Comment tuer 500.000 poulets en 20 minutes

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Comment tuer 500.000 poulets en 20 minutes

Lorsqu'un élevage est infecté par la grippe aviaire, on tue souvent les poulets en les étouffant, ce qui n'est pas particulièrement glorieux. Existe-t-il de meilleures options ?

Personne ne vous dira sérieusement que tuer tout un élevage de poulets en bloquant la ventilation de leur poulailler jusqu'à ce qu'ils étouffent et qu'ils suffoquent est une chose plaisante à faire. D'ailleurs, il y a encore un an, cette façon de se tuer les oiseaux malades était interdite par le Département de l'Agriculture des Etats-Unis (USDA). Pourtant, après un épisode dévastateur de grippe aviaire hautement pathogène (HPAI) qui a décimé les élevages américains de poulets et de dindes l'année dernière, l'USDA a décidé d'autoriser cette technique d'abattage controversée pour abattre les populations infectées dans les élevages les plus importants, afin de prévenir une nouvelle épidémie.

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Personne n'a envie de tuer des centaines de milliers de poulets d'un coup ; non seulement c'est vraiment un sale boulot, mais en plus cela entraîne des pertes de revenus conséquentes. Mais c'est un mal nécessaire pour empêcher les épidémies. L'USDA reconnaît que cette méthode n'est pas idéale, même si l'un de ses représentants m'a confié que l'agence ignore combien de temps les volailles agonisent dans cette situation. Le fait que l'USDA s'en remette à ce genre de technique parfois qualifiée d'inhumaine par les experts, sans même savoir vraiment ce qu'elle fait aux animaux, montre bien à quel point nous sommes mal préparés à affronter une épidémie agricole majeure. Et si nous voulons être mieux préparés à l'avenir, ne devrions-nous pas chercher de meilleurs moyens de tuer 500.000 poulets d'un coup ?

Lorsqu'un élevage est infecté par la grippe aviaire, il faut agir vite. Tant que les oiseaux sont en vie, ils répandent le virus à travers leurs excréments et leur salive, ce qui augmente le risque que la maladie se diffuse dans d'autres fermes. Quand le virus est détecté, l'USDA ordonne donc que l'élevage soit « dépeuplé » - le terme officiel pour désigner le massacre de masse des animaux en réponse à l'apparition d'une maladie – dans les 24 heures qui suivent. Dans certains cas, comme dans des élevages de l'Indiana le mois dernier, cela revient à couper la ventilation.

« Personne ne nie que cette méthode pose problème sur le plan éthique, plus que n'importe quelle autre méthode, reconnaît Maurice Pitesky, vétérinaire et spécialiste d'épidémiologie aviaire à l'université de Californie. Mais si votre objectif est de "dépeupler" un élevage, alors il n'y a pas de meilleure façon de procéder. »

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Il est vrai que, d'un point de vue pratique, l'arrêt de la ventilation est l'option la plus rapide. D'autres méthodes, comme le gazage des oiseaux au dioxyde de carbone ou l'utilisation d'une mousse de CO2 pour les étouffer, sont plus longues à mettre en place ; il faut acheminer la citerne de CO2 jusqu'à la ferme, pomper le gaz à l'intérieur du bâtiment, et attendre que la concentration atteigne un niveau suffisant pour tuer les volailles. Selon la taille de la ferme et sa localisation, cela peut prendre plus de 24 heures, soit plus que le délai autorisé par l'USDA. Alors que pour couper la ventilation, il suffit d'appuyer sur quelques boutons.

"C'est inouï, les méthodes qu'ils utilisent."

Les instructions données par l'USDA pour cette méthode consistent à arrêter les systèmes de ventilation, puis à faire monter la température à l'intérieur de la grande jusqu'à 40°c pendant au moins trois heures. Pour ce faire, on peut évidemment monter le chauffage, mais les élevages sont souvent si densément peuplés qu'il suffit généralement de couper la ventilation pour que la température grimpe rapidement. C'est même déjà arrivé par accident, quand des petits malins se sont amusés à couper l'électricité ou quand des coupures de courant ont empêché les systèmes d'aération de fonctionner correctement. Quoiqu'il en soit, cela reste le moyen le plus rapide d'abattre un élevage.

Le problème, c'est que pour un poulet, c'est l'une des morts les plus lentes et les plus douloureuses qui soient. Paul Shapiro, vice-président de la société de protection des animaux de la ferme au sein de la Humane Society of the United States, affirme que le processus revient à « cuire les animaux vivants » et le qualifie de « tout simplement horrible. »

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La Humane Society affirme que les animaux peuvent mettre plusieurs heures à mourir avec cette méthode, mais aucune étude n'a vraiment été menée à ce sujet. Des représentants de l'USDA ont estimé que les oiseaux mouraient au bout de 30 à 40 minutes, mais quand j'ai contacté l'agence, personne n'a voulu confirmer ces dires.

