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LE NUMÉRO PERSISTANCE RÉTINIENNE

Circuit electric

On entame cette nouvelle décennie par le meilleur nom de groupe (Our Love Will Destroy the World) et le meilleur titre de disque (Fucking Dracula Clouds) sur le meilleur nom de label (Blackest Rainbow)...

L’electro éthiopienne selon Nacho Patrol, 2001 L’Odyssée de l’espace selon Darkstar, le bruit blanc acoustique selon Bill Orcutt, le bruit noir électronique selon Pantha du Prince et Rebolledo, le chicano à guitare en plastique

On entame cette nouvelle décennie par le meilleur nom de groupe (Our Love Will Destroy the World) et le meilleur titre de disque (Fucking Dracula Clouds) sur le meilleur nom de label (Blackest Rainbow) avec la meilleure pochette (des fumeroles de bombardements) depuis Staphylocoque Blues des regrettés Charlots. Ce Néo-Zélandais a longtemps œuvré sous le nom Birchville Cat Motel et sa musique, austère et ravageuse de prime abord, comporte tout plein de filigranes nuancés qui titillent l’oreille interne et font des circonvolutions dans les intestins. On sent à la fois l’empreinte du black metal et de La Monte Young (un compositeur minimaliste des années 1960 qui étirait une note en bourdon continu, des heures durant). Pas un hasard s’il officie également dans un groupe sludge nommé Black Boned Angel. Tagué « psychedelic filth noise », j’opterais aussi bien pour « secousse tellurique à domicile ». Les amoureux de doom et de drone-noise qui tourbillonne en laissant des séquelles irréversibles sur la conscience pigeront de quoi il s’agit. Comme dit le fameux palindrome : « Satan, oscillate my metallic sonatas. » Magne-toi, c’est limité à 400 exemplaires. Vagon Brei, alias Victor Ramos, vit dans un trou à rat des Asturies, une région paumée du nord de l’Espagne, réputée pour sa florissante mythologie satanique et ses légendes aussi lugubres qu’une after dans un hammam estonien. Sous les auspices de Wendy Carlos, John Carpenter et Burzum, ses nappes de synthé glaciales instaurent une atmosphère de château hanté perdu au milieu de la pampa, où l’esprit d’Howard Vernon menace à tout moment de surgir sous la forme d’une vierge sacrifiée au XIXème siècle. Derrière ce réjouissant canular, les geeks de l’electro auront reconnu la griffe de Legowelt, le Hollandais caméléon aux mille et une identités et sûrement autant de synthétiseurs. Chacun de ses EP correspond à un pastiche de musique de genre : electro-funk, italo, jackin’ house, booty bass, afrobeat ou fausses bandes originales de séries B sur son label Strange Life. En plus d’être génial, ce type-là est aussi prolifique qu’Ennio Morricone. Il sort simultanément un EP afro-cosmic sous le nom Nacho Patrol, et c’est tout simplement une merveille de nu-groove tropical, entre Kraftwerk et Fela Kuti, electro-fuzz psyché et ghetto house de la savane. Il y a quelques mois sortait dans l’indifférence générale un fantastique EP de Darkstar, nouveau venu dans l’écurie Hyperdub (Burial, Kode 9 et autre chouchous des journalistes casse-bonbons). À de rares exceptions près, le dubstep a une fâcheuse tendance à me gonfler, mais on distingue tout de même quelques artistes talentueux (Shackleton, Untold, Joker, Vex’d, Zomby…) qui poussent le genre bien au-delà de ses clichés wonky beats décavés sous keta. C’est le cas de Darkstar sur le touchant « Aidy’s Girl Is a Computer ». Toujours très deep sur des ryhmiques 2step boiteuses, mais avec une touche d’electro-pop mélancolique, ce single est beau comme le chant du cygne de Hal 9000 dans 2001 L’Odyssée de l’espace. A New Way to Pay Old Debts signe le retour de Bill Orcutt, ex-guitariste du génial duo free-punk-noise Harry Pussy qui sévissait dans les années 1990. Je décrirais ce disque phénoménal comme un genre de blues no wave ultra dépouillé et archaïque, joué avec la frénésie d’un épileptique pratiquant le fingerpicking avec 48 doigts sur une guitare acoustique à quatre cordes. Une bonne grosse claque sonore qui effrite en moins de deux les monticules de cérumen indie-crap accumulés dans tes oreilles depuis la fin de l’été. Et dire qu’il y aura toujours des super connards pour trouver ça inécoutable, je les entends d’ici : « Comment tu peux écouter un truc pareil ? », et gnagnagna. C’est juste fulgurant, primitif et sauvage, et tant pis pour toi si cette forme de beauté-là te dépasse. Bonne nouvelle : les latinos poilus de Rebolledo sont de retour ! Après « Pitaya Frenesi », mon tube de l’année (ah, cette affolante vidéo où Matias Aguayo déambule sur la plage avec ses deux comparses), « Guerrero » déboule accompagné d’un clip non moins artisanal. Les paroles, clamées en espagnol avec un air entendu, sont un vrai piège à rates (ça y est, le lexique de Vice m’a contaminé). Sur la face B, l’humeur est à une dark disco eighties, ultra répétitive, sexy et hypnotique. Le dernier morceau chavire carrément entre le prog et l’EBM, on croirait Heldon sur une rythmique martiale sans pitié. Minimaliste sans être minimal, c’est chaud tout en restant frais, c’est dark et joyeux à la fois, virulent et agressif juste ce qu’il faut, ça donne envie de baiser et de faire la révolution. Le top, quoi. L'Opus Dei de la minimale aura beau crier à la trahison, Pantha du Prince est parvenu à s'échapper du carrousel low-cost de la ­techno au kilomètre. Certes, le tchik-poum est toujours là, mais le petit Pantha voit large et a soif de grands espaces. Froideur altière et lyrisme du no man's land, ses morceaux sont de plus en plus amples et aériens, tout pleins de petits carillons mélodiques à la AFX et de microbeats ­ciselés dans des gamelans en cristal. On s'y loverait bien tout l'hiver. EVA REVOX Our Love Will Destroy the World – Fucking Dracula Clouds (Blackest Rainbow)
Vagon Brei – Asturias Tierra de Leyendas (Strange Life)
Nacho Patrol – The Africa Jet Band (M Division Recordings)
Darkstar – Aidy’s Girl Is a Computer (Hyperdub)
Bill Orcutt – A New Way of Paying Old Debts (Palilalia)
Rebolledo – Guerrero (Comeme)
Pantha du Prince – Black Noise (Rough Trade)