Magnus Nilsson parle de cabane à sucre, de chasse aux phoques et de pizza à l’ananas

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Culture

Magnus Nilsson parle de cabane à sucre, de chasse aux phoques et de pizza à l’ananas

« Je pense qu’il y a beaucoup de points en commun entre la Scandinavie – sinon tout le nord – et le Canada. »

Le texte original a été publié sur Munchies

Demandez à n'importe qui autour de vous s'il a déjà mangé des bruna bönor i sirapsåss et il vous répondra sans doute non avec un air confus.

Pourtant, oui, il aura déjà mangé des bruna bönor i sirapsåss, c'est seulement qu'il ne le sait pas.

Cet ancien plat suédois, qui se compose de fèves brunes servies avec du porc salé frit et des pommes de terre bouillies, est presque identique dans sa préparation et sa présentation à l'incontournable plat de cabane à sucre que sont les fèves au lard. À l'exception que la version suédoise est sucrée avec du sirop de betterave au lieu du sirop d'érable.

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« Je vais vous montrer une photo », nous dit Magnus Nilsson en cherchant dans l'index de son monumental livre de recettes The Nordic Cookbook. « Fèves brunes aigres-douces, page 141, » marmonne-t-il. À la page 141, il y a la recette plutôt détaillée, mais pas de photo. Imperturbable, Magnus sort son téléphone, bien décidé à nous montrer combien les deux plats se ressemblent. Et il a raison, impossible de les distinguer.

« Je pense qu'il y a beaucoup de points en commun entre la Scandinavie – sinon tout le nord – et le Canada : le besoin de récolter de l'énergie pendant l'été ou quand elle abonde et en conserver pour l'hiver. »

En d'autres mots, la brutalité du climat nordique rassemble les deux continents et amenuise les lignes de division. « J'étais au Bhoutan, dans l'Himalaya, un pays profondément asiatique, mais où l'on boit du lait. C'est le climat plus dur : il sculpte les cultures. »

Après qu'il a fait connaître la cuisine nordique à tant d'Européens et de Nord-Américains ( The Nordic Cookbook, paru en 2015, n'a même pas encore été publié dans son suédois natal), nous avons décidé de lui retourner l'ascenseur et de le bombarder de plats de cabane à sucre. À cette fin, nous avons recruté Antonin Mousseau-Rivard, chef et propriétaire de Le Mousso, pour préparer un menu entièrement composé de ses interprétations des plats que l'on sert dans toute cabane à sucre.

Chaque printemps, quand la sève recommence à couler dans les veines des érables, nous sommes des milliers à enfiler notre plus belle chemise carreautée et visiter une cabane à sucre souvent bondée pour se gaver de ce que nous avons de plus proche des plats dont se nourrissaient pour survivre les colons et les coureurs des bois il y a quelques siècles. Cependant, ces plats traditionnels tiennent davantage du folklore que du menu de tous les jours, au contraire des quelque 700 recettes du Nordic Cookbook.

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« Malheureusement, nos traditions se perdent, explique Antonin à Magnus. On est un plus jeune pays et on est différents. Ce sont les plats les plus traditionnels qu'on mange encore, mais seulement une fois par année parce qu'ils sont faits avec du sirop d'érable. Quand la nourriture a été commercialisée, on a arrêté de préparer des plats comme ceux-là. On achetait des choses et on avait moins de temps. »

C'est une première visite au Québec pour Magnus, qui est impressionné par la qualité du sirop d'érable biodynamique que lui a apporté Antonin.

« Le climat d'ici ressemble beaucoup au nôtre dans le nord de la Suède. Mais qu'importe où on est dans le monde, on peut toujours trouver des choses uniques dans un livre de recettes d'une culture donnée, qu'elle soit thaïe, nordique ou française. Rien de dit plus sur une culture que ce que les gens mangent quelque part. »

Les fèves brunes et le froid ne sont pas les deux seuls points qu'ont en commun les provinces canadiennes et les pays scandinaves. Une part importante du livre de recettes parle de chasse aux baleines dans les îles Féroé et de l'importance de la chasse aux phoques pour les Inuits du Groenland.

Comme beaucoup de chefs d'ici, Magnus n'a aucun problème avec la consommation de viande de phoque ou de baleine chez les peuples autochtones, souvent condamnée par les groupes de défense des animaux et des chefs américains.

Pour lui, le vrai problème, c'est ce que nous, nous avons fait.

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« On peut remettre en question l'éthique — à savoir si c'est humain ou non — mais c'est un autre sujet. D'un point de vue purement environnemental, cette chasse n'a pas de grandes conséquences. Ce ne sont pas eux qui ont décimé 90 % de la population de baleine sur la planète. C'est nous. Dans le livre, il y a des images très crues de la chasse aux baleines aux îles Féroé. C'est facile de les utiliser comme argument dans un large débat sur l'environnement. C'est très pratique. »

Parlant de controverse, j'ai demandé à Magnus de me dire ce qu'il pense de l'affirmation (à la blague) du président islandais, Guðni Thorlacius Jóhannesson, qui, s'il le pouvait, aurait recours au pouvoir législatif pour bannir la pizza à l'ananas, le plat favori à Fäviken.

« Il ne pourra plus jamais aller chez Fäviken, dit-il en riant. La pizza à l'ananas, c'est délicieux et quiconque dit que ce n'est pas délicieux n'a pas de goût ou ment pour des raisons culturelles. C'est ridicule de vouloir décider de ce que le monde mange, parce qu'on ne le peut pas. Le monde mange selon son bon sens. C'est stupide de vouloir décider de ce qui est bien et de ce qui est mal.

« Tu peux manger la pire pizza au monde et ce ne sera jamais bon. Ou tu peux choisir une pizza avec une croûte extraordinaire et de savoureuses garnitures : comme un ananas bien mûr manipulé avec soin, et ce sera délicieux. »

La prétendue tension entre l'élite gastronomique et la gastronomie ordinaire n'existe pas selon Magnus. « C'est seulement une construction culturelle, ça n'existe pas. Tout peut être bien fait et tout peut être mal fait, qu'importe le degré de perception. Je pense qu'on l'a prouvé encore et encore. C'est une façon de voir sans fondement. »

Pour un chef avec une riche philosophie, un restaurant reculé et une approche rigoureuse de la documentation d'une culture culinaire, Magnus est étonnamment ouvert d'esprit au sujet des étrangetés de l'alimentation et de la cuisine à une époque où les chefs sont déifiés et la pizza à l'ananas est politisée.

« Je n'ai aucun plaisir coupable, seulement des plaisirs, conclut-il. On cuisine en fonction de nos origines culturelles, des produits à notre disposition et de ce que notre entourage cuisine.

« Le monde cuisine selon son bon sens. »