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La Presse française à l’heure de la protection policière

Suite à l'attentat d'hier au journal Charlie Hebdo, plusieurs rédactions parisiennes et européennes se trouvent maintenant sous surveillance.
Notre-Dame sous protection militaire, ce 8 janvier 2015 ; © Étienne Rouillon

Hier matin, Charlie Hebdo a payé du prix fort sa liberté d'expression et son ton frondeur. Victimes de plusieurs agressions et menaces ces dernières années, les dessinateurs du journal satirique avaient néanmoins refusé de plier et ont continué à travailler de la même façon qu'ils l'ont toujours fait. Depuis la publication de douze caricatures de Mahomet en 2006 au nom de la liberté de la presse, des gendarmes montaient périodiquement la garde devant les portes de leur rédaction. Ce mercredi, Richard Malka, avocat du journal, expliquait à la radio RTL que « ça fait huit ans [que Charlie Hebdo] vit sous la menace ; il y a des protections mais il n'y a rien à faire contre des barbares qui viennent avec des kalachnikov ». En novembre 2011, à la suite d'un incendie criminel qui a ravagé les locaux du journal et de plusieurs menaces reçues, une protection rapprochée avait été mise en place pour Charb, directeur de la publication assassiné hier, Luz, dessinateur, et Riss, directeur de la rédaction. Hier, lors de l'attaque, seul Charb bénéficiait toujours d'une surveillance policière permanente de deux policiers du service de protection des personnalités (SPHP). Franck Brinsolaro, l'un des brigadiers chargés de cette mission de protection auprès du dessinateur, a d'ailleurs lui aussi été tué. En plus de ce service, des policiers continuaient à patrouiller régulièrement aux abords du journal – hier matin, trois patrouilles avaient eu lieu avant l'attaque. Selon le journal Le Monde, il n'y avait pas de garde statique lors de l'attaque, comme cela avait pu être le cas auparavant, mais une protection dite « dynamique ». Interrogé par le quotidien, Laurent Nunez, directeur de cabinet de la préfecture de police de Paris, explique néanmoins que la garde statique était régulièrement renouvelée quand « un numéro un peu sensible » était publié. « La menace avait semble-t-il baissé », explique Nunez. Un sentiment partagé par des journalistes du journal satirique, et notamment par Gérard Biard, rédacteur en chef : « Les menaces étaient ressenties de façon moins forte ces derniers temps ». Peu après l'attaque, plusieurs médias ont eux-aussi été placés sous protection, dans le cas où d'autres assaillants décident de s'en prendre à d'autres journaux. Ce matin, selon Sophie de Ravinel, grand reporter au Figaro, « deux policiers armés en gilets fouill[aient] [toujours] les sacs » à l'entrée de sa rédaction. Contacté par VICE, Christophe Crépin, responsable du syndicat policier UNSA-Police, explique que « chaque organe de presse français est gardé 24 heures sur 24 et jusqu'à nouvel ordre par des policiers disposant d'un armement lourd et de gilets pare-balles ». Étant donné l'urgence dans laquelle a été prise ce renforcement du plan Vigipirate, le nombre de policiers affectés dans les rédactions « dépend pour l'instant des effectifs des commissariats voisins », explique le responsable syndical. « Même si l'attaque a visé une rédaction parisienne, celles des journaux de la presse quotidienne régionale sont elles aussi sous protection », ajoute-t-il.

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Contacté par VICE, le ministère de l'Intérieur n'a quant à lui pour l'instant pas donné suite à notre demande d'entretien.

Pas de protection policière visible devant Les Echos jeudi à 10h. Deux policiers armés en en gilets fouillent les sacs à l'entrée du Figaro.

— sOphie de Ravinel (@S2RVNL)8 Janvier 2015

La sécurité a elle aussi été renforcée dans les rédactions de journaux étrangers, et notamment dans celle du Jyllands-Posten, journal qui avait comme Charlie Hebdo publié des caricatures de Mahomet en 2006. En 2010, Kurt Westergaard, l'auteur des caricatures les plus controversées, avait échappé à une tentative d'assassinat à son domicile. Dans un mémo interne, la direction du journal a prévenu ses employés que « la surveillance et le niveau de sécurité dans et autour de nos bureaux à Copenhague et à Viby [le quartier de Aarhus où le journal a son siège] [avaient] été accrus ». La porte-parole du journal s'est refusée à tout commentaire.

Selon Hélène Kohl, journaliste indépendante en Allemagne, les rédactions berlinoises étaient elles-aussi protégées. Dans le même temps, elles reprenaient et diffusaient les dessins de Charlie Hebdo :

Protection policière devant et dans les rédactions berlinoises ce matin. La presse allemande solidaire reprend des dessins de — Hélène Kohl (@helkohl)8 Janvier 2015

Autre bénéficiaire de cette protection : Michel Houellebecq, l'un des plus importants écrivains français qui sortait hier son nouveau roman décrivant une France dirigée par un parti politique musulman. Dans la journée, Flammarion, sa maison d'édition, faisait évacuer ses locaux dans le quartier de l'Odéon, à Paris. Contacté par le journal L'Obs , un responsable de la maison d'édition expliquait que cette décision avait été prise dans un cadre préventif « en concertation avec la police ». L'écrivain controversé était en Une du dernier Charlie Hebdo paru hier où il lançait : « En 2015, je perds mes dents… En 2022, je fais Ramadan ! ». Sur un autre dessin dans les pages du journal, on le voit dire « En 2036, l'État islamique fera son entrée dans l'Europe ».

Today's issue of Charlie Hebdo has Michel Houellebecq on the cover. His new book 'Submission' comes out today. — John Martin (@JohnMartinIV)7 Janvier 2015

Selon Jean-Pierre Diot, vice-président de la Fédération française de protection rapprochée, ancien membre du SPHP et auteur du livre Du pape Jean-Paul II à Nicolas Sarkozy, quinze ans au Service de protection des hautes personnalités, « de plus en plus de personnalités et de journalistes vivent sous protection compte tenu des tensions politiques et de l'accroissement de la menace terroriste ». « Aujourd'hui, à partir du moment où vous êtes médiatisé – et encore plus quand vos opinions peuvent heurter certaines sensibilités –, vous êtes soumis à un risque, explique-t-il. Ainsi, le niveau de menace est analysé selon chaque personnalité. Malheureusement, souvent, il faut attendre que quelque chose se passe pour que de telles mesures soient prises. » Interrogé sur le renforcement du dispositif policier mis en place hier, Diot s'interroge sur l'utilité d'une telle protection : « On peut imaginer que ces fous furieux et leurs pairs vont simplement se terrer en attendant que tout se calme pour ressortir. Nous nous dirigeons vers une ère qui nécessitera une bien meilleure sécurisation afin d'endiguer le risque terroriste croissant auquel nous sommes confrontés », explique-t-il.

@GlennCloarec