Complots, magouilles et parano : la folle histoire des bidons sur le Tour

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Complots, magouilles et parano : la folle histoire des bidons sur le Tour

On trouve des bidons dans les voitures des directeurs sportifs, dans les musettes des coureurs, le long des routes. Ils alimentent craintes et suspicions chez certains.

Chaque année, il s'en écoule 35 000 sur le Tour. Moins classes qu'un maillot jaune, moins sexy qu'un bob Cochonou ou qu'un tour de cou Festina, les bidons n'en demeurent pas moins des accessoires phares du Tour de France. On les retrouve à tous les étages de la course : dans les musettes aux "points ravito", dans les voitures des directeurs sportifs, sur la moto-fraîcheur qui abreuve les coureurs esseulés et sur le paletot des équipiers des leaders, les bien-nommés porteurs d'eau, chargés de ramener le précieux breuvage à leurs champions assoiffés. Car en moyenne, un coureur peut boire jusqu'à 6 litres d'eau sur une étape. Le bidon est donc l'allié indispensable du coureur cycliste, qui lui prête une grande attention. A juste titre, car l'histoire du Tour fourmille de champions épinglés pour dopage, qui assurent avoir été chargés à l'insu de leur plein gré. Des excuses plus ou moins crédibles qui incriminent bien souvent des bidons. Le site cyclisme-dopage, encyclopédie de la piquouze cyclistique, en répertorie quelques-unes.

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Parmi les oies blanches injustement condamnées pour dopage, il y a le sprinter allemand Danilo Hondo, contrôlé positif au carphédon en 2005. Un stimulant qui semble avoir émoustillé l'inspiration du coureur de la Gerolsteiner, qui répond à ses détracteurs, candide : « Un bidon mal nettoyé pourrait être à l'origine des traces decarphédon dans mon organisme ». Une simple négligence donc. Mais entre victimes de manipulations, certains n'hésitent pas à pousser la surenchère toujours plus loin. Ainsi, Roger Pingeon, une des stars du cyclisme français des années 60/70, n'hésite pas à crier au complot après le Tour des Flandres 1971. Contrôlé positif, il s'indigne, révolté par l'injustice, car bien sûr le produit dopant retrouvé dans ses urines venait d'un bidon qu'un supporter lui avait donné en pleine course : « J'ai porté plainte contre X contre cette personne qui m'a passé le bidon incriminé. L'affaire suit son cours devant la justice belge. »

Une excuse qui fera date, puisque nombre de stars du peloton la sortiront de la musette après avoir été pris par la patrouille : Gimondi, Zoetemelk, Delgado et Fignon ont tous ont succombé au charme d'un bidon "piégé". Ridicules, ces accusations ? Parano, les coureurs ? Difficile à dire, tant plusieurs affaires de ce genre semblent leur donner raison. Andreas Troche, anonyme coureur ouest-allemand des années 60/70, remporte une belle victoire à Limoges en 1967. Contrôlé positif à l'arrivée, il accuse son compagnon d'échappée du jour, l'Espagnol Linarès : « Je n'avais plus rien à boire, il m'a tendu son bidon. Peut-être que celui-ci contenait un dopant. » Un coup de maître de l'inspecteur Troche, puisque Linarès est lui aussi contrôlé positif à l'arrivée…

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Avérées ou non, ces histoires de bidons alimentent craintes et suspicions au sein du peloton. A raison si l'on se replonge dans les aventures des pionniers du Tour, dont Paul Duboc faisait partie. En 1911, le coureur français remporte quatre étapes sur la Grande Boucle, et peut prétendre à la victoire finale à Paris. Mais il s'effondre dans l'ascension de l'Aubisque, terrassé par l'eau qu'il venait innocemment d'ingurgiter. Et pour cause, Paul Lafourcade, un ancien coureur cycliste, y aurait versé de l'arsenic ou de la strychnine. L'affaire étouffée par Henri Desgranges, le directeur de la course, qui parle d'une « légère indisposition », sera définitivement enterrée en 1915 avec la mort de Lafourcade, suspect numéro un.

