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Suisse

Faut-il faire ses adieux au secret bancaire suisse ?

L’Union Européenne et la Suisse sont parvenues, mercredi dernier, à entériner une décision qui devrait mettre fin, en 2018, au secret bancaire et donc à l’évasion fiscale dans le pays. Mais, le Parlement suisse doit encore entériner l’accord.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via Flickr / Pierre Schwaller

Dans un communiqué ce jeudi 27 mai, le gouvernement de la Confédération helvétique a confirmé l'application programmée de « l'échange automatique de renseignements fiscaux » avec les 28 pays de l'UE d'ici 2018. Cet échange qui deviendra automatique va rendre caduque la pratique des comptes cachés — qui permet de mettre à l'abri son argent en Suisse, pour échapper à l'imposition. Avant d'être appliqué, l'accord doit encore être ratifié par le Parlement suisse d'ici septembre 2015. Il peut aussi être soumis à un référendum, comme il est de coutume dans un pays féru de démocratie directe.

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Aujourd'hui tous les pays de l'UE peuvent déjà demander aux autorités helvétiques de vérifier si des ressortissants étrangers ont un compte en Suisse. Mais cet échange d'informations n'est pas « automatique » — comprendre qu'il est fait au cas-par-cas, souvent lent, et ne peut se faire que si le pays demandeur possède des informations préalables sur un potentiel évadé fiscal. « Le pays demandeur doit déjà avoir des soupçons sur un contribuable pour demander vérification de la Suisse, »explique à VICE News Antoine Bozio, économiste et directeur de l'Institut des Politiques Publiques (IPP).

Avec la mise en place de « l'échange automatique » — , les fiscs des 28 pays de l'UE vont recevoir la liste de tous les ressortissants de leurs pays respectifs qui ont un compte en Suisse. En 2017, les autorités suisses vont collecter les données bancaires, pour les échanger l'année suivante. Ainsi, à partir de 2018, il sera difficile de ne pas déclarer à son pays l'argent déposé en Suisse, puisque le fisc de votre pays d'origine saura si vous êtes titulaire ou non d'un compte en terres helvétiques. Pour le Commissaire européen à la fiscalité, Pierre Moscovici, il s'agit d'un « accord historique ».

Fighting tax evasion: EU and Switzerland sign historic — European Commission (@EU_Commission)May 27, 2015

Depuis 2009, en pleine crise économique, les pays accusés de faciliter l'évasion fiscale, comme la Suisse, sont sous la pression des plus grandes économies mondiales, notamment l'Allemagne, la France et les États-Unis. Les autorités américaines font la chasse à l'évasion fiscale — qui leur coûte 100 milliards de dollars chaque année. En 2009, la banque suisse UBS avait été la première à être condamnée à verser 730 millions au fisc américain pour avoir facilité l'évasion fiscale de citoyens américains. Dernièrement, l'image des banques suisses avait été à nouveau écornée par les révélations d'Hervé Falciani, ancien employé d'HSBC en Suisse, qui a mis au jour un système d'évasion fiscale international.

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Les autorités helvètes réfléchissaient depuis plus d'un an à la possibilité de mettre un terme au secret bancaire et à se conformer à l'échange automatique des données fiscales. Le pays vise une certaine normalisation de sa situation fiscale par rapport aux autres acteurs du jeu économique mondial. Une cinquantaine d'États se sont déjà accordés pour appliquer cet échange dès 2017, dont la plupart des pays du G20 — partenaires indispensables d'un pays comme la Suisse.

Pour Antoine Bozio, la décision helvétique est plutôt motivée pas des raisons « pragmatiques qu'éthiques ». Pour le spécialiste, en refusant de changer ses règles en matière de secret bancaire, « la Suisse risquait de se retrouver au banc du jeu économique. » Bozio rappelle que la Suisse « n'est pas un micropays, type Bahamas [pays des Caraïbes connu pour être un paradis fiscal]. Son économie ne vit pas uniquement grâce à l'industrie bancaire. Elle ne peut pas se permettre d'être coupée du monde — son économie dépend trop des importations et exportations. »

Si le secret bancaire est né au XIXe siècle en Suisse, il a été inscrit dans la loi suisse en 1934, notamment pour permettre de protéger les informations et l'argent d'individus qui étaient mis en péril par leur pays d'origine. Bozio cite notamment le cas des Allemands juifs qui risquaient de se faire spolier par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. « La Suisse était vue comme un pays de stabilité, une garantie contre les malversations, » rappelle l'économiste. Aujourd'hui, la raison d'être originelle du secret bancaire a été dévoyée, puisque nombre d'individus en profitent pour échapper à l'imposition.

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Avant de pouvoir rentrer en vigueur, l'accord signé ce mercredi avec l'UE doit désormais être ratifié par le Parlement suisse.

« Selon moi, il y a une forte probabilité que ça passe, » estime Antoine Bozio à propos des chances de ratification de l'accord. L'économiste ne manque pas de rappeler que certains partis politiques pourraient néanmoins campagne contre, notamment l'UDC (un parti de droite, tendance populiste et connu pour des affiches de campagnes qui avaient fait polémique). « Leur discours sera sûrement de dire que la Suisse gagne à attirer ces riches étrangers, » prévient Bozio.

La Suisse fait partie des derniers pays (dont l'économie ne repose pas uniquement sur l'industrie bancaire) à ne pas s'être plié à l'échange automatique des données fiscales. D'autres pays comme Singapour ou le Luxembourg ont assuré vouloir se conformer aux nouvelles attentes fiscales et faire tomber le secret bancaire.

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Image viaFlickr / Pierre Schwaller