Life

La vie est plus belle sans papier toilette

Une fois que vous maîtriserez la technique de la main, vous vous demanderez pourquoi vous avez passé toutes ces années à essuyer vos fesses avec du papier sec.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
une femme tient une bouteille d'eau
Photo : MARIELA NAPLATANOVA/Stocksy 

Parmi les nombreuses choses inquiétantes qui ont émergé en parallèle de l'épidémie de Covid-19, on peut citer l'obsession apocalyptique de certains pays pour le papier toilette. Bien que les experts de l'industrie assurent que le produit est toujours disponible en abondance, les gens insistent pour remplir leurs caddies (et leurs voitures) de rouleaux. Les étagères sont vides. Des toilettes sont cambriolées. Un service de police de l'Oregon, aux Etats-Unis, a même dû publier le communiqué suivant : « Il y a une pénurie de papier toilette. Ça va passer. N'appelez pas le 911. On ne peut pas vous amener du papier toilette. »

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Lorsque des peurs aléatoires comme celle-ci remontent à la surface – clowns effrayants, attaques sonores, cultes sataniques, même le bug de l'an 2000 –, cela en dit long sur la société. Mais que penser de l'émergence soudaine du SAPT, ou syndrome d'anxiété lié au papier toilette ? S'agit-il d'un véritable problème ? S'agit-il d'un microcosme de notre expérience quotidienne des toilettes ? Ou bien sommes-nous encore au stade oral-anal du développement de la société ?

Ma fille adolescente me mettrait dans la dernière catégorie. Mais cette question me tient particulièrement à cœur. Parce qu'il y a quelques années, quand j'étais un jeune routard, j'avais la même angoisse. Pendant des années, j'ai voyagé avec mon propre papier toilette, parce que j'avais peur – ou plutôt, j'étais terrifié – à l’idée de me retrouver dans un endroit où il n'y en avait pas.

Et des endroits où il n’y en avait pas, ça n’en manquait pas en Afrique de l'Est et de l'Ouest, en Asie du Sud-Est et dans les Caraïbes. Il y avait généralement un tuyau, une bouteille ou une bouilloire à côté des toilettes. Mais je n'ai jamais compris la logistique, le protocole et le décorum en jeu. J'ai vécu en Italie pendant toute une année dans le cadre d'un échange étudiant, avec un bidet dans ma chambre que je croyais être un simple lavabo étrangement bas.

C'était en quelque sorte le cas, mais je ne savais pas que c'était un lavabo réservé aux fesses. Si j'avais su à l'époque ce que je sais maintenant, ma vie aurait été tellement plus facile, beaucoup moins angoissée, et j'aurais eu beaucoup moins d'irritations. Désormais, j'ai une sagesse durement acquise à partager.

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D'abord, une expérience de pensée : si vous vous promeniez pieds nus dans votre jardin et que vous aviez le malheur de marcher sur les crottes fraîches de votre chien, quelle serait votre réaction ? Est-ce que vous vous diriez : "Bon sang, il me faut à tout prix un bout de papier sec qui se déchire facilement pour m'essuyer le pied" ? » Non. Vous iriez rapidement chercher un tuyau d’arrosage ou un évier. Et du savon. Et vous vous frotteriez le pied avec vos mains. Tout cela pour dire : le papier toilette n'est pas la meilleure solution. Je dirais même : vous n'avez vraiment pas besoin de papier toilette.

Le papier toilette, c'est sympa, mais les humains vivent très bien sans lui depuis au moins 70 000 ans. Ou peut-être beaucoup plus. Ce n'est que récemment que les habitants de certains pays sont devenus dépendants aux fameux rouleaux molletonnés. Qu'utilisait-on avant ? Et que devrions-nous utiliser aujourd'hui ? De l'eau. Et une main.

Voilà, je l'ai dit. Personne n’en parle, et c’est dommage. Cela épargnerait d'innombrables arbres, des quantités d'eau infinies et des heures d'inquiétude. Le processus n'est pas trop difficile. La logistique est simple. C'est le fossé mental et culturel qui est difficile à franchir. Mais qu'est-ce qui vous attend de l'autre côté ? Un cul parfaitement propre.

Selon le point d'eau dont vous disposez, vous pouvez vous y prendre de plusieurs façons. Les Japonais ont des toilettes fantaisistes qui projettent de l'eau dans toutes les directions et à toutes les températures. Beaucoup d’Européens ont des bidets. En Thaïlande, on trouve un spray pour les mains dans chaque salle de bains. Dans d'autres endroits, vous verrez une bouteille ou une bouilloire à côté des toilettes.

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En temps normal aux États-Unis, vous pouvez commander un nombre illimité de bidets pour vos toilettes. (Maintenant, il faut attendre.) Mais à proprement parler, ces technologies ne sont que des variations d’un même thème, à savoir porter de l'eau à votre anus, et vous n'avez pas besoin d'un outil spécial pour cela. Avec un bidet ou un spray, c'est plus simple, mais n’importe quel récipient fera l’affaire.

Une fois que l'eau a atteint la zone souillée (pas avant), utilisez votre autre main pour aider à éliminer les déchets. En fonction de votre régime alimentaire, cela peut prendre plus ou moins de temps et d'eau. Mais avec de la pratique, c'est très rapide et efficace. En Italie (je le sais maintenant), les gens mettent une noisette de savon dans leur main avant de procéder au nettoyage.

Si vous le souhaitez, et si vous avez le luxe de vous le permettre, vous pouvez utiliser une feuille de papier toilette pour terminer le travail. Mais ce n'est pas nécessaire. Une fois nettoyé et rincé, vos fesses sont propres. Pour finir, lavez-vous les mains avec du savon. Tant que vous les frottez ensemble plus de six fois sous l'eau courante, les bactéries devraient avoir disparu.

Il faut s'y habituer, et je ne m'attends pas à ce que cette pratique soit largement adoptée de sitôt. Mais une fois que vous aurez pris le pli, vous vous demanderez pourquoi vous avez passé toutes ces années à essuyer vos fesses avec du papier sec. Vous vous demanderez comment nous nous sommes retrouvés dans cette situation, et vous espérerez que nous pourrons en sortir. Du moins jusqu'à ce que nous n'ayons plus de savon.

Frank Bures est l'auteur de The Geography of Madness, un livre sur les syndromes les plus étranges au monde.

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