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Le futur du surf se fera sans l'océan

Avec les vagues artificielles, c'est peut-être une petite révolution qui se prépare dans le monde du surf.
Surf Snowdonia. Photo courtesy Richard Johnson/Red Bull Content Pool

Ma petite virée de surf à Grandview Beach, près de Encinitas, en Californie, était moins frigorifiante qu'attendue pour un mois de septembre et agréablement salée pour quelqu'un comme moi qui vit loin de la mer, dans le New Mexico. Comme à peu près 60% des Américains, je vis loin de la côte et du surf, mais j'avais déjà eu l'occasion d'en faire un peu en Nouvelle-Zélande il y a quelques années et j'avais hâte de retrouver ces sensations.

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Mon pote Scott Yorko m'a prêté sa planche pour que je me fasse une session idyllique au coucher du soleil. « Amuse-toi et essaie de ne gêner personne », m'a-t-il dit. Plutôt facile. J'ai surfé sur une première série de vagues de plus d'un mètre, en travaillant mon timing et ma position afin d'être prêt pour les plus grosses vagues, jusqu'à ce que je ressente ce frisson insaisissable de vitesse, une osmose avec l'énergie et le mouvement de l'eau.

Une vague progresse en un mouvement circulaire, phénomène qui paraît plus évident lorsqu'on se fait maltraiter et éjecter comme si on avait plongé dans une machine à laver. Il est compliqué pour les ingénieurs de l'industrie du surf qui essaient de construire des piscines à vagues artificielles de recréer cette hydrodynamique en dehors de l'océan.

Mais je suis allé en Californie du Sud parce qu'une nouvelle génération de piscine de surf vient contredire le fait que, pour faire du surf de qualité, il faut l'océan. Au mois d'août dernier, une société appelé Wavegarden a ouvert ses premières piscines à surf commerciales, à Surf Snowdonia au pays de Galles, et le tournoi Unleashed de Red Bull a eu lieu sur ces vagues faites maison en septembre. En décembre dernier, une vidéo de Kelly Slater surfant sur une belle vague en rouleau, dans la nouvelle piscine de sa boîte, a mis en ébullition toute la communauté des surfeurs. Une autre société, American Waves Machines prétend proposer, avec sa technologie PerfectSwell, ce qu'il y a de plus authentique : des vagues avec la même dynamique que l'océan, des vagues à surfer que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

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Il se peut que ces vagues soient exactement ce dont ait besoin la communauté de geeks du surf pour basculer dans un nouveau concept de surf sans océan, lui permettant ainsi de grandir en nombre et même de s'assurer une place aux Jeux olympiques. Mais c'est peut-être naïf. Peut-être que le surf c'est plus qu'une vague. Mais encore une fois, c'est peut-être aussi plus que l'océan.

Billy Stairmand au tournoi Unleashed en septembre dernier. Photo Olaf Pignataro/Red Bull Content Pool

Au siège d'American Wave Machines (AWM), situé à Solana Beach, juste au nord de San Diego, Clément Ginestet, chef ingénieur, est en train de réaliser des vagues miniatures sur une maquette de la piscine à surf PerfectSwell de l'entreprise. Il dessine une vague A-frame (en forme de A) sur un écran de la taille d'un iPad, et appuie sur le bouton « Testez votre dessin ». Des chambres pneumatiques situées le long de la paroi du fond de la piscine de 1,2m sur 2,5m propulsent de l'air à la surface de l'eau, générant une vague parfaite. Ginestet répète l'opération plusieurs fois en rajoutant une seconde crête, en changeant la forme des vagues et les laisse couler comme sur une plage miniature.

« Chaque chambre [pneumatique] est à l'origine d'une partie de la houle, et en les séquençant, on les additionne. Ensemble, elles créent une vague », explique Ginestet. Des variations légères de puissance des chambres génèrent différentes formes de vagues, allant du beach break (fond marin de sable) au reef break (fond marin composé de roches ou coraux) jusqu'au point break (spots où les vagues peuvent casser sur du sable ou de la roche), déroulant en gauche ou en droite. « En gros, on peut créer n'importe quelle forme de vague toutes les dix secondes. »

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Selon AWM, ce qui fait la différence entre PerfectSwell et les autres piscines de surf c'est le mécanisme air-pression. Et, selon son président et fondateur Bruce McFarland, c'est la seule technologie capable de créer ce qu'il appelle une « vraie » vague : une vague avec un mouvement circulaire particulier, dans laquelle la face de la vague se dirige vers le surfeur en reculant tandis que la crête de la vague propulse le surfeur en avant. Sur l'océan, c'est cette interaction constante entre ces deux forces opposées qui permet au surfeur de glisser sur la face de la vague ou faire du big air, et c'est ce que AWM prétend recréer.

