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Music

Le Rap c'était vieux avant

Lionel Vivier et Stéphane Ibars ont exhumé le cadavre du rap hardcore de 1993 et en ont fait une expo à 1000 lieues du street art.

Gravediggaz, soumis à l'épreuve du temps.

Geoffroy de Boismenu a shooté pas mal de gros noms du rap ricain du début des années 90. Son portrait de Biggie avec un spliff en biais est super connu et les adeptes du style camo/Timberland ont laissé la pochette de l'album des Gravediggaz graver des pans entiers de leur mémoire, pans qu'ils aiment ô combien réactiver aujourd'hui qu'ils sont devenus graphistes web pour le ministère de l'Équipement.

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La décennie suivante, un dégât des eaux noie les archives de Geoffroy. Il retrouve quelques photos rescapées, mais très abimées. Sur le coup, il est surtout dégoûté d’avoir perdu la quasi totalité de son boulot et met de côté le paquet sauvé mais dégradé. Puis il n’y pense plus trop.

L’an dernier, Lionel Vivier, directeur des marques de fringues Sixpack France et Dead Hommes, fait appel à Boismenu pour réaliser les images de son nouveau catalogue. En discutant, le photographe mentionne l’existence de cette boîte, qui intrigue tout de suite Vivier. Celui-ci vient justement de monter un binôme de directeurs artistiques avec le curator Stéphane Ibars (de la Fondation Lambert en Avignon) et se dit que les photos endommagées pourraient servir de base à une exposition sur ces choses devenues « cultes » dans le vide, aimées par des gens qui ne comprennent rien, et de leur redonner une vraie aura, monstrueuse, envahissante, pas du tout cool. La notion latine de horror vacui [la nature a horreur du vide] se retrouve vite au centre de leur projet. L’expo qui démarre ce soir prend de la place et démonte les attentes du public habitué à voir ces images dans les magazines ou sur le web.

On a posé quelques questions à Lionel et Stéphane, qui ont baptisé leur duo de DA : Les Garçons Sauvages.

Noisey : Les photos de rappeurs vintage, c’est bien relou en général, ça devient presque la nouvelle photo rock. En quoi votre expo va être plus intéressante que ça ?
L & S : La notion de vintage comme enrobage esthétique est relou en soit de toute façon. Un tirage vintage n'est rien de plus qu'un tirage d'époque. L'exposition n'est pas simplement une exposition de tirages d'époque. Elle mélange certains tirages d'époque à des tirages abîmés, presque détruits, fossilisés, à des planches contact, du papier peint réalisé par le studio My Name Is dans la tradition du cut up, des T-shirts, des images réalisées à partir d'agrandissements de fragments d'autres images…

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C’est juste des photos niquées que vous mettez en tas, sous cloche, pour les rendre plus fascinantes ? Ou c’est plus un genre de street-art adapté à la photo ? Ou c’est du land art mélangé à de l’art brut ? Du land art brut ?
L & S : Rien de tout ça, surtout pas du street art ! C'est d'ailleurs dommage de n'associer le rap qu'au street art. L'imagerie liée au rap est beaucoup plus riche. Le point de départ, c’était bien sûr ces images abîmées. Il ne s'agissait pas d'en faire des photos fascinantes. Ce qui nous a frappés c'est que leur état de détérioration et leur découverte dans cette boîte en faisait des éléments archéologiques. Le simple concours de circonstance de l'inondation du studio de Geoffroy et la redécouverte de cette boîte ont, d'une manière inédite, historicisé la scène rap des années 90. Nous voulions donc sortir ces images du piège du fétichisme vintage pour les amener encore ailleurs. Et comme pour toute une génération, le rap nineties est mort. Nous voulions jouer avec son cadavre…

Le dispositif de vitrine nous intéressait justement parce qu’il historicise, qu’il protège. Il met une distance avec le visiteur et replace cette scène dans un passé culturel admis. Pour ensuite redonner vie aux images, nous avons créé ce dispositif immersif fait de grands formats punaisés sur un papier peint et de photographies encadrées et accrochés sur les murs bruts. Geoffroy s'est prêté au jeu en scannant, en sélectionnant des fragments d'images pour en faire les grands formats que l'on voit en entrant.

Qu’est-ce que ces photos et votre scénographie permettent de faire ressurgir de ces rappeurs et de leur musique ?
L & S : Ca nous paraissait important a un moment où le rap est aussi devenu en partie un phénomène culturel de masse, avec tout ce que cela comporte. Ensuite, le fait de les ancrer d'abord dans un instant culturel précis, celui des années 90, pour les faire se redéployer aujourd'hui c'est montrer que musicalement ou artistiquement du moins, on ne déplace les frontières et on ne crée des ruptures qu'en étant pleinement conscient, du passé notamment.

Et à part ça, vous pensez quoi des nouveaux rappeurs genre Future ou Young Thug ? Vous trouvez qu’ils ont tué le vrai hip-hop ? Vous écoutez quoi ?
Lionel : C’est de la pop maquillée en musique de gangsters, pas tres viril tout ça, en même temps c’est normal car la tendance est plutôt au vintage, post moderne, haute couture, mash-up, modenschau, electro bauhaus camouflage. Leurs noms de scène font un peu pitié aussi. J’écoute beaucoup l'album de Mumdance et Logos,Tommy Wright III, et comme toujours l'album solo de Paddy Mc Aloon I Trawl The Megahertz qui en soit n'est pas très viril non plus.

Constant Elevation, jusqu’au 28 novembre à la galerie Art Ligue, 9 rue des Arquebusiers, Paris 3e.