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Éduqués à la haine

Les camps d'entraînements Kommandokorps sont le berceau du renouveau afrikaner.

Ilvy Njiokikjien est une jeune photoreporter hollandaise âgée de 27 ans. Depuis 2008, elle multiplie les allers-retours entre les Pays-Bas et l'Afrique du Sud pour prendre en photo les membres de l'aile extrémiste de la communauté afrikaner. Après avoir passé plusieurs années au contact des pontes de l'extrême droite blanche d'Afrique du Sud, en 2011 elle est allée visiter les camps d'entraînements Kommandokorps destinés à « préparer les adolescents de la communauté afrikaner à une éventuelle attaque de la part des noirs sud-africains. » Comme elle vient juste d'être décorée – avec sa partenaire journaliste Elles van Gelder – du prestigieux prix World Press Photo 2012 et que la série défonce dans son intégralité, on lui a posé quelques questions à propos de ce qu'elle a vu dans ces camps de la haine.

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VICE : Salut Ilvy. Comment as-tu entendu parler de ces camps de défense afrikaners ?
Ilvy Njiokikjien : La première fois, c'était pendant les obsèques du leader d'extrême droite d'Afrique du Sud Eugene Terre Blanche. Il a été assassiné en 2010 et faisait partie du Mouvement de Résistance Afrikaner (AWB), une organisation extrémiste sud-africaine. Lors de son enterrement, j'ai rencontré le leader du camp Kommandokorps, le Colonel Jooste. Je l'ai remarqué parmi la foule car il portait un vieil uniforme militaire datant de l'Apartheid. Un peu intriguée, je suis allée le questionner directement. À la fin de notre conversation, je lui ai demandé si je pouvais aller voir un des camps.

Comment as-tu fait pour avoir accès à l'ensemble du camp ? Tu pouvais prendre en photo ce que tu voulais ou il y avait des restrictions ?
Comme ma collègue, Elles van Gelder, et moi parlons l'Afrikaans, on nous a laissé prendre en photo et filmer ce que l'on voulait. Le colonel Jooste est très fier de son organisation, il n'a donc montré aucune réticence à l'idée de nous montrer tout ce qui se passait dans le camp.

Il existe beaucoup de ces camps d'entraînement en Afrique du Sud ?
Oui, ils sont très répandus. En fait, il existe beaucoup d'associations d'Afrikaners plus ou moins importantes. Mais pour être franche, très peu ressemblent à ceux du Kommandokorps qui est une institution tout à fait marginale.

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Pour quelles raisons les parents envoient leurs gosses dans ces camps ? C'est une sorte de punition ou plutôt une manière d'en faire de bons Afrikaners ?
C'est plutôt une forme de prévention, à cause du taux de criminalité élevé en Afrique du Sud. Ils considèrent que leurs enfants ont besoin d'apprendre à se défendre. Ce n'est pas une punition ; en fait, beaucoup de gosses sont même contents d'y aller. Comme il n'y a plus de service militaire obligatoire en Afrique du Sud, les parents pensent qu'en envoyant leur progéniture dans ces camps, ils en feront de vrais hommes.

Oui, je vois. De quel milieu social viennent la plupart de ces gosses ?
Il y a vraiment de tout. J'ai passé pas mal de temps avec leurs familles en Afrique du Sud ; certaines étaient plutôt pauvres, d'autres venaient des classes aisées. Il y a des citadins comme on trouve gosses qui viennent de zones agricoles. C'est très varié.

Qui sont les gens qui s'occupent d'eux ? Le colonel Franz Jooste, dont tu parlais tout à l'heure, a combattu les noirs pendant l'Apartheid, c'est bien ça ?
Franz Jooste a effectivement participé aux combats à la frontière durant l'Apartheid. Les autres responsables ont gravi les échelons un à un au sein du Kommandokorps. À l'origine, c'était aussi des gosses qu'on avait envoyés là pour s'entraîner.

Quel genre d'entraînement suivent les gamins ? J'ai l'impression qu'il est surtout question de courir dans les bois et de se tirer dessus au paintball.
C'est un entraînement de type militaire. C'est très dur, surtout pour les plus jeunes. Je me souviens de l'un d'eux qui n'avait que 14 ans et qui était proprement incapable de faire tous les exercices.

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Chaque matin, les garçons doivent se lever à 4h45. On les envoie courir, faire des pompes, des abdos, et bien d'autres supplices. Le soir, quand le Colonel les a bien épuisés tout au long de la journée, on leur donne des cours à propos des « ennemis » et de la « race ».

En quoi consistent ces cours, d'ailleurs ?
Ce sont des lectures pendant lesquelles le Colonel leur explique que la plupart des crimes dans le monde sont commis par des noirs et que les noirs sont différents des blancs. Par exemple, il leur dit que les noirs ont un plus petit cerveau.

OK. L'humiliation fait-elle partie du processus d'apprentissage ?
Il n'existe pas vraiment d'« humiliation » au sens strict mais le Colonel est assez convaincu que plus on crie sur les gosses, plus ils s'endurcissent.

Penses-tu que, dans une certaine mesure, les blancs regrettent les « bonnes vieilles années » de l'Apartheid ?
Je suis vraiment incapable de répondre à cette question. Il y a beaucoup trop de points de vues différents ; entre les nostalgiques de l'Apartheid, ceux qui se sentent coupables, ceux qui ont peur de voir la culture et la langue afrikaner disparaître, etc. Il existe aussi des sud-africains blancs qui s'en foutent complètement.

À la fin de leur séjour, les gosses ont-ils le même point de vue vis-à-vis des noirs ? J'imagine qu'à l'entrée, aucun d'eux n'est vraiment raciste avant d'être pris en charge par les Kommandokorps.
Beaucoup d'entre eux changent du tout au tout durant leur séjour au camp – leur rapport aux noirs aussi. Certains arrivent déjà avec des préjugés racistes et d'autres pas du tout. Pour ces derniers malheureusement, il arrive souvent qu'ils se soumettent aux idées du colonel et qu'ils partent du camp avec une haine raciale dont ils auront du mal à se défaire.