FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Arm & Tepr travaillent mieux dans l'ombre

Après avoir œuvré chacun de leur côté au sein de Psykick Lyrikah ou avec Yelle, les deux Bretons signent un album de rap électronique baptisé « Psaumes ».

Photo - Gildas Raffenel

Havoc et Prodigy, Dr. Dre et Snoop Dogg, DJ Medhi et 113, Drixxxé et Triptik… Sans leur faire injure, Arm et Tepr n’auront probablement jamais l’aura de ces duos de rappeurs/producteurs. Ça tombe bien, ils s’en tapent complétement. Leur album commun, Psaumes, a simplement été réalisé pour se faire plaisir, sans se soucier de sa réception ou de savoir si oui ou non il va leur permettre d’accéder à une plus grande reconnaissance publique. Après tout, les mecs sont habitués aux marges. Pour résumer, Arm a posé son verbe âcre et littéraire au sein de Psykick Lyrikah pendant plus de dix ans, tandis que Tepr officiait au début des années 2000 au sein d’Abstrackt Keal Agram avant de prendre une orientation pop, sinon house, ces dernières années aux côtés de Yelle ou de Woodkid. Rien d’étonnant donc à ce que les deux compères sortent un album à base de rimes noircies et de symphonies suffisamment puissantes et déréglées pour créer des univers sombres à la Akira.

Publicité

Tepr ayant eu un imprévu de dernière minute, on a rencontré Arm quelques heures avant leur release party au Silencio, probablement l’un des rares concerts qu’ils donneront côte à côte. « Il n’y aura pas de suite à ce projet, ce n’était que ponctuel », clame-t-il avec l’assurance de ceux qui savent où ils vont, les idées parfaitement claires. D’ailleurs, le rappeur rennais l’affirme : lui et son comparse sont déjà au travail sur de nouveaux projets personnels.

Noisey : Question bête, mais pourquoi ne pas avoir pris un nom de groupe plutôt que d’associer vos deux noms ?
Arm : On voulait faire au plus simple, et étant donné que l’on a deux blazes assez courts, on s’est dit ça pouvait fonctionner. Pour ne rien te cacher, on a cherché un nom pendant un temps, mais on n’a rien trouvé de mieux. C’est toujours compliqué et je ne voulais pas de ça. Que ce soit avec Psykick Lyrikah ou Abstrackt Keal Agram, on avait déjà tous les deux expérimentés ça, et on voulait revenir à quelque chose de plus simple. Et puis ce n’est qu’un projet ponctuel, il n’y a aucune intention de répéter cette collaboration à l’avenir. On a d’ailleurs prévenu notre label d’emblée : il n’y aura pas de suite. On n’a pas envie de donner beaucoup de concerts, on est tous les deux très occupés, on n’habite pas la même ville et on bosse déjà sur de nouveaux projets. Pour réaliser cet album, qui est venu chercher l’autre ?
C’était une envie commune. On se connaît depuis longtemps. Tepr était déjà sur la première cassette de Psykick Lyricah en 2003 pour le titre « Le Dernier Chapitre ». Il a retravaillé avec nous à plusieurs occasions, comme sur « Jusque-là » en 2011, et ça toujours été très simple avec lui. En plus, il amenait toujours une autre couleur à notre esthétique de base, sans doute plus électronique. Après, je ne pourrais pas te dire exactement comment ça s’est passé. À l’époque, j’ai dû lui proposer de développer cette collaboration sur un projet commun et, si je me souviens bien, c’est lui qui est revenu vers moi avec cette idée il y a quelques temps. On n’a pas cherché à intellectualiser le truc. On l’a fait trois sessions et en un peu plus d’une semaine. La troisième session, celle du mixage et de l’enregistrement, on l’a même bouclé en trois ou quatre jours. On ne voulait pas un truc trop léché, trop littéraire, il fallait que ce soit un album coup de poing, brut. On parlait beaucoup de Yeezus de Kanye West pendant l’enregistrement, de cette façon d’être à la fois dans le dur et dans le mainstream, et c’est un peu ce que l’on recherchait. C’est sans doute pour ça que mes textes sont moins élaborés qu’avant.

