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finance

Une cruelle saisie immobilière a poussé un couple à deux doigts de la mort

Un couple a subi du harcèlement psychologique et physique de la Bank of America, jusqu’à ce qu’un juge la condamne à payer une amende de 46 millions de dollars.
Illustration de Lia Kantrowitz

« Franz Kafka est en vie, il travaille à la Bank of America. » Ces mots du juge Christopher Kleins ouvrent son jugement rendu le 23 mars dernier en Californie, dans lequel il condamne la Bank of America à verser 46 millions de dollars pour le long cauchemar éveillé qu'elle a fait vivre à un couple, Erik et Renee Sundquist.

Le jugement renseigne sur la crise des saisies immobilières qui a bouleversé des millions de vies aux États-Unis. D'abord, le juge a affirmé que des hauts dirigeants étaient les responsables, et non des employés. Ensuite, le montant des dommages-intérêts à verser, pour une seule saisie, montre à quel point les agences de régulation et le gouvernement ont échoué à protéger les propriétaires de maison, en dépit de l'ampleur de ce qui a été révélé.

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Des inspecteurs qu'elle a engagés ont aussi harcelé les Sundquist : ils surveillaient la maison et les ont même suivis en voiture.

Les Sundquist ont acheté une maison à Lincoln, en Californie, en 2008, mais ils ont connu des difficultés financières parce que l'entreprise d'Erik Sundquist a été durement touchée par la récession. Le service des hypothèques de la Bank of America leur a proposé, comme à beaucoup d'autres, d'omettre volontairement de payer trois mois d'hypothèque consécutifs, ce qui leur permettrait de se qualifier pour une modification de leur hypothèque. Non sans hésiter à ruiner leur parfait dossier de crédit, ils l'ont fait.

Mais la Bank of America a rejeté ou jugé inadéquates environ 20 demandes de modification de l'hypothèque et, en parallèle, elle préparait la saisie, une pratique contestable appelée « double suivi » ( dual-tracking).

Les Sundquist ont dû déclarer faillite en juin 2010, ce qui leur a donné un sursis automatique faisant en sorte que la Bank of America ne pouvait saisir leur propriété avant la fin des procédures. Malgré tout, elle a procédé à la vente de la maison et ordonné l'expulsion. Des inspecteurs qu'elle a engagés ont aussi harcelé les Sundquist : ils surveillaient la maison et les ont même suivis en voiture.

La Bank of America a poursuivi cette violation de la vie privée, jusqu'à ce que les Sundquist, craignant d'être mis à la porte de chez eux, décident de déménager dans un logement en location. La banque a ensuite annulé la vente. Par conséquent, les Sundquist se retrouvaient de nouveau responsables de l'hypothèque et des frais d'entretien.

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Quand ils ont repris possession de leur propriété, tous leurs meubles avaient été vendus, les électroménagers avaient été emportés et les arbres autour de la maison étaient morts. Le syndicat de copropriété leur a facturé 20 000 $ pour ces piètres travaux d'entretien de la cour. Non seulement la Bank of America en a refusé la responsabilité, mais elle menaçait toujours de saisir leur propriété. Entre-temps, les intérêts sur l'hypothèque continuaient de croître, à un rythme de 35 000 $ par année.

Cette épreuve a brisé psychologiquement et physiquement le couple, deux athlètes de haut niveau (Renee, une patineuse artistique olympienne et Erik, un joueur de soccer de la NCAA). Renee a subi un infarctus causé par le stress et on lui a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique. Pour chasser sa douleur psychologique, elle se coupait fréquemment à l'aide d'une lame de rasoir. Dans son journal personnel relatant ces six années cauchemardesques, elle parle de son stress constant. « Tout ce que je fais, c'est pleurer », écrit-elle. Erik a fait une tentative de suicide.

En septembre 2013, les Sundquist ont eu gain de cause devant les tribunaux contre la Bank of America. Il revenait cependant à une cour fédérale de juger de la violation du sursis, l'élément principal de cette saisie illégale. Encore là, ils ont obtenu la sympathie du juge pour tous les abus subis.

Dans un jugement de 107 pages, le juge Klein a déterminé que la Bank of America avait enfreint le sursis imposé et illégalement saisi leur propriété. « Du début à la fin, cette mauvaise conduite de la Bank of America était intentionnelle », écrit le juge.

