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La littérature alternative est la pire chose qui soit arrivée à la littérature

Quand je dis « littérature alternative », je parle de cette communauté d’écrivains qui utilisent Internet comme outil principal de promotion de leur absence de talent. On peut trouver des histoires courtes, des nouvelles, des poèmes et des images...

De la littérature alternative

Maintenant que tout le monde en a ras-le-bol du porno, Internet ne sert plus qu’à deux choses : agresser passivement, puis confirmer et réaffirmer les aversions et les préjugés. Il semble qu’il soit devenu impératif de se rappeler mutuellement ce qu’on déteste et pourquoi on le déteste, autrement on finirait tous par être aimables les uns envers les autres.

Ce Tumblr est le parfait exemple du genre de merdes qu’on peut trouver sur la Toile. Plusieurs personnes y ruminent au sujet de « la maison de famille » et collent leurs textes sur une photo sur-saturée d’une maison de banlieue. Voici la strophe qui a fait déborder le vase :

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A neighbour, Anne-Marie – my first friend?
First crush?
We played with her dolls once &
It felt transgressive –
even aged ~3, a socialised boy.

Une voisine, Anne-Marie – ma première amie ?
Premier amour ?
Nous avons joué avec ses poupées une fois &
Ça m’a paru transgressif –
même du haut de mes 3 ans, un garçon social.

C’est en lisant entre les lignes de ces vers maladroits que je me suis rendu compte à quel point je détestais la littérature alternative. Quel grossier mensonge d’affirmer qu’il est transgressif de jouer avec une poupée –ma mère me peignait les ongles et les appelait « mignonettes », ce qui n’était pas transgressif à l’époque et ne l’est toujours pas aujourd’hui.

Quand je dis « littérature alternative », je parle de cette communauté d’écrivains qui utilisent Internet comme outil principal de promotion de leur absence de talent. On peut trouver des histoires courtes, des nouvelles, des poèmes et des images aussi moches que celles que votre cousine de 13 ans poste sur Facebook quand son copain ne répond pas à ses textos – genre une photo de montagne avec des paroles de Ben Harper par-dessus.

Artforum décrit ces gens comme « des auteurs avec un style de poésie ostensiblement bâclé qui cultivent une mauvaise orthographe, une ponctuation mystérieuse, ainsi que des propos sincères et spontanés à l’image de passions pubères instables. » Et c’est un euphémisme.

Avertissement : on m’a critiqué sur un blog de littérature alternative à cause d’une conversation Twitter dans laquelle je cherchais de bons auteurs à interviewer. Donc même si d’excellents auteurs peuplent ce monde, ils sont nombreux à se faire passer pour des écrivains alternatifs afin de masquer leur nullité.

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Exemple :

Un poème de Willis Plummer

*PUTAIN. JE SUIS LE MEC DE CETTE ÉMISSION TÉLÉ BIEN CONNUE.

J’ai passé deux mois à broyer du noir.

À propos d’un paquet de 30 capotes Trojan.

Dans ta table de nuit.

Il n’en manquait que deux.

J’ai souvent songé à te demander de me les rendre.

Je t’ai écrit ~17 textos à leur sujet, que je n’ai jamais envoyés.

Une fois, j’ai même composé ton numéro.

Ce n’était pas pour les quelque vingt dollars.

Je voulais te demander de les jeter.

Je m’imaginais d’autres mecs en train de les utiliser.

J’ai parlé de mes angoisses à mon colocataire.

Il m’a demandé s’il pouvait écrire un scénario sur moi.

Je suppose que je devrais en rire. :( 

QUE SAVEZ-VOUS ?

Quand on commence à écrire, les gens conseillent « d’écrire sur ce que l’on sait ». C’est un conseil judicieux parce qu’il est difficile d’écrire sur un sujet qu’on connaît mal et ceux qui s’y connaissent pourraient s’en rendre compte.

C’est pour ça qu’en lisant les écrits d’étudiants, vous vous direz peut-être que l’avenir de la fiction se résume à des histoires de relations amoureuses nulles, de vacances en Irlande et de filles qui se coupent les cheveux pour que leur copain ne puisse plus éjaculer dessus.

