Les jeunes boivent moins, pas mal moins qu’avant
Illustration par Mathieu Rouland 

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Dossier sobriété

Les jeunes boivent moins, pas mal moins qu’avant

Des indices pointent tranquillement vers une baisse de la consommation d’alcool chez les jeunes.

Payton a 22 ans et étudie à l’Université McGill dans un programme de maîtrise en psychologie. Il y a trois ans, elle a chassé de sa vie l’alcool et les drogues dures. Elle se considère comme sobre, sauf pour le cannabis, qu’elle consomme encore. « La dernière fois que j’ai bu remonte à plus d’un an. J’ai cessé graduellement, je n’avais pas nécessairement un problème de drogue. Je n’étais pas accro. J’avais juste l’impression que ça n’apportait rien de bon dans ma vie. Ça fait environ trois ans que j’ai commencé tranquillement à me dire que je ne voulais plus boire et, depuis un an, je ne bois plus du tout », explique au téléphone la jeune femme aux cheveux bleus, alors que son chat miaule en arrière-plan.

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Il y a plusieurs raisons qui ont poussé Payton à cesser de consommer. « Je souffre de dépression chronique et, lorsque je buvais quelques verres, je me sentais plus déprimée pendant à peu près une semaine. » Mais celle qui ressort le plus est une écœurantite de l’omniprésence de l’alcool dans la culture universitaire. Alors qu’elle étudiait à l’Université Bishop’s dans les Cantons-de-l’Est, elle a été frappée par les effluves éthyliques qui parasitaient la plupart des activités sociales de son établissement universitaire. « L’alcool a une grosse place dans la culture là-bas. La pression de boire parce que tout le monde le fait, juste pour socialiser, était tellement intense. » Et pour Payton, tout cet alcool contribuait à révéler des comportements inacceptables : certains gars profitaient de la vulnérabilité de certaines filles. « C’était comme dans les films où on voit des gars qui tentent de rendre les filles très saoules dans le but de profiter d’elles. » Pendant sa première année, lorsqu’elle sortait dans des bars sur le campus avec ses amis, elle ne voyait que les conséquences néfastes d’une consommation d’alcool excessive. « Je regardais autour de moi et j’étais vraiment dérangée par le comportement irrespectueux des gens entre eux, et c’était comme s’ils utilisaient l’alcool comme excuse pour ne pas prendre leurs responsabilités. »

Sobres, pas sobres

Au Royaume-Uni, la génération des 16-24 ans est la plus sobre de l’histoire du pays. Dans une récente étude sur 10 000 jeunes, près du tiers se sont dits sobres, du jamais vu. Dans son analyse, l’auteure principale, la Dre Linda Ng Fat, a noté que l’augmentation du nombre de jeunes qui choisissent de ne pas boire d’alcool donne à penser que la sobriété pourrait devenir plus acceptée, et que d’autres comportements plus risqués, comme la surconsommation d’alcool, pourraient devenir de moins en moins normalisés.

Au Canada, le portrait de la consommation est plus nuancé, et les données existantes indiquent une diminution, plus qu’une abstinence.

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Les données compilées au fil des années par l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues montrent que la consommation d’alcool est en baisse depuis 1979 chez les Canadiens, et cette tendance était déjà soulignée dans le rapport de 1994. Entre 2013 et 2017, le pourcentage des 15-19 ans qui disent avoir consommé de l'alcool au moins une fois dans les 12 derniers mois est passé de 60 % à 57 %. Ce taux est cependant resté stable à 83 % chez les 20-24 ans.

Dans le rapport La consommation excessive d’alcool chez les jeunes Québécois : portrait et évolution de 2000 à 2012 de l’Institut national de Santé publique du Québec (INSPQ), qui s’intéressait aux habitudes des jeunes de 12 à 35 ans, il est indiqué que « les cohortes nées dans les années 1980 ont montré un risque plus accru de consommer de façon excessive et ce risque semblait plus faible chez les cohortes plus jeunes qui sont nées entre 1990 et 1995 ».

Sébastien Tessier, conseiller scientifique de l’INSPQ, ne voit pas de tendance vers la sobriété pour le moment au Québec. « Si je regarde les données d’enquête depuis le début des années 2000, je ne vois pas de variation notable dans les proportions d’abstinents chez les jeunes Québécois de 15 à 24 ans (15 % en 2000-2001 à 16 % en 2013-2014) », explique-t-il par courriel. « Ce que nous voyons, c’est que les nouvelles générations semblent moins portées à consommer de façon excessive. Nous verrons dans les prochaines années si le phénomène se poursuit ou non, mais pour l’instant, ce phénomène de cohorte n’a pas d’impact sur les prévalences de consommation excessive dans la population de jeunes Québécois. »

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Illustration par Mathieu Rouland

Au début du mois de décembre, l’Institut de la statistique du Québec a publié une grande enquête pour documenter la santé des jeunes au secondaire. Plus de 62 000 élèves ont participé à cette étude, répartie dans 465 écoles secondaires privées et publiques de la province. Il en ressort que « la consommation régulière d’alcool et de drogues, tant chez les garçons que chez les filles, [est] en net recul depuis 2010-2011 », passant de 12 % à 8 %. La consommation excessive d’alcool affiche aussi un déclin, passant de 41 % à 34 %, et touche autant les gars que les filles.

