Les médecins pendant les manifestations gilets jaunes
Photos : Maxime Reynié pour VICE FR

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gilets jaunes

On a passé une journée avec les « street medic »

Denis, Bousty et Alex participent aux manifs équipés de matériel de premier secours pour soigner les militants. Un choix réfléchi pour lutter contre les violences des forces de l’ordre.

Samedi 14 décembre au matin. Dans son deux pièces où un portrait de Brecht côtoie Karl Marx, des caricatures militantes et des slogans anars et antifascistes, Denis finit de s’équiper. Dans son grand sac à dos rouge, il dispose soigneusement pansements hémostatiques, compresses, désinfectant, sérum physiologique, tensiomètre et oxymètre.

Il est 9 heures et l’intéressé fait le point tout en avalant un deuxième café. Il ne faut rien oublier. Chaque produit à son importance. Comme les sprays de sérum physiologique et de maalox qu’il porte à la ceinture. « Le sérum phy permet de nettoyer et le maalox permet de neutraliser l’acidité des gaz lacrymogènes », explique-t-il en enfilant sa veste en jean par dessus sa combinaison. La sonnerie de son téléphone retentit. Bousty et Alex sont déjà arrivés sur site. « Contrairement à la semaine dernière, on a réussi à rejoindre le cortège avec notre matériel médical et nos EPI [équipement de protection individuelle, ndlr] », s’enthousiasme Bousty. Un sourire de soulagement se dessine alors sur le visage de Denis.

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Il y a une semaine, lors de l’acte IV de la mobilisation des « gilets jaunes », ce groupe de street medic s’était fait confisquer son équipement. Une injustice difficile à comprendre et à accepter pour les intéressés. « Si on n’a pas nos EPI, on se soucie trop de notre propre sécurité et on est donc moins disponibles pour soigner les blessés », précise Bousty le regard bleu posé sur la foule à Saint-Lazare. Autour d’elle, les manifestants encerclés par des camions de CRS somment les forces de l’ordre de les laisser passer. Rien n’y fait. Après deux heures à piétiner dans la nasse les street medic décrochent. « Il y a du monde à Opéra a priori », lance Alex en se dirigeant vers une sortie.

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Le dévouement d'Alex aux autres vient de loin. « J’ai toujours été celui qui réparait, s’amuse-t-il. Même en week-end d’intégration, je suis celui qui apporte ma trousse de secours ». Sa vocation de street medic est née en 2015. « C’était au moment où la destitution de la nationalité devait être inscrite dans la constitution », se souvient celui qui est aussi étudiant en école d’ingénieur. Ce jour-là, les CRS usent de la force à l’encontre des manifestants venus crier leur mécontentement devant l’Assemblée nationale. « C’était incroyable, ils ont même frappé une grand-mère à coups de bouclier, puis ils ont gazé jusqu’à ce que nous partions nous réfugier sur les quais. Mais même une fois en bas, ils continuaient à nous envoyer des grenades lacrymogènes, les gens autour de moi vomissaient et certains saignaient ». Cet événement finit de convaincre Alex d’enfiler le costume de street medic en manifestation : « Jusque-là j’avais toujours été pacifiste mais ce jour-là, j’ai réalisé que dans ce pays, il fallait se protéger pour manifester ».

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Du côté de Denis et de Bousty, même son de cloche. Militants de la première heure, eux aussi ont rapidement réalisé qu’en manif, les violences policières ciblaient n'importe qui. « Moi c’était le 14 juin 2016, aux Invalides, lors d’une des plus grosses manifs contre la loi Travail, se souvient Denis. J’ai assisté à une manif sanglante où deux personnes blessées à la tête par des tirs de la police se sont écroulées au sol. L’une d’entre elles a perdu connaissance pendant les soins. Ce n’était rien d’autre que le nectar de la répression d’Etat ». Bousty poursuit : « Moi, ma révélation s’est faite dans l’entre-deux-tours en 2017 où la violence des forces de l’ordre était ahurissante ». Ecœurés et révoltés par ces constatations, tous les trois ont alors décidé de brandir leurs armes : des trousses de secours. « En manif, entre les black block, les antifas, les autonomes, les pacifistes les medics et j’en passe, chacun a un rôle à jouer, j’ai choisi le mien », sourit Denis. Pour se former, tous ont associé formations aux premiers secours, voire plus, et apprentissage sur le terrain.