Cependant, il arrive que ce que l’on sait ne débouche pas sur une bonne idée de fiction. Mais cela n’est pas un problème dans le monde de la littérature alternative. Si votre savoir se limite à « être assis dans votre chambre, lire ses messages Twitter pendant des heures et être triste parce que l’Américaine qui s’est mise à vous suivre ne répond pas à vos messages », mettez-vous à la littérature alternative, les amis, parce qu’il semblerait qu’il y ait une vive demande pour la prose narcissique vide de sens.

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Je ne veux pas dire par là que les fictions à partir de reportages autobiographiques ou sociétaux soient automatiquement mauvaises. Ou qu’on devrait éviter d’intégrer des phénomènes contemporains à la fiction. Ni que toutes les œuvres doivent être des super thriller avec 100 histoires entremêlées et 30 pages de braquage de banque, mais disons que ça ne sert à rien d’essayer de romancer une expérience quotidienne dénuée d’intérêt. David Foster Wallace pouvait se le permettre parce que c’était David Foster Wallace. Tao Lin peut se le permettre parce que c’est Tao Lin ; son style a la clarté et la précision de Raymond Carver, la joyeuse tristesse de Lorrie Moore, la force et l’explosivité de Richard Ford. Difficile de savoir pourquoi le style de Lin – pourtant aussi superficiel que beaucoup d’autres auteurs d’alt-lit – sort du lot, mais c’est vrai que sa sincérité donne envie de continuer à lire des récits de mecs qui se font chier à la bibliothèque. Il parvient à retranscrire l’apesanteur et la fainéantise des jeunes de 20 ans sans pour autant en faire des tonnes.

Un poème de Tao Lin qui montre que la littérature alternative n’est pas forcément nulle à chier

*« à manhattan dans la 29ème rue après les avenues et derrière une barrière il y a une petite plage »

tu as quitté l’école

et laissé tomber

tu avais un cancer ou un truc du style donc ils t’ont excisé la chair

il y avait aussi un problème avec tes ganglions lymphatiques

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tu es venue me voir lire à chinatown et tu as vomi

on avait des cours d’écriture

tu as écrit à propos d’un chien qui était un robot triste

j’ai écrit au sujet d’enfants tristes et d’un calamar géant

maintenant tu es électricien

ton prêt étudiant t’a foutu dans la merde

tu joues à un jeu en ligne

tu as pris beaucoup de poids

tu as dit que tu ne consultais plus tes e-mails

je t’ai prêté de l’argent pour tes clopes

« tu as laissé tomber », ai-je dit

tu as dit que non

j’ai dit qu’on jouerait au Loto

tu as dit que tu venais de jeter environ 17 tickets perdants

j’ai dit que j’étais allé à atlantic city pour thanksgiving et j’ai gagné

j’ai dit qu’on irait à atlantic city

tu as dit que tu ne pouvais pas ; pas avant d’avoir gagné au Loto

tu m’as emmené à la plage

la plage était grise

tu t’es allongé sur un rocher et tu as dit que c’était beau

il était 3 heures du matin et je suis resté planté là

l’eau était noire

« allons-y », ai-je dit

« attends », as-tu répondu

j’ai dit OK

et quelques minutes ont passé

LA GRAMMAIRE DE L’INDIFFÉRENCE

L’une des tendances principales des alt-lit est de mettre entre guillemets tout ce qui est susceptible de générer de l’émotion chez le lecteur. J’imagine qu’ils s’en servent pour imprégner leur style d’abstraction et de sensibilité et de plein d’autres émotions nulles, mais à mes yeux, c’est juste là pour prouver que l’auteur a peur de la tâche à accomplir.

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Il y a aussi cette obsession bizarre du tilde (), utilisé lui aussi pour apporter un caractère mystérieux à des choses totalement normales. Exemple : « Aujourd’hui Ethan a bu 500 ml d’Irn Bru et a mangé 22 smarties. » Je ne veux pas passer plus d’un quart de seconde – pardon, «  un quart de seconde » – à réfléchir sur la quantité d’Irn Bru que quelqu’un a bue, tout simplement parce qu’on n’en a rien à foutre en fait.