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En vertu de la loi, il peut imposer dans les cas comme celui-ci des dommages-intérêts compensatoires et punitifs. Il a d'abord condamné la banque à verser 1 074 000 dollars aux Sundquist en compensation pour les frais de logement, les frais juridiques, les revenus perdus, les dommages à la propriété, les frais médicaux ainsi que le stress subi.

En ce qui a trait aux dommages-intérêts punitifs, le juge a affirmé qu'ils devaient être suffisamment élevés pour avoir un effet dissuasif sur la Bank of America », surtout en raison de la responsabilité de la haute direction et de la culture d'entreprise. Il avait pour preuves des communications du bureau du PDG de la Bank of America destinées aux Sundquist et au Bureau américain de protection des consommateurs. Après que les Sundquist ont fait appel à cet organisme, écrit le juge Klein, la Bank of America lui a menti en niant qu'il y avait eu saisie.

« L'oppression qu'ont subie les Sundquist ne peut être attribuée à des employés qui ont contrevenu aux directives et ont trahi leur employeur, affirme le juge Klein. Tout indique que c'est la haute direction qui était aux commandes. » Il ajoute que la conduite du PDG « est à cheval sur la frontière entre les infractions civiles et les infractions criminelles ».

Selon Eric Mains, un ex-agent de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) qui a quitté l'agence pour mener son propre combat dans un cas de saisie, « le juge a signalé quelque chose de très important, dont tous les organismes de régulation sont au bien au fait. Cette sorte de culture corrompue ne peut se maintenir qu'avec l'approbation de la haute direction. »

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Après une longue réflexion sur la punition à servir à la Bank of America, le juge Klein a décidé de la condamner à payer 45 millions en dommages punitifs, à verser à des organismes qui luttent contre les abus financiers, dont le National Consumer Law Center, la National Association of Consumer Bankruptcy Attorneys et cinq écoles de droit publiques du réseau de l'Université de la Californie (UC-Berkeley, Davis, Irvine, Los Angeles et Hastings Law School). Le juge Klein a précisé que les Sundquist n'ont pas à payer leur hypothèque d'ici à ce que la Bank of America ait versé les 46 millions.

« Cet avis est certainement un coup de semonce à l'intention des services bancaires hypothécaires », estime Alan White, professeur de droit à la City University de New York.

En réaction au jugement, la Bank of America a rappelé que le prêt avait été accordé aux Sundquist en 2010 : « Les protocoles en place à ce moment ont été modifiés par la suite. Malheureusement, notre travail dans ce cas particulier n'a pas été satisfaisant. » Mais elle ajoute : « Nous croyons que certaines des décisions du tribunal sont sans précédent et sans fondement, et nous prévoyons de faire appel. »

Mais si une banque est condamnée à verser 46 millions de dollars pour une seule saisie, cela soulève une question : le gouvernement fédéral américain n'a-t-il pas été indulgent dans sa vaste enquête sur les plus grandes institutions financières des États-Unis après la crise de 2008? « Les agences de régulation gouvernementales n'ont pas protégé les Sundquist », écrit le juge Klein. Il en va de même pour des millions de propriétaires qui ont subi un sort semblable, mais n'ont pas porté leur cause devant les tribunaux ou n'ont pas trouvé un juge enclin à agir en leur nom, pour l'instant.

En réaction à la crise des saisies, l'administration Obama avait laissé les banques s'en tirer à bon compte. Elle avait vanté ses actions à répétition, même quand des examens subséquents ont révélé que les montants des amendes annoncés étaient scandaleusement gonflés ou du moins trompeurs. Si le tarif en vigueur imposé aux mégabanques pour chaque saisie fautive est de 46 millions de dollars, le moins qu'on puisse dire, c'est que le fédéral était dans le champ. Le juge parle de responsabilité criminelle des hauts dirigeants, et non des gratte-papier au bas de l'échelle, ce qui montre de plus une incapacité honteuse à inculper le moindre cadre supérieur pour des crimes liés à la crise financière.

« Ce n'est pas une condamnation d'une seule grosse banque, mais de toutes les banques qui poursuivent cette façon de faire illégale avec impunité, sans surveillance adéquate du gouvernement pour la faire cesser », conclut Eric Mains.

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