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Eloge de la différence

« J’ai longtemps cru que j’étais une anomalie »

Lors de la première rencontre nationale du collectif « Intersexes et leurs allié.e.s », qui s’est tenu ce week-end, on a rencontré Gabrielle, née avec un corps ni féminin, ni masculin. Comme 1,7 % de la population mondiale.
Image : Charles Chevillard 

Je m’appelle Gabrielle, j’ai bientôt 30 ans, je prépare un doctorat et je suis intersexe. J’ai longtemps cru que j’étais une anomalie et qu’il y avait quelque chose de monstrueux en moi. Quand j’ai rencontré d’autres personnes intersexes, j’ai appris à déconstruire et réinterpréter mon histoire. A ne plus penser l’intersexuation comme un désordre, mais comme une variation du vivant. Qu’est -ce qu’être intersexe ? Bonne question. Il y autant de façon de vivre son intersexuation qu’il y a de personnes intersexuées. Une définition, pour moi, fait particulièrement sens : « être intersexe désigne l’expérience des personnes qui sont nées avec un corps qui ne correspond pas à la définition normative du masculin et du féminin ».

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Les personnes intersexes peuvent apprendre leur intersexuation à différents moments de leur vie. Moi j’étais bébé, quand j’ai été opérée pour être assignée fille. Je ne m’en souviens pas, alors durant mon enfance, je ne me posais pas de questions. Je me suis interrogée à l’âge de onze ans, quand j’ai commencé à aller à l’hôpital tous les trois mois pour un suivi de traitement hormonal. A seize ans, alors que j’ignorais la nature des opérations que j’avais subies pendant la tendre enfance, on m’a prescrit des séances de dilatation vaginale. Comme ça ne fonctionnait pas bien, j’ai du me faire réopérer.

« Pour le corps médical, j’étais une erreur qu’il fallait corriger »

Je me souviens des mots du chirurgien, m’annonçant au réveil, qu’ils avait vérifié et qu’ils avaient pu “introduire l’ équivalent d’un pénis de taille moyenne”. Personne ne me demandait quelle sexualité je souhaitais avoir ou quel était mon désir. La seule chose dont il voulait s’assurer, c’était que je pouvais être pénétrée. Ces violences, ces mutilations sont aujourd’hui encore imposées aux personnes intersexuées. Les opérations que l’on subit n’ont qu’un but esthétique, alors qu’être intersexué.e ne représente aucun danger pour notre santé Il s’agit en fait de nous faire rentrer dans les normes de genre, alors que justement nos corps ont des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux critères binaires types des corps masculins ou féminins.

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La prise en charge à l’hôpital a marqué le début du grand non-dit. Parce que malgré toutes ces heures passées dans des services hospitaliers, on me le martelait : j’étais une fille normale. Les médecins ne disent rien, entretiennent le secret et aseptisent le discours. Ils se contentent d’une approche pathologisante et neutre. Ils sont terrifiés d’avoir fait une erreur, de nous avoir assigné le mauvais genre à la naissance.

Cette période là n’était qu’un épais brouillard. J’étais déprimée, je souffrais sans en saisir la cause. Comme je n’avais pas les mots pour me dire et raconter mon histoire et j’étais incapable d’exprimer mon mal-être. J’avais l’impression de ne correspondre à aucune case. En cours de biologie, quand on étudiait la reproduction et notamment les différences entre les sexes, je me demandais en permanence : et moi, où est-ce que je me situe ? Pour trouver des réponses, je passais mon temps à trainer sur le web. J’ai l’impression d’avoir retourné internet ! Google était mon meilleur ami. Les médecins ne disaient que trois fois rien sur la nature des opérations et sur ce qui les avait poussé à les faire. Mes parents, eux, étaient comme muets. Leur souffrance semblait évidente mais, face au tabou, il était impossible de communiquer.