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Depuis qu’ils ont pris leur décision, les trois street medic n’ont quasiment plus jamais manifesté sans leurs matos et leur insigne rouge. Multipliant les interventions depuis la loi Travail, jusqu’aux manifestations de « gilets jaunes ». « Au début j’observais ce mouvement de loin, j’avais besoin de savoir de quoi il s’agissait vraiment », reconnait Bousty. Mais dès l’acte II, elle se rend avec son équipe sur le terrain après d’autres street medic et intervient pour secourir les blessés, quitte à s’exposer. « Il y a plusieurs stratégies d’intervention. On peut parfois soigner les gens après les charges des forces de l’ordre ou le faire directement dans la bataille. J’opte généralement pour cette option parce que je m’en sens capable. »

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Pour autant, Bousty, Denis ou Alex, ne sont pas des médecins. « Si on estime que les blessures sont graves on essaie de faire le maximum pour que les manifestants puissent se rendre aux urgences par leurs propres moyens ou jusqu’à l’intervention des pompiers pour évacuation, indique-t-elle. « Une fois, un manifestant s’est pris un tir de LBD [nouvelle version du flash-ball, ndlr] dans la tête. Nous étions à 100 mètres des CRS qui nous mettaient clairement en joue. Le jeune homme était vraiment mal en point, donc nous n’avions pas d’autre option que d’organiser son évacuation », rembobine Bousty.

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Comme tous les autres participants, ces street medic confirment que l’acte IV a été le plus violent. « C’est bien simple, je suis arrivée à 10 heures, j’ai réalisé ma première intervention à aux alentours de 10h45 et prodigué mes derniers soins à 20 heures, se souvient-elle. On s’est posé cinq minutes dans la journée et on n’a quasiment rien avalé. Ce jour-là, la jeune prof de maths et trois de ses collègues réalisent une quinzaine d’interventions. Parmi elles, une la marque particulièrement : « Nous étions à découvert alors des manifestants ont formé un cercle de protection autour de nous pendant que nous soignions un blessé, ils ont tenu et se sont faits taper dessus par les CRS pour nous protéger. Il y avait une vraie solidarité ». Denis, lui, a été davantage marqué par la soirée de l’acte IV: « Il y avait une chasse à l’homme organisée par la police place de la République, ils avaient même un hélico. La Bac et la BST des banlieues frappaient et tiraient au LBD 40. Pour sortir de là, on déambulait les bras en l’air en gueulant "équipe médicale". Cela faisait penser à une sorte d’expédition punitive digne des périodes les plus sombres de l’histoire ou tout simplement au quotidien de trop nombreux jeunes des banlieues. »

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Retour sur le terrain ce samedi 15 décembre. Changement d’ambiance. Face aux membres des forces de l’ordre quadrillant Paris, impossible pour les « gilets jaunes » de constituer un cortège compact pour battre le pavé. Après avoir marché de longues heures entre Saint-Lazare, Opéra, République, Bastille, les Halles, et les Tuileries, les street medic et quelques centaines de « gilets jaunes » atterrissent à nouveau à Opéra. Face à eux, des camions de CRS garés en travers de la chaussée ferment l’avenue. Soudain, des détonations se font entendre. Des grenades lacrymogènes volent dans le ciel et embrument l’air en s’écrasant sur l’asphalte. Aveuglés par les gaz, dans un mouvement de panique, les manifestants s’éloignent. Aucun blessé n’est à déplorer. Las d’avoir bravé la météo glaciale toute la journée, les street medic décident de rendre les armes en fin d’après-midi.

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Plus tard dans la soirée, ils entendent parler d’une nasse organisée sur les Champs-Elysées par les forces de l’ordre. « Ils ont compressé la foule au maximum, puis ont asphyxié les gens à l’intérieur avec des grenades lacrymogènes tout en les empêchant de fuir. Plusieurs se sont écroulés et d’autres ont vomi, s’indigne Alex. Dans ces moments-là, c’est frustrant parce qu’on était là et équipés mais on ne peut pas être partout à la fois ». Vraisemblablement déçue elle aussi, Bousty conclue : « Quand ça se passe comme ça, ça calme clairement notre complexe du super-héros ».

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