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LE NUMÉRO PHOTO 2008

Mary Ellen Mark

Mary Ellen Mark est doublement géniale.

Life, Esquire et Look à la fin des années 60 et a obtenu son ticket pour le pays des stars en 1969, grâce à une série sur le tournage du « Satyricon » de Fellini. Depuis, elle a pris quelques-unes des photos les plus émouvantes de Brando, Jodie Foster ou Johnny Depp. Mais ce qui nous touche le plus c’est son œuvre documentaire. En 1979, elle séjourne auprès des patientes d’un hôpital psychiatrique de haute sécurité pour femmes, une série qui donnera « Ward 81 », un bouquin poignant. Un peu plus tard, sa série « Falkland Road » montre le quotidien quasi militaire d’un bordel de Bombay. Elle a aussi, et entre autres, photographié la vie de toxicos working class anglais, d’un cirque indien, des membres des Nations Aryennes, et une famille noire pauvre en train de fêter Halloween dans le Bronx. Elle est considérée comme un maître de l’instantané, en observant ses personnages, on a la sensation de les connaître depuis toujours. En 1983, Mary Ellen et son mari Martin Bell, signent une série pour Life sur des jeunes fugueurs à Seattle et décident de retrouver leurs sujets, pour tourner un documentaire cette fois-ci. 25 ans plus tard « Streetwise », une bonne tranche de réalité brutale, est toujours cité comme une source d’inspiration majeure par tous les documentaristes. Suite à la réédition du livre original, on a voulu savoir ce que sont devenus Tiny, Rat et Shadow. Vice : On fête le 25e anniversaire de la sortie de « Streetwise ». Vous êtes encore en contact avec vos sujets ? Mary Ellen Mark : Avec Tiny, oui. Martin et moi sommes retournés à Seattle il y a deux-trois ans pour prendre des nouvelles. Mais je n’y suis pas retournée depuis. Je l’ai prise en photo à la naissance de son neuvième enfant mais on n’a pas pu revenir pour le dixième ! (rires)

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Elle vit où ? Dans la banlieue de Seattle, près de l’aéroport. Et les autres ? Rat, par exemple ? Il vit dans un pick-up. Je suis un peu surpris qu’ils soient toujours vivants. Rat a fait de la prison, plusieurs fois. Je crois que Mike est en prison. Shadow est agent de sécurité. Attendez… Patti est morte du SIDA… Je crois que Roberta a été tuée par Gary Ridgway (le tueur de la Green River, ndlr). Lulu est morte il y a des années, elle a été poignardée. En regardant le film, on avait l’impression que Tiny mourrait avant d’être adulte. Ouais, elle dit qu’elle serait curieuse de subir des tests médicaux pour comprendre pourquoi elle est allée si loin. Au fait, elle est mariée maintenant, ses cinq derniers enfants sont du même père. Dix gamins… Pas mal du tout !« Streetwise », c’était une commande ? C’était une commande pour Life. Je suis restée environ trois semaines sur les lieux. Comment est-ce que vous avez gagné leur confiance ? Vous viviez dans leur quartier ? Non, mais on connaissait les gamins. L’auteur de l’article – qui est mort lui aussi, d’ailleurs – a fait leur connaissance petit à petit. On est devenu leurs amis et Lulu, une des ados, nous aimait vraiment beaucoup. C’est essentiellement grâce à elle qu’on a pu approcher les autres. J’aime beaucoup la photo de Tiny qui porte un chapeau et des gants pour Halloween. C’est un très beau portrait. En fait, je connaissais le cliché depuis des années sans savoir d’où il venait. Je l’avais vu dans la chambre d’une amie… C’est très étrange comme certaines photos passent l’épreuve du temps. J’imagine qu’il y a quelque chose de particulier dans son visage ou son chapeau – elle était si belle. C’est une des photos que j’ai prise le plus facilement, elle ressemble à une photo de mode. Mais elle est authentique. Vous avez photographié ces gens qui rêvaient d’être glamour de façon très directe. Puis vous êtes revenus avec une caméra. C’était pas un peu bizarre ? Quand on passe du temps avec un modèle qu’on prend en photo, c’est comme si on faisait un film. Puis Martin est revenu et effectivement on en a fait un. À ce moment-là, on connaissait tous les gamins. On savait qui était ami avec qui, qui détestait qui. Est-ce qu’ils rejouaient des scènes auxquelles vous aviez assisté ? Il y avait un script ? Je me suis toujours posé la question. Non, rien n’était écrit. Les gens se posent la question parce que les gosses étaient très naturels, mais ils se confiaient spontanément, rien n’était calculé. On m’a accusé de ça dès la sortie du film. En fait, on était juste très proches de ces gamins. Et cette proximité n’a pas cessé. Tiny est toujours capable de se livrer comme les autres gamins. Ils vivaient leur vie comme un drame, comme une pièce de théâtre, ils vivaient dans une espèce de conte de fées – même si c’était un conte de fées tordu – ils étaient loin de leurs familles, loin des problèmes de leur foyer, ils ont fugué parce qu’ils n’aimaient pas leur vie, pour être libres. On a été les témoins privilégiés de leur histoire et ils se sont laissés aller à raconter leur vie. Est-ce que Martin tourne beaucoup de rushes ? Martin filme au plus juste, quand il filme, il sait parfaitement ce qu’il fait. Il est fantastique. Il travaille toujours avec un trépied et du coup il n’a pas besoin de passer trop de temps à régler la caméra. Il y a quand même deux ou trois scènes dans la rue où on a dû filmer à l’épaule, comme quand la mère du garçon vient le retrouver. On ne s’y attendait pas et on a dû traverser le parking en courant. Martin a aussi un grand sens de la technique, l’ingé son était super aussi, ils bossent toujours ensemble, d’ailleurs. Vous êtes devenus amis avec les gamins de « Streetwise », mais qu’est-ce qui se passe quand on doit suivre des gens un peu moins sympathiques, comme dans ce rassemblement des membres des Nations Aryennes ? Je n’ai pu les approcher que pendant quelques jours. Ils ne voulaient pas que j’entre. Je suis restée dehors et ils ont fait une annonce. Tous ceux qui voulaient être pris en photo sont sortis. Au bout de quelques jours, ils sont devenus complètement paranoïaques. C’est dans leur nature, alors je suis partie. Qu’avez-vous ressenti face à ces gens ? Etes-vous capable d’être objective ? Non. Je suis toujours subjective, dans toutes les situations. Même pour un portrait, il faut chercher à être juste, tout en étant subjectif puisque que vous voulez montrer l’impression que quelqu’un vous fait. Les gens des Nations Aryennes, je leur ai à peine parlé. Tout ce que j’aurais pu dire aurait été mal perçu. Je ne me voyais pas sortir quelque chose comme : « Oh, vous en avez de la chance de faire partie des Nations Aryennes ». Je ne peux pas être hypocrite. Alors j’ai préféré me taire.