« La majorité des oiseaux mourront rapidement, mais il est conseillé de maintenir la température au niveau recommandé pendant au moins trois heures pour neutraliser le virus de la grippe aviaire à l'intérieur du bâtiment », m'a expliqué Andrea McNally, une représentante de l'USDA, tout en soulignant que cette méthode ne devait être utilisée qu'en dernier recours.

« Il est difficile de donner une réponse univoque, en raison de la diversité des structures et de la densité variable des populations de volailles », ajoute-t-elle.

Il n'y a rien d'étonnant à ce que l'USDA ignore combien de temps les poulets agonisent lorsque l'on emploie cette méthode ; à vrai dire, personne ne le sait, si l'on en croit Patricia Turner, vétérinaire et professeur de pathobiologie à l'université de Guelph, qui a longuement étudié les méthodes d'abattage.

« Personne n'a vraiment étudié le problème, pour être honnête, m'avoue-t-elle par téléphone. Le but, c'est que l'animal perde conscience le plus vite possible. Quand on coupe la ventilation, la mort survient assez rapidement, sans doute entre 10 et 25 minutes après la coupure selon la taille du bâtiment. Le problème, c'est qu'on ne sait pas ce que subisse les animaux pendant ce laps de temps. »

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L'un des arguments en faveur de cette méthode, c'est que si les fermiers attendaient de pouvoir en utiliser une autre (comme par exemple le pompage de CO2), le virus pourrait se répandre, condamnant ainsi à mort davantage d'animaux. Mais s'il existe bien d'autres méthodes moins cruelles, pourquoi ne faisons-nous pas en sorte de pouvoir y avoir recours plus rapidement si nécessaire ?

« C'est inouï, les méthodes qu'ils utilisent, estime Harm Kiezebrink, un expert en abattage éthique qui a développé des techniques d'abattage indolores. Quiconque possède un peu de bon sens peut comprendre que si on ne se pose à aucun moment la question de la souffrance animale, quelque chose ne va pas. »

Kiezebrink est intervenu un peu partout dans le monde pour aider des gouvernements à gérer des épidémies de grippe aviaire, "dépeuplant" au passage des fermes entières des Pays-Bas à la Chine. La coupure de ventilation n'est pas très répandue dans les autres pays, selon lui (on préfère généralement gazer les volailles). Cette méthode a été autorisée au Royaume-Uni en 2006, mais elle n'y a jamais été utilisée. Ce n'est certainement pas la méthode la plus horrible qui soit – par le passé, certains pays se contentaient tout simplement de brûler les animaux vivants – mais Kiezebrink estime que le manque de données concernant la souffrance infligée aux animaux lors de leur agonie devrait nous pousser à renoncer à cette technique jusqu'à ce que des recherches aient été effectuées.

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"Les gens ne seraient pas prêts à accepter certains actes."

Mais les autres options sont nettement plus coûteuses. Les technologies que vendait Kiezebrink il y a quelques années – y compris une machine qui tue les oiseaux instantanément en les plongeant dans une eau électrifiée – coûtent jusqu'à 600.000$. Dernièrement, Kiezebrink travaille sur une mousse à base de nitrogène qui, dit-il, tuerait instantanément les oiseaux qui l'inhaleraient. Mais cette méthode risque elle aussi de s'avérer onéreuse si elle devrait être employée à grande échelle.

« La mousse injectée par gaz est une meilleure méthode car les animaux meurent par manque d'oxygène, ce qui survient bien plus rapidement et sans douleur ; ils ont l'air de nettement moins souffrir, m'explique Turner. Le problème, c'est que le nitrogène coûte cher et qu'il est difficile à trouver. Pour les énormes élevages américains, qui sont nettement plus gros qu'en Europe, ce n'est sans doute pas faisable. »

Alors, on en est où ? La bonne nouvelle, c'est qu'après l'abattage massif dans l'Indiana, il n'y a pas eu d'autres cas signalés de grippe aviaire cette année. Cela nous donne du temps pour travailler sur des méthodes plus humaines, et même pour potentiellement développer des vaccins, explique Turner. Elle pense que quand l'Association des vétérinaires américains (AVMA) donnera ses recommandations en matière de dépopulation, l'USDA devra sans doute renoncer à ses méthodes actuelles.

« Je serais très surprise que cette technique soit acceptée par l'AVMA sans que des études scientifiques sérieuses l'aient d'abord approuvée, dit-elle. Et les données concrètes ne suffiront pas ; il faut aussi que l'opinion publique l'accepte. Il existe de nombreuses méthodes très rapides mais qui seraient très mal acceptées, les gens ne seraient pas prêts à soutenir certains actes. »