qui assume sa féminité, porte un discours aussi incisif que les hommes et brille par la force de son engagement ». D’ailleurs, elle déplore l’anti-féminisme primaire qui règne à l’extrême droite : « ils tapent dessus sans savoir pourquoi. Par ignorance, en fait. »

Redevenue simple militante, elle se consacre désormais à sa vie de femme au foyer. Un mode de vie traditionnel pour une trentenaire se revendiquant, pourtant, d’un certain féminisme. Un paradoxe qui résume parfaitement la nouvelle stratégie de la droite radicale : mettre des femmes en avant pour suivre l’air du temps… tout en véhiculant un discours réac' venu d’un autre temps.