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La France doit-elle accueillir Edward Snowden ?

On a interrogé l'historien Patrick Weil, une des 170 000 personnes prêtes à l'héberger.

Une manifestation en soutien à Edward Snowden organisée l'année dernière à Washington. Photo via

Le 31 juillet prochain, le visa russe d'Edward Snowden, ancien agent de la NSA [National Security Agency], arrivera à expiration. S'il n'est pas en mesure de renouveler son visa, l'agent secret le plus connu de la planète sera donc contraint de quitter Moscou, où il a obtenu droit d'asile pour un an. En France, le 3 juin dernier, une pétition a été signée, appelant les responsables politiques à accueillir le lanceur d'alerte qui a révélé les dérives du système de surveillance de la NSA.

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Les révélations d'Edward Snowden ont montré que les collectes massives d'informations par plusieurs agences américaines concernaient des citoyens du monde entier et dépassaient largement le cadre de la lutte nécessaire contre le terrorisme ou contre les autres risques géopolitiques. Snowden a ainsi permis d'informer le grand public de ces dérives, en plaçant l'intérêt général et l'éthique au-dessus de la raison d'État.

SI Manuel Valls a clairement exprimé ses réticences à accueillir Snowden en France, la Constitution garantit l'accès au territoire français à tous les étrangers qui entrent dans la catégorie de ceux pour qui « une protection universelle est accordée, comme combattants pour la liberté ». Snowden – combattant pour la liberté ? C'est visiblement ainsi que beaucoup de Français considèrent l'ancien agent de la NSA. Mais aux yeux de la justice américaine, Snowden demeure coupable d'espionnage et de haute trahison. Le président Obama ayant exprimé son refus d'accorder la grâce à Snowden, le jeune informaticien – si jamais il devait rentrer dans son pays – serait jugé et risquerait alors une condamnation à perpétuité, si ce n'est la peine de mort.

Quelles seraient donc les conséquences diplomatiques entre la France et les États-Unis si Snowden venait chercher asile chez nous le mois prochain ? Pour comprendre les enjeux de cette décision, j'ai interrogé Patrick Weil, historien et politologue, spécialiste des questions d'immigration, et l'un des premiers instigateurs de la pétition pour accueillir Edward Snowden en France.

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Les quartiers généraux de la NSA, situés dans le Maryland. Photo via

**VICE : La pétition pour accorder l'asile politique à Snowden a déjà recueilli plus de 160 000 signatures, dont celles de nombreuses personnalités – comme Michel Rocard, Bernard Kouchner ou Jack Lang. Une fois l'objectif de 200 000 signatures **atteint, que se passera-t-il ?
Patrick Weil : Une fois cet objectif atteint, il se ne passera vraisemblablement rien. Mais face à la large mobilisation des Français pour soutenir Snowden, le gouvernement cherchera à ne pas trop communiquer sur ses réticences à accorder l'asile à l'ancien agent de la NSA. C'est d'ailleurs pour cela que je suis d'avis qu'il faut contourner la décision du pouvoir exécutif et passer par la voie constitutionnelle. En effet, la décision d'accueillir Snowden en France ne revient pas au gouvernement. La décision d'accueillir sur notre sol un étranger persécuté, une fois défini comme « combattant de la liberté », revient à des institutions juridictionnelles : l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, la Cour nationale du droit d'asile ou même le Conseil d'État en cas de recours. C'est donc bien à la justice de décider si Snowden a droit à l'asile constitutionnel ou non.

Une fois le verdict rendu, François Hollande et son gouvernement devront se plier devant une décision de justice, comme le ferait Barack Obama devant une décision de la Cour suprême. Si Obama refusait d'appliquer une décision de la Cour suprême, il serait démis de ses fonctions. C'est la même chose en France. C'est exactement la position que j'ai défendue dans ma tribune du Monde le mois dernier.

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L'article 53-1 de la Constitution, auquel vous vous référez, prévoit en effet que « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ». Quand et dans quel contexte cet article a-t-il déjà été mis en application en France ?
L'article 53-1 de la Constitution de 1958 a été adopté en 1998. Cet article a déjà été mis en application mais pour des cas assez rares, principalement pour des journalistes, qui restent dans la discrétion et l'anonymat car ils sont souvent recherchés dans leur pays d'origine.

Les réfugiés politiques qui bénéficient de ce statut en France sont en réalité assez peu nombreux parce que, comme le rappelle l'article de la Constitution, les personnes concernées doivent avoir engagé des « actions » substantielles en faveur de la liberté, et pas seulement des déclarations de principe. L'asile constitutionnel est plus restreint que l'asile conventionnel, car il concerne exclusivement des combattants pour la liberté. Mais il est plus protecteur, car il n'implique pas la présence en France du demandeur persécuté. Snowden, en révélant au monde entier les excès de la NSA, a pris un très grand risque. Il devrait donc bénéficier du statut d'asile constitutionnel en France. C'est du moins ce que la justice aura à décider dans les semaines qui viennent.

Photo via

La plupart des nations, y compris la France, ont des accords d'extradition avec les États-Unis. Seuls quelques pays n'ont pas signé ces accords. En faisant le choix d'accueillir Snowden, la France ne remettrait-elle pas en cause certains accords qui la lient avec les États-Unis ?
À partir du moment où la justice française reconnaît le droit d'asile constitutionnel à Snowden, elle garantit par là même sa sécurité au sein de nos frontières. On ne peut pas d'un côté accorder l'asile à un réfugié politique si c'est pour le livrer, de l'autre, au pays qui le poursuit ! C'est absolument contraire aux principes fondamentaux de la Convention internationale de Genève. Cette convention de 1951 relative au statut des réfugiés stipule que le statut de réfugié politique peut être accordé à toute personne qui se trouve « persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Cette convention, signée et ratifiée par 146 pays dans le cadre des Nations Unies, dépasse le périmètre des accords bilatéraux convenus entre la France et les États-Unis.

Pourrait-il y avoir des sanctions, et si oui, de quelle nature ?
À supposer que Snowden obtienne l'asile en France, il serait protégé de toute pression diplomatique que les États-Unis pourraient exercer sur la France. Cette protection est une garantie absolue du droit international. Mais en pratique, le problème pour la France, si Snowden était accueilli, ce serait d'assurer sa sécurité. Il faudrait employer des moyens considérables. Ce serait un cauchemar de ce point de vue. Si jamais Snowden était enlevé par des espions des services secrets américains (et c'est une hypothèse envisageable), ce serait un scandale, et la France aurait failli dans sa mission protectrice. C'est un risque que le gouvernement n'est certainement pas prêt à prendre.

Aujourd'hui, à seulement quelques semaines de l'expiration de son visa russe, quel est le meilleur intérêt d'Edward Snowden ?
Je ne sais pas quel est le meilleur intérêt de Snowden aujourd'hui – il faudrait demander à son avocat ! En tout cas, il est peu probable qu'il rentre en Amérique. Pour le moment, il est en sécurité en Russie. Il pourrait demander à la Russie de prolonger l'asile politique dont il bénéficie depuis l'été dernier. Je ne pense pas qu'il redemandera asile en France, car cet asile lui a déjà été refusé il y a un an. Mais au moins, le cas de Snowden m'a permis de faire connaitre en France et à l'étranger une procédure peu connue (l'asile constitutionnel) et qui pourra, à l'avenir, être utile à d'autres.

Merci beaucoup.