Les vagues artificielles qui déferlent à Surf Snowdonia ou Wadi Adventure, à Dubaï, n'ont pas cet élément essentiel. Les vagues, dans ces piscines sont créées par un hydrofoil, une sorte de bras mécanique sous-marin qui brasse la masse d'eau sur un fond peu profond qui pousse son énergie vers le haut, où elle se brise en un mouvement vers l'avant. (La vague dans la vidéo de Kelly Slater a aussi été générée par un hydrofoil.) On les appelle ressaut hydraulique mouvant, ou vague déferlante. Elles sont surfables mais elles n'ont pas cette propulsion circulaire – il s'agit plutôt de très grands sillages.

« Ce n'est pas une vraie vague, insiste McFarland. Le terme de "vague" est sur-utilisé au point de perdre son sens, parce que tout le monde l'utilise à des fins marketing. »

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Je me suis amusé avec la maquette et j'ai réussi à générer une vague ratée avec un pic très haut qui n'aurait pas été très bonne pour surfer. Ginestet m'a donné une leçon en créant une vague parfaite dont le rouleau a gracieusement traversé la largeur de la piscine. Il a souri. « On va faire des vagues de ouf dans la grande piscine. »

Il faisait référence au plus gros projet de la société à ce jour, une piscine d'un hectare et demi, de 110 mètres de large capable de produire des vagues hautes de 3 mètres. La piscine est encore actuellement au stade de la planification et de design, aucun endroit, ou date d'ouverture, n'ayant encore été annoncés jusqu'à présent. Mais AWM espère bien créer l'événement avec cette piscine qui bénéficiera de la cinquième génération de technologie PerfectSwell.

« La taille et la puissance de ce système seront définis comme un standard, explique McFarland. Faire plus gros aurait de mauvaises conséquences. »

En attendant, AWM compte ouvrir deux autres parcs aquatiques : un à Sotchi, qui est construit et qui doit ouvrir plus tard dans l'année, ainsi qu'une piscine intérieure dans le New Jersey qui est en construction et dont l'ouverture est prévue pour 2017. Depuis 2010, une version de la technologie PerfectSwell créée des vagues de 1,20 m à New York. Mais Zoom Flum n'est pas ouverte au surf, donc jusqu'à maintenant la plupart des rouleaux de PerfectSwell ont été créés dans une piscine de la taille de votre table de cuisine.

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Non pas que ce soit forcément rédhibitoire. D'après David Clark, ingénieur spécialiste en physique océanique travaillant pour le Woods Hole Oceanographic Institute, si cela fonctionne dans la piscine miniature de AWM, la même technologie devrait fonctionner pour un bassin mesurant jusqu'à un hectare et demi. Cependant il reste sceptique quant au fait que leur vague soit d'une quelconque manière « plus vraie », comme le dit McFarland, dans sa simulation de l'océan.

« Générer un vague [dans un bassin] qui soit exactement identique à l'état de la mer aux abords d'une plage est difficile », souligne Clark. Les Néerlandais, me dit-il, possèdent parmi les meilleurs bassins à vagues dédiés à la recherche. Ce sont des machines incroyablement complexes qui reproduisent l'état de la mer avec différentes vagues venant de différentes directions à des fréquences variées.

« Dans une piscine à vague, on n'essaye pas de reproduire la nature », explique-t-il. On essaie de générer une vague bonne à surfer, et pour être honnête, on ne trouve pas beaucoup de bonnes vagues sur la côte ici [en Californie]. L'état naturel des vagues sur les plages n'offre pas de possibilité de surf de qualité. Le surf de haute qualité est vraiment une exception. »

« Voyons combien de différentes sortes de vagues il existe, continue Clark. Le pipeline est totalement différent de San Onofre, Rincon est différent de Black's Beach. Je ne pense pas qu'une vague de Wavegarden soit moins puissante qu'une petite déferlante de San Onofre. Que les gens veuillent ou pas surfer cette vague est une autre question. C'est simplement une autre sorte de vague. Peut être qu'elles sont décevantes, mais il y a beaucoup de vagues décevantes dans le monde. »

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A lire aussi : Le surf est-il vraiment un sport ?

La différence principale, donc, entre des vagues générées à Wadi et Wavegarden et ce qu'essaient de faire Kelly Slater Wave Co. et AWM ne réside peut être pas tant dans leur reproduction fidèle de l'océan que dans leur reproduction fidèle du meilleur de ce qu'offre l'océan.

