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On a demandé à un député en quoi le programme du Front National était irréalisable

À l'aube des départementales, François de Rugy a passé au crible quelques propositions du parti de Marine Le Pen.

Marine Le Pen souffle un baiser à tous les journalistes de la presse libre. Crédits photo : VINCENT KESSLER/REUTERS

Ça ne vous a pas échappé : le Front National clame aujourd'hui qu'il est « le premier parti politique de France ». En atteste son arrivée en tête lors des dernières élections européennes où le parti a recueilli 24,86 % des voix exprimées, raflant ainsi 24 des 74 sièges à pourvoir pour la France au parlement européen. Les élections départementales du 22 et 29 mars s'annoncent également propices à « une vague bleu marine », puisque le Front National est présagé grand vainqueur du scrutin d'après un sondage réalisé par Odoxa et publié le 1er mars par le Parisien. Le parti de Marine Le Pen récolterait en effet 33 % des intentions de vote devant l'alliance UMP-UDI (27 %) et le PS (19 %).

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La stratégie de dédiabolisation entamée par Marine Le Pen lors de son arrivée à la tête du parti frontiste en janvier 2011 porte ses fruits. En défendant l'idée d'un État-providence protégeant ses citoyens de la crise économique et de la mondialisation, et en évinçant du parti les cadres et militants affichant publiquement leur racisme ou antisémitisme, la dirigeante s'est ouvert un boulevard électoral quand les autres partis n'arrivent plus à convaincre l'opinion publique.

Pourtant, il suffit de jeter un œil au programme politique du parti pour s'apercevoir que ses obsessions historiques n'ont pas changé. La crise économique n'y est qu'un prétexte pour stigmatiser la population immigrée et vilipender la construction européenne. De ce programme, j'ai sélectionné quelques mesures « chocs » pour en discuter avec François de Rugy, député et co-président du groupe écologiste à l'Assemblée Nationale. Sous un angle pragmatique, il a analysé ces propositions et envisagé quelles en seraient les conséquences dans un cadre légal, économique et social si elles étaient appliquées. Voici ses réponses.

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« Suppression du droit du sol et réforme en profondeur du code de la nationalité française »
François de Rugy : Le code de la nationalité étant une loi, le Front National pourrait le modifier pour le rendre plus restrictif. Mais il faut savoir que même si on doit à Napoléon Ier le droit du sol, on accordait déjà la nationalité française à des étrangers pendant la période révolutionnaire parce qu'ils résidaient depuis longtemps en France et qu'ils participaient à la défense du pays. Même si l'état civil n'était pas ce qu'il est aujourd'hui puisqu'il était géré par l'Église, ça a constitué une voie à suivre pour beaucoup d'autres pays.

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Le Front National est dans une opération de réécriture de l'Histoire de France. Et quand il se revendique républicain comme aujourd'hui, on voit bien qu'il souhaite pourtant revenir à une période antérieure à la République.

« La France inscrira dans sa constitution 'La République ne reconnaît aucune communauté' ».
Il est déjà écrit dans la constitution que « La France est une République indivisible », ce qui revient sensiblement au même. L'idée du Front National derrière cette proposition qui n'est que de « l'affichage », c'est de montrer du doigt certaines minorités. Si à chaque fois qu'on prononce le mot « communauté » on pense « communautarisme », ça devient délirant. Le sentiment d'appartenance à la France n'exclut pas le sentiment d'appartenance à une autre identité. On peut se sentir breton et français, algérien et français, et ainsi de suite. De toute façon, les seules lois qui s'appliquent restent celles de la République. On ne fait pas des lois spécifiques pour tel ou tel groupe d'humains.

Après, la constitution française n'est pas un texte intouchable ; on peut la modifier. Mais pour cela, il faut d'abord que l'Assemblée et le Sénat s'accordent sur le même texte. Ensuite, il s'agit obtenir la majorité absolue des 3/5 ème dans les deux chambres parlementaires. Autrement dit, si le FN avait la majorité absolue à l'Assemblée Nationale, il n'aurait pas pour autant la capacité à réformer la constitution aussi simplement. Elle n'est pas modifiable aussi facilement que la loi. Mais vouloir faire des modifications comme celle-ci n'apporte rien. En France, on perd déjà beaucoup de temps sur des débats qui n'ont pas de conséquences concrètes.

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« Renégociation de la convention européenne des droits de l'homme et notamment de son article 8, utilisé par les associations de promotion des droits de l'homme pour accroître l'immigration vers la France »
Là encore, on est dans le fantasme pur. Il n'y a pas de coordination des politiques d'immigration au sein de l'Union Européenne. Chaque pays membre traite ce sujet là comme il l'entend. Mais cette proposition du Front National permet de s'apercevoir que ce qui ne lui plait pas dans la construction européenne, c'est la Convention Européenne des Droits de l'Homme et la construction d'un espace de paix ou progressent les libertés individuelles et les droits humains.

« Tous les bâtiments publics de France, qu'il s'agisse des administrations centrales ou locales, devront en permanence porter le drapeau français. Le drapeau de l'Union européenne ne sera plus autorisé. »
Là encore, on est dans le délire. Le drapeau français est déjà présent au fronton des administrations centrales ou locales. Il suffit de se promener dans la rue pour le constater. Et pourquoi opposer le drapeau français au drapeau de l'Union Européenne ? C'est symptomatique du Front National qui ne conçoit pas que l'on puisse combiner l'identité française avec le sentiment d'appartenance à l'Union Européenne. Beaucoup de Français se sentent à la fois français et européens. Et ça a du sens, on le voit dans un certain nombre de circonstances. Ça développe le sentiment de multi-appartenance qui est le meilleur antidote au racisme et à la montée du nationalisme. Mais ça ne plaît pas au Front National, qui est lui dans une logique d'exclusion.