L’INTERNET COMME ART DE VIVRE

Internet, excellent outil d’abandon de soi, permet d’oublier que tout le monde s’en fout et du coup, certains se prennent beaucoup trop au sérieux. Aussi puissants qu’ils soient, les réseaux sociaux ne sont rien d’autre que le pédiluve qu’il faut se taper avant de pouvoir plonger dans l’océan de la réalité. Donc la fierté qu’a la communauté alt-lit à réduire une existence réelle à une sorte de « commentaire » définissant la vie d’un jeune à l’ère du web 2.0 a souvent pour résultat une littérature de néant absolu.

C’est de la littérature faite pour être likée sur Facebook et rebloguée sur Tumblr. De la littérature sur des journées passées devant des recueils de poèmes en format PDF composés de tweets entrecoupés de commentaires de Bon Jovi, de vidéos YouTube et de réflexions sur la positive attitude.

Honnêtement, qui a envie de lire ce genre de conneries ?

Steve Roggenbuck, auteur apprécié de la communauté alt-lit

PROMOTION AVEUGLE

C’est incroyable à quel point la communauté alt-lit répand et propage son travail – les passionnés d’écriture et les gens en quête de nouveaux écrivains talentueux ne peuvent qu’être impressionnés par le système promotionnel des alt-lit, qui permet à des inconnus virtuels de dire au monde ce qu’ils pensent du monde. En revanche, la promotion aveugle de recueils et de livres numériques auprès de gens qui font déjà la promotion de leur propre recueil bâclé est forcément moins convaincante.

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C’est un peu comme les mecs à l’université qui lancent des invitations pour une soirée drum’n’bass sur Facebook, et dont le mur se retrouve submergé de commentaires de mecs qui font la promotion de leurs propres soirées drum’n’bass. Cet encrassement de reblogs ruine le produit, tout comme ces livres avec 20 citations différentes sur la couverture qui vous annoncent tout de go qu’il s’agit d’une œuvre ratée.

LE CULTE DE L’AUTEUR

Rien de nouveau sous le soleil. On fantasme toujours sur les auteurs, on voudraient qu’ils soient plus que des gens qui passent leurs journées assis derrière un clavier à effacer des virgules pour les remettre ensuite. On veut des hédonistes dégénérés et des penseurs stoïques. On veut qu’ils aient une vie intéressante. Les vies des alt-lit ne valent pas la peine d’être mises sur papier puisqu’elles sont aussi banales que la vie du lecteur moyen, et que ce qui différencie justement ces auteurs du lecteur moyen, c’est qu’ils sont convaincus que leur vie n’est pas banale.

Voici deux exemples de gens qui font ça sur Twitter :

Mira Gonzalez dit : « Je pourrais manger une main humaine frite à l’huile, quelqu’un peut-il me livrer des amphétamines ou un petit chien, tout est ma faute, qui veut baiser » (via @miragonz) – Cannibalisme ! Drogues ! Haine de soi ! Sexe ! Le Grand Roman Américain de la fille de riche !

John Brnlv Rogers dit : « Je vais écrire un poème ce soir au sujet du gel douche qui me fait penser à la mort, ça peut être génial ou bien très nul » (via @brainlove) – J’espère que ça s’est bien passé, John !

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Tout ça – le narcissisme, le solipsisme, la glorification des moyens de communication virtuels, l’insolence, l’encensement, les putains de macro – serait encore acceptable si les œuvres étaient de qualité : si les sujets étaient mieux traités, si le fait de se revendiquer comme de la littérature alternative n’était pas la seule justification d’un auteur pour qu’on lise ses textes illisibles, si les histoires racontaient vraiment quelque chose, si les dialogues étaient plus profonds que de simples répliques de relations amoureuses de jeunes cons de 20 ans, s’il n’y avait pas de phrases comme « je me demande quels effets peut avoir un mélange d’amphétamines et d’oxycodon sur mon travail », s’ils ne se contentaient pas de parler de drogues, d’eux-mêmes et de drogues à nouveau.

Si ce n’était pas de la putain de littérature alternative en somme.

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