Interview : John Alexander Skelton

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La Semaine de la mode durable

Interview : John Alexander Skelton

Le compte Instagram du designer John Alexander Skelton est merveilleux.

Cet article a été réalisé pour le compte du Sommet de la Mode de Copenhague et a été créé indépendamment de la rédaction de VICE.

Oubliez le minimalisme tamisé qui a les faveurs des blogueurs de mode, le compte Instagram du créateur de mode John Alexander Skelton est une sorte de cabinet de curiosités. Sur celui-ci, il s'inspire de l'Histoire, assemblant entre elles des références qui traversent le temps et l'espace. Sur une photo en sépia, un homme aux traits noueux regarde d'un air furtif au-delà du cadre. L'un de ses yeux est fermé, et sa main, noircie par la boue, tend vers des lèvres retroussées une cigarette. Sur une autre photo, des coureurs s'élancent le long de l'image monochrome en direction d'une ligne d'arrivée.

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Parmi ces fragments perdus du passé flottent les créations actuelles de John Alexander Skelton : la collection CSM MA. Prises avec un appareil argentique, ces photos ont le même aspect éthéré que le reste des archives du compte Instagram @skeltonjohn – ce même aspect qui marque profondément les créations de Skelton.

Consacrée par un prix, la MA collection a redonné vie aux résultats d'une étude « d'observation de masse » conduite méticuleusement par un groupe d'anthropologues surréalistes à Bolton, en 1936. Mêlant à sa collection les fantômes de cette étude, Skelton a choisi de n'utiliser que des tissus faits à la main, recyclés et durables. De la laine, du coton, du chanvre et du lin avec des tons neutres, tissés et filés à la main et transformés en cols roulés, jupes, gilets, costumes, manteaux et des pantalons larges, qui laissent les chevilles découvertes. Skilton a même inclus une cravate en soie.

Sa collection peut paraître nostalgique, mais Skelton, qui vient de la région du Yorkshire, est en train de devenir l'un des créateurs les plus prometteurs de Londres. Je l'ai appelé pour qu'on discute de mode éphémère, d'empreinte carbone et d'où acheter des vêtements produits de manière durable et bon marché.

VICE : Qu'est-ce qui a motivé votre décision de créer une collection durable, respectueuse de l'environnement et plus résistante ?
John Alexander Skelton : Je pense qu'il y a plusieurs raisons. La première c'est qu'avant de commencer ma collection MA, j'ai travaillé dans une entreprise assez grande. On recevait des cartons et des cartons de vêtements totalement informes. Je voyais une quantité incroyable de gaspillage. Ça m'a en quelque sorte dégoûté de découvrir ça, donc ça a été un déclencheur pour moi, un point important. De plus, je voulais tester les capacités mais aussi les limites de la mode durable.

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Comment trouvez-vous l'équilibre entre votre engagement de durabilité et un bon design ?
La durabilité est l'une des facettes de mon travail. Aujourd'hui, le design a presque pris le pas sur la durabilité. Il était très important que ce soit à la fois durable et stylé. L'un des problèmes que j'ai eu avec la mode durable par le passé était qu'elle manquait énormément de style – ce qui a conduit les gens à penser que si c'était durable, ça ne pouvait pas vraiment être à la mode, ou que ce n'était même pas de la mode. J'ai voulu démentir cette vision.

En quoi votre méthode est-elle réellement respectueuse de l'environnement ?

Eh bien, mon but est de créer des vêtements ou du tissu fabriqués au Royaume-Uni, de la matière première au produit fini. Tout le processus.

Et vous vous en sortez comment ?
Plutôt bien sur certains points. C'est assez difficile pour d'autres, parce que certaines étapes de la chaîne d'approvisionnement n'existent pas encore. Au Royaume-Uni, nous ne possédons pas de fileurs pour fabriquer certains fils, alors que c'est quand même un élément clé. C'est un problème sur lequel je me suis penché avec un petit nombre de fournisseurs, en essayant de trouver quelqu'un qui soit capable de faire ça pour nous.