Les vagues que l'on trouve à Wavegarden sont des déferlements glissants, où la crête de la vague glisse le long de la surface de la vague créant ainsi une face plus ronde – comme celles de San Onofre, ces déferlantes glissantes passent progressivement d'eau profonde à eau peu profonde. Chez Slater et AWM on trouve des déferlantes plongeantes comme à Pipeline, celles-ci passent brusquement en eaux peu profondes et forment ainsi une crête qui se prolonge sur la face donnant cet aspect creux. C'est cette vague plongeante qui excite les bons surfeurs – vague qui jusqu'à maintenant n'a pas été réalisable en piscine.

« Les vagues glissantes sont compliquées », explique le surfeur pro Cheyne Magnusson, qui était au siège de la société lorsque j'y suis passé. Il a surfé dans une piscine AWM lors d'un épisode de la série de Jamie O'Brien Who is JOB ? « Tu dois générer ta propre vitesse. Tu peux pas te permettre de ralentir. »

Si PerfectSwell fonctionne comme le prétend AWM, le surf est sur le point de changer de paradigme. Les partisans des piscines de surf sont enthousiastes quant aux possibilités des piscines d'entraînement qui pourraient aider les gens à apprendre le surf ou servir de lieu d'entraînement pour les pros en vue d'une possible compétition olympique.

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« Je pense que c'est une évolution, affirme le surfeur pro Alex Gray. Tous les sports et les époques connaissent des évolutions, et je pense que les piscines à vagues en sont une. »

Une vague faite avec PerfectSwell . Photo AWM

En juin dernier, le comité d'organisation de Tokyo 2020 a sélectionné le surf ainsi que sept autres sports en vue d'en inclure un aux Jeux Olympiques. Le surf a ensuite survécu à l'étape de sélection suivante aux côtés du skateboard, du base-ball, de l'escalade et du karaté. La décision finale sera prononcée par le CIO en août prochain.

« C'est bien, parce que ça veut dire qu'ils comprennent l'intérêt surf aux Jeux Olympiques, analyse le président de l'Association Internationale de Surf, Fernando Aguerre. Ils veulent qu'on soit de la fête. »

Alors qu'à l'origine Tokyo considérait et l'océan et les piscines de surf pour la compétition, le comité a récemment déclaré qu'il n'était intéressé maintenant que par l'océan démontrant ainsi sa confiance au surf à Tokyo au mois d'août, époque où la houle des typhons est connue pour produire des vagues de première classe. La fiabilité des vagues produites par l'homme est un des arguments en faveur des piscines de surf. En effet ces dernières peuvent se produire en fonction du programme des jeux olympique plutôt qu'en fonction de celui de mère nature. Actuellement les compétitions de surf s'étalent sur plusieurs jours, comme le Eddie Aikau Invitational qui a lieu du 1er décembre au 29 février, alors que les surfeurs attendent les bonnes conditions. Lorsque celles-ci sont réunies (ou si celles ci sont réunies – le Eddie Aikau ayant déjà été annulé faute de pouvoir surfer), les compétiteurs ont une fenêtre de 30 minutes pour espérer avoir des vagues qui pourront leur donner des points. Bien évidemment, pas besoin d'attendre avec les piscines.

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La Red Bull Unleashed qui a eu lieu à Surf Snowdonia a été la première compétition de surf internationale organisée sur des vagues artificielles. Les réactions ont été mitigées, mais cela nous a donné une idée de ce à quoi pourraient ressembler les compétitions de surf à venir.

« Les mecs surfaient les vagues comme des dingues, dit Gray qui, comme Magnusson, travaille avec AMW et la marque Body Glove. C'était marrant de voir comment les différentes personnes prennent différemment la même vague. Il faut vraiment comprendre le des mecs, c'est comme ça qu'on en apprend plus sur les surfeurs. Et on a pas vraiment ça dans l'océan. »

Même si cet avantage représente le plus gros atout de la technologie des piscines à vague pour les organisateurs de tournoi, le problème c'est que ça rend le surf assez fastidieux à regarder. « C'est juste que ça devient vite très répétitif, explique Matt Warshaw, auteur de l'Encyclopédie du Surf. Je ne comprends pas. La piscine à vague ça retire tout le côté extrême du truc. Tu n'auras jamais une compétition intéressante, mais en même temps tu ne prendras jamais de raclée. Cette attente un peu bizarre de la nature, je dirais que c'est vraiment une partie essentielle, non pas du surf mais de la compétition de surf. »

D'un autre côté, le caractère prévisible des vagues pourrait être un bon outil d'apprentissage et d'entraînement. Des surfeurs comme moi n'ayant pas accès à l'océan seraient contents de pouvoir surfer sur des vagues constantes de 1 mètre. Par ailleurs, Magnusson et Gray pourraient peaufiner leurs manœuvres plus rapidement, en ayant moins à attendre, dans un environnement structuré, qui n'est peut-être pas celui du surf comme beaucoup le connaissent, mais qui permettrait de bons ajustements qui pourraient repousser les limites du surf.