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« Offrir à la Russie une alliance stratégique poussée fondée sur un partenariat militaire et énergétique approfondi »
Le Front National est admiratif de Poutine et le fait savoir en faisant ouvertement la promotion de son régime. Mais ce régime n'a rien de démocratique, il est autoritaire et fonctionne sur l'exaltation d'une Russie impérialiste. Il faut savoir qu'avec ce qui se passe en Crimée, c'est la première fois que nous assistons à l'annexion d'une partie d'un pays par un autre depuis la Seconde Guerre mondiale !

Je pense que cette proposition du Front National est totalement contradictoire avec les intérêts de la France et des valeurs défendues par notre pays comme le soutient à la démocratie. Il ne faut pas devenir une espèce de client privilégié de la Russie pour l'énergie, au contraire. Si la Russie devient un fournisseur important d'énergie pour la France, de gaz et de pétrole, on lui donne du poids économiquement.

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« Suppression de l'Aide Médicale d'État (AME) réservée aux migrants clandestins »
Déjà, la formulation est mauvaise puisque le terme « migrants clandestins » désigne toute personne arrivant en France sans avoir de situation régularisée. L'AME est une aide qui coûte plusieurs centaines de millions d'euros par an mais qui permet de soigner tout le monde, parce qu'elle prend en charge les personnes arrivant malades dans un hôpital et de les chiffrer. Il y a derrière un effort de transparence.

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Évidemment, il faut éviter que des individus viennent en France se faire soigner parce que chez eux cela coûte trop cher ou que les soins sont trop mauvais. Il faut mettre chacun face à ses responsabilités. Mais l'immigration de santé reste un phénomène marginal. Il ne faut pas en faire de grandes histoires du type « les étrangers vivent à nos crochets ». D'autre part, l'AME est une question de santé publique. On ne peut pas laisser la santé d'individus se détériorer et prendre en plus le risque de voir se propager des maladies infectieuses sur le territoire.

« Les entreprises se verront inciter à prioriser l'emploi, à compétences égales, des personnes ayant la nationalité française. Afin d'inciter les entreprises à respecter cette pratique de priorité nationale, une loi contraindra Pôle Emploi à proposer, toujours à compétences égales, les emplois disponibles aux demandeurs d'emploi français. Les administrations respecteront également ce principe. »
Premièrement, pour postuler dans la fonction publique, qui représente tout de même plusieurs millions d'emplois en France dans les administrations, écoles hôpitaux, etc. il faut déjà être de nationalité française. Ensuite, appliquer cette préférence nationale au secteur privé serait illégal puisqu'il s'agirait d'une discrimination à l'embauche et ce serait contraire à la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Et de toute façon, si une entreprise ne veut pas embaucher une personne à cause de sa nationalité ou de ses origines, elle peut déjà le faire de façon officieuse.

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Il faut aussi se demander pourquoi une entreprise française embaucherait des étrangers. Soit il s'agit d'un manque de personnes qualifiées en France pour un poste, soit de personnes motivées pour faire des emplois non-qualifiées dans la restauration, les abattoirs, etc. Par exemple, dans certaines zones qu'on appelle les déserts médicaux, on est obligé de faire venir des médecins étrangers pour exercer car personne d'autre ne veut le faire. On ne parle même pas ici d'emplois non-qualifiés mais de médecins !

Cette proposition du Front National qui cherche donc à rendre légale la discrimination est contradictoire pour ce parti : d'un côté ils ne veulent pas de communautés, de l'autre, ils considèrent qu'il y a des gens faisant partie de la communauté nationale et on donc droit à un travail, et d'autres non. Si cette proposition était appliquée, ces-derniers se feraient virer de leur travail, n'en retrouveraient pas, iraient à Pole Emploi où on leur dirait qu'on ne peut pas leur en donner. L'étape suivante ce serait quoi ? On vous expulse parce que vous n'avez pas d'emploi ? C'est du délire total ! Soit c'est infaisable, soit on bascule dans un régime qui n'a plus rien de démocratique.

« Garantir l'indépendance et la neutralité de la Magistrature : suppression du droit d'être syndiqué, de la possibilité de s'engager politiquement ou d'être candidat, d'écrire ou de témoigner au sujet d'une quelconque affaire ayant trait à leur fonction. »
Le Front National est toujours dans le soupçon d'une magistrature politisée ; et qui plus est, politisée de gauche. Les magistrats ne sont pourtant pas des militants qui, à travers leur fonction, tenteraient de faire progresser leurs idées.

Si les magistrats n'étaient plus syndiqués, ils ne pourraient plus faire remonter les difficultés qu'ils peuvent rencontrer dans l'exercice de leur métier. Et qu'est ce que cette proposition changerait à l'exercice de la justice en France ? Le Front National se sent visé ? Pourtant on ne peut pas dire que ce soit un parti maltraité par la justice française. Il est au contraire extrêmement procédurier.

Mais en France, de manière générale, les responsables politiques n'ont pas une relation saine avec la justice. Ils voudraient tous que la justice aille dans leur sens et si ce n'est pas le cas, ils crient qu'elle est politisée.

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