Publicité

C’est peut-être dû également à un besoin de renouvèlement, à une volonté de te sortir de cette image de « rappeur poétique » à laquelle tu es affilié ?
Tu sais, je ne me force pas à casser des choses installées, c’est juste des envies. Autant j’ai réussi à faire bouger pas mal de choses musicalement dans mes albums, autant j’ai beaucoup de mal à changer mon approche de l’écriture. Pour Psaumes, il fallait que j’arrive enfin à sortir de ma zone de confort, je voulais que mes textes collent aux sons. Mais ce n’est pas pour autant que je procéderai ainsi sur mon prochain projet. Chaque disque est un laboratoire, je ne vois rien comme un aboutissement. Je ne suis ni un fonctionnaire de la musique, ni en pilotage automatique, je peux donc me permettre de changer d’approche à chaque fois. Certains font plusieurs fois le même disque et le font parfois très bien, mais ce n’est pas ma vision.

Selon le communiqué de presse, Psaumes « raconte une virée nocturne au sein d’une ville imaginaire à la Néo-Tokyo »… C’est votre passion commune pour Akira qui vous a incité à développer un tel concept ?
Disons que ce n’est qu’une définition possible de cet album. Avec Tepr, on est passionné de science-fiction et de polar urbain à la Blade Runner ou Akira. On n’est pas du tout manga ou animation, mais Akira nous fascine. Ça a tellement bien vieilli, ça pose des ambiances et des univers hyper mystérieux. On avait envie de retrouver ça dans notre musique, de jouer avec un tel concept, sans forcément avoir un début, un développement et une fin comme j’avais pu le faire sur Des Lumières sous la pluie en 2004. Personnellement, quand j’écoute de la musique, j’ai envie de partir, et c’est sans doute pour ça que j’écoute peu de chansons réalistes. J’ai besoin de voyager, de me perdre dans des mondes, quitte à ne pas comprendre le sens de la chanson. Ce n’est pas du tout ce qui m’importe. En termes d’ambiance, Psaumes confirme quand même la tendance des derniers albums de Psykick Lyrikah, plus orientés sur les machines et des beats assez puissants ?
C’est assez juste. Sur notre dernier album, Jamais Trop Tard, il y avait plusieurs beatmakers, plusieurs univers et ça ouvrait de nombreuses portes. Mais encore une fois, ça ne veut pas dire que ce qu’on avait créé avec Tepr sur « Mon Visage » et qu’on a creusé sur Psaumes est une direction que je vais suivre dans le futur. On avait simplement envie d’exploiter à fond ce genre d’ambiances. J’aurais tout aussi bien pu chercher à développer les idées entrevues sur « Décembre », qui avait un côté très planant, ou sur « Le Soir pour toi », avec ses inclinations dubstep, mais je n’ai pas le temps de tout faire. [Rires]

