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Culture

Carlos Guerra nous explique comment la prison l'a mené à faire carrière dans la musique

Pour le réalisateur de vidéoclips pour Soldia, Rymz, Ti-Kid et Infrak, tout a commencé avec un studio dans une prison au Panama.

Le réalisateur Carlos Guerra prend de plus en plus de place sur la scène du rap québécois, et sa réputation commence à se faire à l'international. Les vidéos qu'il a produits pour les rappeurs québécois Soldia, Rymz, Ti-Kid et Infrak, entre autres, ont été tournées dans des dans lieux inusités en Roumanie et en Haïti, et comptent aujourd'hui des centaines de milliers de visionnements sur YouTube. Guerra en est aussi à sa deuxième collaboration avec le rappeur français Kaaris, pour qui il vient de réaliser la nouvelle vidéo pour « Poussière », tournée dans une forêt à Rawdon.

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Mais sa route vers le succès n'a pas été sans embûche. La carrière de Carlos Guerra a débuté en 2004, dans une prison panaméenne, où il était incarcéré pour une histoire de trafic d'héroïne. Au cours des quatre années qu'il a passées derrière les barreaux, le jeune entrepreneur a fondé un studio d'enregistrement, avec lequel il encourageait ses codétenus à se réhabiliter à travers la musique. C'est à cette expérience qu'il attribue son succès et son style artistique un peu casse-cou.

On l'a rencontré alors qu'il préparait une exposition de ses photos.

VICE : Les réalisateurs ne font pas souvent des vernissages.
Carlos Guerra: Les réalisateurs rap n'ont pas toujours l'attention qu'ils méritent. Mon art, c'est le visuel, c'est ça que je fais de ma vie. C'est ce qui m'inspire et je veux être reconnu comme en tant qu'artiste complet. Je veux que les gens comprennent qu'il y a le rap, mais aussi tellement de trucs autour.

Comment t'es-tu rendu jusqu'ici?
Tout dans ma vie a vraiment commencé il y a 10 ans. J'ai été incarcéré pendant quatre ans et quelques mois au Panama. Dans ce temps-là, je faisais de la musique, mais j'étais pris dans une situation un peu difficile. Pour passer le temps, j'ai construit une bibliothèque dans le centre pénitencier. Ça m'a donné accès à un local dans lequel j'ai créé un studio d'enregistrement.

Notre devise était « la vraie justice n'est pas celle qui punit, c'est celle qui réhabilite» et notre projet était d'apprendre aux gens à écrire, à servir d'ordinateurs, leur donner un moyen de faire de la musique et les sortir de cet environnement hostile. En prison, au Panama, ils ne te donnent rien. Ils te donnent à peine de la nourriture. C'était donc intéressant d'avoir la chance de créer ça.

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Je n'avais pas de famille au Panama, pas d'amis. Je viens du Guatemala. Pour survivre, j'ai réussi à faufiler une caméra dans la prison et je me suis mis à prendre des photos de mes « artistes », les codétenus. Je leur vendais ces photos pas chères.

Comment ça s'est passé lorsque tu es sorti?
Quand je suis sorti, ma tête était encore tout partout, je ne comprenais pas encore la vraie vie. J'ai refait des conneries et je suis retourné en prison ici au Canada, sous d'autres conditions. Mais je pense que c'était la meilleure chose qui m'est arrivée parce que c'est ça qui m'a permis de réaliser que le crime ce n'est pas mon affaire. J'ai compris qu'il y avait d'autres manières de fonctionner dans la vie.

J'ai habité chez mes parents pendant un bout et j'ai consacré toute mon énergie à concrétiser mon art. J'ai travaillé très fort et appris beaucoup sur le tas et sur internet. Et peu à peu, j'ai eu des contrats. Là, je viens de signer le dernier clip de Kaaris, pour Universal Music, DefJam. Je vois qu'il y a beaucoup d'intérêt pour mon travail et j'en suis vraiment fier.

Photo : Carlos Guerra

Comment t'étais-tu retrouvé en prison?
L'appât du gain surtout. Je n'étais pas là pour un crime violent, c'était de la drogue. On fait des crimes pour faire de l'argent. Je voulais me bâtir un studio, faire de la musique, devenir célèbre et faire plein d'argent.

Le but était toujours de travailler dans la musique?
Ça a toujours été ça le but. Mais là, ça a changé et je suis du bon côté de la caméra. J'aime recréer les situations qui me font vivre - j'aime le danger, les guns, la drogue.

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Justement, parle-moi des endroits dans lesquels tu as tourné dernièrement?
J'ai tourné dans château de Dracula en Transylvanie. J'ai tourné en Haïti, dans le cimetière de Port-au-Prince, qui est devenu un lieu où les gens habitent, où ils vendent des artefacts. Tu peux acheter des crânes pour 30 $. J'ai aussi aidé des jeunes là-bas en Haïti.

J'ai rencontré un gars qui m'a demandé comment il pouvait m'aider. Je lui ai dit que j'aimerais tourner à Cité Soleil, La Saline, tous des quartiers très, très dangereux, donc ils m'ont accompagné.

Là, j'ai rencontré des gens qui faisaient de la musique et qui me parlaient de leurs rêves d'un jour pouvoir faire leurs propres vidéos. Ça m'a fait revivre mon expérience de quand on n'a rien. Je leur ai fait un vidéoclip. On l'a tourné dans la rue. Ensuite, nous sommes allés à mon hôtel le même soir pour le monter et - boum - c'était fait et ils en étaient super contents.

Photo : Carlos Guerra

Conserves-tu des liens avec les gens avec qui tu étais en prison au Panama?
Non, j'ai décidé de couper ça. J'ai complètement coupé le contact avec mon passé parce que je préfère m'éloigner de tout ça le plus possible. C'est la seule façon pour moi de réussir.

Tu as aussi passé du temps dans des prisons canadiennes, québécoises. Penses-tu qu'il y a assez de programmes ici pour aider les gens à se réhabiliter?
Les programmes que j'ai suivis ne me donnaient pas l'impression qu'ils allaient mener à mieux. Je crois que les programmes devraient être plus rapprochés des intérêts des détenus. Au provincial, il y a un seul programme de musique, mais c'est super difficile de s'y inscrire. Il faudrait implémenter ce genre de chose ici pour aider à réhabiliter les gens, plutôt que de juste les punir. Sinon on va juste se ramasser avec une société qui va de pire en pire parce que quand tu vas en prison en ce moment, tout ce que tu apprends c'est de devenir meilleur à commettre des crimes.