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« La créativité des surfeurs va exploser, explique Aguerre. C'est ce que je crois. Parce que, maintenant, ils vont savoir ce que c'est qu'une vague. Le 360 est une figure classique chez la plupart des jeunes surfeurs en compétition. Une fois qu'il pourront s'entraîner 100 fois sur la même vague en une journée, on verra très vite apparaître des 720. »

La piscine à vagues de Surf Snowdonia. Olaf Pignataro/Red Bull Content Pool

Lors de ma visite au siège de AWM, assis autour d'une table avec McFarland, Ginestet et Magnusson, on regardait une projection de McFarland. Il s'amusait avec des simulations de vagues sur le dernier simulateur PerfectSwell. Il a programmé un rouleau de 2,5m qui a duré 14 secondes sur 75 mètres. Sur la côte de San Diego, le temps moyen de surf possible est peut-être de trois à cinq secondes.

« C'est un truc de fou, a dit Magnusson, clairement impressionné. Quand l'océan te donne la chance de faire de belles figures, ça va très vite. Tu as le temps de n'en faire qu'une. Sur une vague qui dure 14 secondes, tu peux en faire huit voire dix. »

McFarland a ensuite lancé une autre simulation et, cette fois-ci, la vague a eu un démarrage plus critique mais le rouleau a duré plus longtemps. Un glisseur expérimenté aurait pu sortir sur la face de la vague et surfer dans le rouleau. Le visage de Magnusson et de Ginestet s'est illuminé.
« Voilà c'est ça ! C'est exactement ça », a crié Magnusson. Il ne m'a pas échappé qu'il s'emballait à propos d'une vague imaginaire sur un écran d'ordinateur.

« On surfe dans notre tête », me dit Magnusson. Je lui ai alors demandé où il pensait qu'une telle piscine aurait sa place dans le monde du surf.
« Je les ai toujours considérées comme un outil d'entraînement, m'a-t-il répondu. Mais si la technologie s'améliore suffisamment et que les vagues donnent un ressenti proche de la réalité, il n'y aura plus de limite. La quantité de customisations et de contrôle possible ici est folle. »

Et avec les bonnes vagues, on peut même convertir les réticents. La vidéo de Kelly Slater a fait un gros effet sur beaucoup de gens.

« Slater nous a tous embouché un coin à nous les sceptiques, dit Warshaw. Après quelques secondes de la vidéo, j'avais déjà envie de surfer sa vague. Cela a été un feeling viscéral, en mode mettez-moi au bord de la piscine avec une carte de crédit. »

Kelly's Wave from Kelly Slater Wave Company on Vimeo.

Le matin de ma dernière journée à San Diego, je suis retourné à la plage de Grandview pour une autre sortie dans l'océan. Un ciel couvert, chose rare, cachait le soleil. Le surf était passable, et une quinzaine de surfeurs flottaient dans la houle alors alors que les vagues passaient. Je me suis approché de la plage pour attraper la tranche de mon surf. Bientôt j'étais debout sur une vague puissante de 1,2m et je tombais en avant presque aussitôt, ma planche s'envolant. La vague m'envoya bouler sous l'eau. Il a fallu plusieurs avant que je me débarrasse de tout le sable que j'avais dans la barbe.

Je me suis battu avec la houle, en essayant de prendre plusieurs vagues, sans grand succès. C'était humiliant d'être malmené par la mer agitée. Au loin l'horizon vaste et infini s'assombrissait à l'ouest, et la brise caressait mes cheveux. Au final, la dynamique de l'eau est inimitable et il y a quelque chose de pur dans ce mystère. Au choix, je préfère cette communion avec la nature plutôt qu'une piscine stérile, parce qu'aucune piscine ne peut se rapprocher de ça.

« Cette partie du surf, la partie spirituelle, être sur l'eau au milieu de la nature, existera toujours, conclut McFarland. On ne veut même pas essayer de faire concurrence à ça. »