Publicité

Sur « Rallumez-Les », tu dis : « Ils veulent les mêmes choses, toujours les mêmes choses / Ils veulent les mêmes trophées, courir les mêmes proses / Les mêmes ficelles qu'on tisse vite, vu qu'on sait faire / Tromper son monde pour ne pas trop les perdre. » C’est une attaque envers une nouvelle scène rap ?
Non, c’est plus une critique adressée aux auditeurs qui veulent toujours entendre la même chose. J’ai entendu tellement de fois des gens me demander de refaire un album dans l’esprit de Des Lumières sous la pluie avec des pianos mélancoliques que ça en devient frustrant. Quel est l’intérêt, après tout ? Je ne suis pas du tout prétentieux, mais je l’ai déjà fait et je sais que je maîtrise ce genre de morceaux. Moi, j’ai besoin d’aller vers autre chose, d’oser, et le rap français à l’heure actuelle encourage à prendre ce genre de direction. Entre le retour au boom-bap de certains artistes, l’innovation subtile de Nekfeu ou d’Alpha Wann et des projets à la PNL, c’est assez impressionnant. On reproche souvent à PNL la qualité de ses paroles. Toi qui est plutôt porté sur un verbe riche, ce n’est pas quelque chose qui te choque ?
Au contraire, je trouve qu’il y a une vraie singularité dans leurs textes. Je pense qu’en France, on a surtout du mal avec ces ambiances planantes et mélancoliques. C’est dommage parce que le travail effectué sur les voix est fantastique. Beaucoup devraient s’inspirer de leur façon d’utiliser l’auto-tune, c’est presque imparable. Si c’était chanté par deux petites nanas américaines, ça cartonnerait. Ça marche déjà pas mal pour eux…
C’est pas faux, et j’en suis le premier surpris, je t’avoue. Quand j’ai entendu QLF pour la première fois, bien avant le buzz, j’ai tout de suite accroché, mais je me suis dit d’emblée : « C’est dommage, c’est trop planant pour que ça perce en France ». Je me suis bien trompé apparemment… Et en termes de duo producteurs/rappeurs dans le rap, il y en a qui t’ont marqué ?
De tête, je vais te dire les classiques : Havoc et Prodigy, The Clipse et Pharrell, DJ Premier et Guru. Il doit y en avoir aujourd’hui également, mais je ne connais pas le nom des beatmakers. En tout cas, ce qui me fascine dans les projets que je t’ai cité, c’est l’impression que les couplets des rappeurs ne peuvent fonctionner que sur les instrus que les producteurs leur ont concocté. C’est impressionnant !

De ton côté, est-ce que ta place au sein du game te satisfait ou tu aimerais viser un peu plus haut ?
Honnêtement, je m’en fiche complétement. Je sais que j’ai une place un peu à part et que les règles du jeu sont telles que je suis en quelque sorte condamné à rester dans l’ombre, mais ça me va parfaitement. Je ne fais pas de la musique pour cette reconnaissance-là. Je sais que je suis déjà bien chanceux de pouvoir faire des albums, de pouvoir donner des concerts et de vivre de ma musique. Si je voulais accéder à quoique ce soit d’autre, je pourrais être déçu, mais ce n’est pas le cas. Lorsque j’étais en fac de cinéma à Rennes, je ne m’imaginais même pas que la musique pourrait m’emmener aussi loin. Tout à l’heure, tu parlais d’un nouveau projet. Ce sera un album solo ?
Oui, avec très peu d’invités et surtout pas des mecs avec qui j’ai l’habitude de travailler. Le mot d’ordre, c’est de réussir à faire sans Iris, Tepr, Olivier Mellano ou Robert Le Magnifique. Je ne suis encore qu’au stade des maquettes, mais ça avance et c’est ma priorité pour les prochains mois. Ça et un maxi de trois ou quatre titres que j’aimerais réaliser avec Le Parasite, un mec un peu dans la veine d’El-P. Tepr a lui aussi quasiment fini son album, très orienté house d’après ce que j’ai compris. Actuellement, il a très envie de se recentrer sur ses projets personnels, de lever le pied sur les collaborations. Si tu devais dire un truc gentil et un truc méchant à son sujet pour finir, ce serait quoi ?
Sa vitesse d’exécution est hallucinante. Il est tellement doué qu’il jette parfois des instrus que je trouve très bonnes, c’est assez dingue à voir. En revanche, j’aimerais qu’il revienne à des morceaux plus sombres et mélancoliques. Actuellement, il est plus dans un délire de sons un peu catchy et lumineux, et j’accroche moins. Mais bon, ce n’est pas un défaut, c’est une juste une question de goût personnel. Après tout, s’il n’avait pas ce genre d’envie ces derniers temps, on n’aurait jamais réalisé « La Nuit », un morceau presque pop que je n’aurais jamais fait sans lui. L'album Psaumes est disponilbles chez Yotanka. Les prochaines dates d'Arm & Tepr :

02/06 : PARIS – Le Nouveau Casino
03/06 : RENNES - L'Ubu