Pour Sébastien Tessier, ces nouvelles statistiques sont encourageantes, mais il est trop tôt encore pour dire si cette tendance est propre à une génération. Toutefois, « les diminutions observées semblent démontrer un certain changement de comportement face à l’alcool chez les jeunes du secondaire au Québec », avance le conseiller scientifique.

En Ontario, la situation se compare à celle du Québec. Un sondage de 2017 mené par le Centre de toxicomanie et de santé mentale auprès de plus de 11 000 étudiants a révélé que la consommation d’alcool, de tabac et de cannabis est historiquement basse depuis les années 70. Ce creux notable est mesuré depuis les années 90. Juste pour l’alcool, le nombre de jeunes en ayant consommé dans la dernière année est passé de 66 % entre 1999 à 43 % aujourd’hui. Selon le Dr Robert Mann, questionné par Radio-Canada, cette baisse s’explique par l’efficacité des campagnes de sensibilisation sur les effets néfastes de la consommation.

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Il ressort que, bien que les jeunes adultes ne semblent pas encore pencher vers un mode de vie sobre, les jeunes du secondaire, eux, se désintéressent clairement de l’alcool.

Pas un changement de culture, mais…

Payton n’irait pas jusqu’à dire qu’il y a un changement de garde. La culture de l’alcool est toujours très présente à l’université. « Je crois qu’il y a une sous-culture, avec une minorité d’étudiants qui sont très dévoués à la sobriété. » Elle note toutefois que, pendant la semaine d’initiation, il existe maintenant une équipe « dry », sans alcool, ce qui n’existait pas lors de son entrée à l’université.

Dans son cercle d’amis, ce sont les espaces queers qu’elle fréquente qui ont tendance à être exempts d’alcool. « Peut-être que les personnes se sentent plus confortables, donc elles ne ressentent pas le besoin de boire? » Et ce n’est pas qu’elle cherche à tout pris les lieux sobres, c’est plutôt pour éviter les comportements déplaisants qui accompagnent la consommation : « Je pense que l’idée, pour la plupart des gens qui ne boivent pas, ce n’est pas d’éviter les espaces avec de l’alcool, c’est plutôt de ne pas être entourés de personnes qui boivent excessivement. Ce sont deux choses différentes. »

Ce désir de socialiser grâce à la sobriété, Jean-François Touchette, un étudiant au certificat en publicité de l’Université de Montréal, l’a vécu de manière foudroyante. L’homme de 40 ans qui était en retour aux études, et sobre depuis quatre ans, voulait profiter de la vie étudiante sans faire une croix sur son choix de vie.

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Afin de rencontrer d’autres personnes comme lui, il a publié un message sur la page du groupe Facebook des nouveaux étudiants. « J’ai juste écrit : “Allo! Moi je suis un nouvel étudiant, et je consomme pas pis je ne bois pas d’alcool. Si jamais ça te tente de faire quelque chose, viens me jaser.” Finalement, je me suis ramassé avec 200 likes et plein de monde qui commentait. Sans m’en rendre compte, je venais d’ouvrir une discussion. Je commençais à recevoir plein de confidences. » Bombardé de messages et de témoignages de jeunes qui ne se retrouvaient pas dans la mentalité de consommation de la vie universitaire, l’étudiant a décidé de fonder une association officielle, Sobriété UdeM, pour permettre à tous de pouvoir être en contact, et surtout de s’organiser pour offrir lors des partys étudiants une option sans alcool plus intéressante qu’une bouteille d’eau, comme de la limonade à la lavande ou des mocktails avec des sirops de fruits faits maison. « Juste cet automne, avec les différents partys de rentrée, on a servi plus de 600 consommations. »

« J’ai eu beaucoup de soutien dès le départ parce que c’est bon pour l’image de l’université de faire une place à ça. Et qu’ils n’ont pas besoin de s’en occuper, il y a des gens qui sont prêts à le faire », explique-t-il sur la nécessité de proposer des options sans alcool dans les partys sur le campus.

Ce qui ressort, c’est que son initiative d’abord personnelle, puis communautaire, a touché une corde sensible. « Tout le monde m’a dit : “Tu as vraiment mis le doigt sur quelque chose qui devrait être normal qu’on s’en préoccupe.” On a mis le doigt sur une affaire dont personne parlait. » Il croit que s’il avait proposé une initiative il y a dix ans, « ça aurait été encore plus extraterrestre comme idée ».

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Et il a raison. Les études ne prévoient pas l’avenir, mais les ados d’aujourd’hui représentent ceux qui sont le moins tournés vers la consommation, et ce, depuis des lustres. Ce n’est pas anodin que des espaces à tendance sobre soient réclamés dans les universités et qu’il y ait une forte demande pour des boissons sans alcool. Comme le marché des bières sans alcool qui est en expansion, avec certaines microbrasseries qui développent des IPA et des stouts exemptes d’alcool.

Les chiffres laissent entrevoir que la sobriété ne sera plus exceptionnelle chez les nouvelles générations, comme elle l’a été jadis, et que la norme pour un jeune adulte de 18 ans ne sera plus nécessairement de se torcher la face le vendredi soir avec ses amis.