Depuis, les histoires de ce genre se sont multipliées : en 1923, Ottavio Bottechia et Léon Scieur seront également victimes de bidons empoisonnés, et ces affaires concourent à entretenir le mythe. La grande famille du peloton serait-elle comparable à la dynastie des Borgia, déchirée par les complots, les intrigues et les manipulations ? La relation tumultueuse qu'entretenaient deux des plus grands coureurs italiens de l'histoire, Gino Bartali et Fausto Coppi, au cours de leur carrière semble le prouver. Sur le Giro 1949, Gino Bartali voit Fausto Coppi, qui le dominait cette année-là, jeter un bidon sur le bas-côté. Il mémorise l'emplacement, et revient quelques semaines plus tard pour le récupérer. Puis court le faire analyser dans un labo, pour savoir à quel produit son rival peut bien tourner pour carburer ainsi. Grosse déception pour Gino "le pieux", qui découvre que Fausto Coppi se dope à la bomba, le surnom donné aux amphétamines. Tout comme lui.

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A la même époque, le petit grimpeur français Jean Robic est entré dans la légende du Tour et des histoires de bidons. C'était en 1953 précisément, à l'occasion d'une étape pyrénéenne, alors que le Breton était à la lutte pour remporter le classement général. Comme le raconte Jean-Paul Ollivier aka "Paulo La Science" sur le site du Parisien, Robic et son directeur sportif avaient réfléchi à un moyen de gagner en vitesse dans les descentes pour compenser le manque de poids du grimpeur fluet. Quelques jours avant l'étape reine des Pyrénées, Léon Le Calvez, le patron de l'équipe de Robic, fait couler 10 kilos de plomb dans un bidon. Un des mécanos de l'équipe, placé au sommet du Tourmalet, est alors chargé de "dépanner" Jean Robic et de lui glisser le bidon en question à ce moment. Mission parfaitement accomplie, puisque les commissaires n'y voient que du feu. Sur sa selle, Jean Robic claque une descente de skieur alpin sur les pentes du géant pyrénéen. Jusqu'à la sortie de piste fatale. Déséquilibré par ce poids supplémentaire, le Breton chute, mais finit quand même par remporter l'étape. Il portera le maillot jaune la journée suivante, avant d'abandonner.

Une mésaventure de plus à mettre au passif des bidons, qui peuvent pourtant devenir les meilleurs alliés des coureurs. C'est une astuce vieille comme le peloton : le cycliste fatigué hèle la voiture de son directeur sportif. Il agrippe le bidon que lui tend celui-ci, et reste ainsi accroché à la voiture, qui le porte sur quelques hectomètres, voire plusieurs kilomètres quand les commissaires de course ont le dos tourné. Le "bidon-collé" dans le jargon cyclistique est aussi répandu sur les routes du World Tour que la simulation ou le tirage de maillot en Ligue 1.

Chaque année sur le Tour, Gilles Jalade, arbitre de son état, chasse les tire-au-flanc comme il le raconte sur le site velo101 : « Nous ne sommes que six sur la course, on ne peut pas tout voir et ils le savent. » En baroudeur émérite et en roublard de première, Jacky Durand, une figure du peloton des années 90, maîtrisait parfaitement ce petit jeu du chat et de la souris : « Quand je n'étais pas échappé et que ça roulait lentement, parfois je me portais volontaire pour aller chercher les bidons et m'accrocher quelques secondes à la portière. Mais comme j'étais connu des commissaires, ils me surveillaient constamment », glisse le vainqueur du Tour des Flandres 1992, hilare.

A l'avant comme à l'arrière, les bidons jouent donc les premiers rôles sur le Tour de France, et cette édition n'échappe pas à la règle. Sur la 8eme étape, au moment de basculer dans la descente du col de Peyresourde, Quintana a reculé de quelques mètres pour aller chercher de quoi se désaltérer. Froome en a profité pour attaquer, et nous offrir un des rares moments de panache du Tour 2016. En faisant la descente à bloc malgré son physique fluet, le leader de la Sky a donc marché sur les traces de Jean Robic, 63 ans après. Et si, jusqu'à preuve du contraire, il ne portait pas un bidon de 10 kilos sur son cadre de vélo, ce jour-là, Froome a bien plombé le moral de ses adversaires.