J’ai fini par mettre la main sur un bout de mon dossier médical. Un compte rendu opératoire, expliquant ce qu’on avait fait à mon corps. J’ai été prise en charge quelques temps après ma naissance. J’ai été opérée, assignée femme. Comme d’autres, on m’avait prélevé les gonades puis créé un sexe “crédible” - c’est le terme qu’emploie les médecins. Tant de centimètres pour le clitoris, les grandes lèvres comme-ci et pas comme ça, se débarrasser des testicules. Vient ensuite une autre opération, on fait en sorte qu’un vagin puisse être pénétré.

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Apprendre n’a pas été tout de suite une libération. Je pouvais désormais mettre des mots sur ce que j’étais, mais avec la grille de lecture et le vocabulaire du corps médical. Pour eux, j’étais une maladie, une erreur pathologique. Là s’exprime toute la violence de l’invisibilisation des personnes intersexes. Au cinéma, dans les livres, dans la musique ou dans les discours politiques, et plus généralement dans l’imaginaire collectif, nous n’existons pas. Au mieux, nous tenons du mythe d'hermaphrodite mais le seul discours qu’on entend régulièrement, et qui fait autorité, est celui de la profession médicale.

J’allais mal. Très mal. J’essayais de comprendre ce que j’étais, mais je ne pouvais en parler à personne. Puis, j’ai trouvé un équilibre, mais en niant mon identité. Il ne fallait pas que j’existe. Une douleur violente, permanente, qui s’exprimait par des angoisses terribles et des prises de risques grandissantes.

« Dans l’imaginaire collectif, nous n’existons pas »

Rencontrer une personne intersexe fut un soulagement immédiat. C’était il y a un an. Nous nous sommes d’abord apprivoisées par mail avant de se rencontrer sur Paris. Pendant trois jours, nous n’avons cessé de parler. C’était d’une intensité folle : pour la première fois, je pouvais puiser dans d’autres mots pour dire une réalité qui était la mienne. D’un seul coup, cela devenait plus simple. Je savais que plein de choses allaient être compliquées, qu’il allait falloir continuer à faire avec, apprendre à mieux construire mon histoire et à la mettre en mot.

Cette rencontre a tout changé. J’ai atteint un niveau de bien être que je connaissais pas dans ma vie. J’ai appris à comprendre mon corps, à être indulgente avec lui, à ne plus le malmener, à en parler. J’ai appris à l’intégrer dans un récit plus grand. J’ai appris un langage militant, je me suis appropriée certaines mobilisations et les revendications associées. Je suis devenue un membre de groupe de paroles, pour aider les personnes intersexes à se parler, à comprendre, à aller mieux. J’en ai reparlé à mes parents alors que nous n’avions pas évoqué le sujet depuis dix ans.

Je milite depuis au sein du collectif Intersexe et Allié.e.s. J’écris, j’interroge, je forme des gens mais je ne suis pas prête à assumer une histoire que je ne souhaite pas exposer. La plupart des gens qui se définissent comme intersexe ne sont d’ailleurs pas encore capables de parler publiquement, à visage découvert, parce que le traumatisme est trop grand et qu’il faut apprendre à surpasser la honte de ce qui nous a été fait. La violence sur les corps est effroyable.
Aujourd’hui, notre combat a deux enjeux. Un premier tourné vers “nous”, vers la communauté intersexe pour arriver à construire notre communauté. Il faut que les familles et les jeunes intersexes se sentent entourés, puissent échanger et gérer leurs vies.

L’autre enjeu est tourné vers l’extérieur pour qu’on fasse entendre notre voix. Faire cesser les opérations non consenties, qui relèvent qui relèvent de l'esthétique et pas du thérapeutique, apparaît comme la plus importante des priorités. Il faut pour cela lutter contre la désinformation médicale, faire changer les représentations et surtout prendre de la place dans le débat politique. Exister en somme, montrer que nous ne sommes pas des anomalies mais bien des variations du vivant, et que nous pouvons exister pour ce que nous sommes, dans le genre que nous souhaitons.