Réimplanter tout le processus de production au Royaume-Uni vous permet également de réduire l'empreinte carbone.
Oui, l'empreinte carbone diminue de manière drastique. Un morceau de tissu peut faire plusieurs fois le tour du monde avant d'arriver dans une boutique, ce qui est totalement fou.

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De plus, une chaîne d'approvisionnement transparente permettrait aux créateurs de savoir exactement d'où sort le matériau de leur produit. Pour l'instant, ça reste très opaque. Si vous commandez du tissu, vous n'avez aucune idée d'où viennent les produits, qui les a transformés, et où cela a eu lieu.

Quelles sont les mesures que peuvent prendre les grandes marques pour devenir plus durables ?
J'ai réalisé un projet durable avec Nike, et ça m'a vraiment ouvert les yeux. Je pense que le principe de durabilité devrait être enseigné à l'école primaire ou au collège. Ce n'est pas juste la mode qui doit changer, tout doit être modifié. Dès que quelqu'un met les pieds dans une école de design, si cette personne veut devenir styliste, elle doit comprendre que produire quelque chose qui n'est pas durable est un problème.

Je pense le changement serait plus facile pour les marques. Je veux dire, c'est plus difficile de changer les mentalités des gens. Dans la pratique, il est bien plus facile pour les grandes entreprises d'évoluer, grâce à leurs ressources. Elles peuvent acheter n'importe quel tissu. C'est vraiment une question de choix – il en va de même pour le cuir et la fourrure.

Et qu'en est-il de votre propre garde-robe ? Vous achetez ou fabriquez vos propres vêtements ?
J'en achète et j'en fabrique. J'achète des vêtements déjà utilisés et je porte beaucoup de fringues que je fabrique moi-même. Je vais sur de nombreux marchés. Je voyage pour en connaître de nouveaux. Si je me rends en France, je parcours un certain nombre de marchés aux puces. Où que j'aille, j'essaye et recherche des choses dans les endroits inattendus – c'est là que vous trouvez les meilleurs trucs, vraiment. Je suis un peu un chasseur de bonnes occasions.

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On dirait que vos vêtements datent d'une autre époque – l'esthétique de votre compte Instagram est unique. Pourriez-vous me parler de vos sources d'inspirations ?
Pour ma collection MA, le point de départ a été une étude « d'observation de masse ». Les gens qui ont réalisé cette étude étaient des surréalistes. Ils sont allés à Bolton et se sont basés là-bas. Il y avait des moulins, des mines, les activités industrielles de l'époque – et le taux de chômage le plus important d'Angleterre. C'est pour ça qu'ils ont choisi cette ville.

Exprimer leur individualité était quelque chose d'important pour les femmes de la région. Elles ne pouvaient pas se permettre d'acheter un chapeau différent chaque année. Du coup, elles agrémentaient leur chapeau de base en allant dans des merceries pour acheter des plumes différentes. C'était une manière de s'habiller qui traduisait leurs aspirations – elles le faisaient en l'honneur de la royauté. Ça a eu une répercussion sur moi : vouloir que tout soit personnalisé, ait une histoire et une sorte d'âme.

Ma collection MA a été influencée par la classe ouvrière. J'utilise des matériaux bruts et bon marché mais, au niveau de la construction et de la qualité des fibres, c'est un travail très laborieux. Ce qui est très important pour mon travail, c'est que la personne qui achète mon produit le chérisse et veuille l'avoir pour toujours.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui veut acheter des vêtements qui sont durables et respectent l'environnement, mais qui ne dispose pas forcément d'un budget à la Vivienne Westwood ?
N'achetez pas dix t-shirts, achetez-en un ! Ou achetez dans des friperies ou des magasins liés à des œuvres caritatives. Mon frère n'achète ses vêtements que dans ces magasins caritatifs et il a une garde-robe incroyable. Il y a une image un peu négative liée à ça. C'est ce genre de préoccupation qui doit changer.

Cet article a été réalisé pour le compte du Sommet de la Mode de Copenhague et a été créé indépendamment de la rédaction de VICE.

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