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Ce que l'on risque lorsqu'on sniffe de la cocaïne pure à 100 %

On a interviewé le professeur Nicolas Simon, addictologue, afin d'en savoir plus sur les dangers d'une poudre non-coupée.
Photo : Psychonaught, via Wikimedia)

Eastbourne, au sud de l'Angleterre, est une station balnéaire qui a la réputation d'être la ville la plus ensoleillée du pays, c'est-à-dire qu'il n'y pleut qu'un jour sur trois. Depuis quelques semaines, la cité peut également se vanter de posséder la cocaïne la moins coupée de Grande-Bretagne : la police, par l'intermédiaire du journal local, a même averti les consommateurs du coin de se méfier d'une cocaïne pure à 100 %, ou presque.

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100 %, c'est environ quatre fois plus que ce que contiennent la plupart des poudres en circulation habituellement. Résultat : en quelques semaines, on dénombre déjà deux overdoses mortelles et plusieurs hospitalisations d'individus ayant sniffé, sans le savoir, quatre fois la dose qu'ils ont l'habitude de s'envoyer.

Un rapport récent de l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies révèle que depuis 2011, la concentration de la « cocaïne de rue » n'a fait que croître dans notre pays, passant de 27 % de pureté à 46 % en l'espace de quatre ans. Sur Internet, et notamment sur Reddit, des threads ont été créés par des consommateurs plus ou moins inquiets, avec pour toile de fond ce qui ressemble à une légende urbaine : une cocaïne pure à 100 %, qui tuerait instantanément quiconque la consommerait.

Pour en avoir le cœur net, et connaître les vrais dangers d'une cocaïne potentiellement aussi pure, nous avons demandé l'avis du professeur Nicolas Simon, addictologue au CHU de Marseille et membre de l'ANPAA, l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et en Addictologie. Son message principal est assez simple : finir aux urgences pour un infarctus du myocarde quelques minutes après avoir sniffé un rail est loin, très loin, d'être une expérience que vous aimeriez vivre.

VICE : C'est quoi le problème avec une cocaïne pure à 100 % ?
Pr Nicolas Simon : En général, la cocaïne n'est jamais pure, elle va toujours être préparée, coupée avec d'autres substances. Ça va vraiment dépendre de la filière de fabrication. Le degré d'impureté peut être extrêmement variable d'un « producteur » à un autre. Quand l'usager prend une ligne, il s'intéresse d'abord au poids du produit alors que la quantité de cocaïne peut être très variable. Il peut se retrouver dans des situations de sous-dosage, ce qui n'est pas problématique, mais si la préparation est plus pure, il peut se retrouver également avec des réactions de surdosage, ce qui est beaucoup plus embêtant. Un surdosage de la cocaïne peut être très dangereux.

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Le consommateur va s'en rendre compte immédiatement ?
Pas forcément. Un utilisateur a le sentiment de prendre toujours la même dose quand il consomme mais, en fait, il ne prend jamais exactement la même, parce qu'il n'y a pas de normes de fabrication, contrairement à ce qu'on a l'habitude de voir dans les produits de consommation classique. Si le surdosage est léger, il pourra éventuellement se rendre compte que le produit est particulièrement efficace, mais si le surdosage est plus important, il peut avoir des complications avant même qu'il ne se rende compte de quelque chose.

C'est-à-dire ?
Un jeune qui se présente aux urgences avec un tableau clinique d'infarctus du myocarde, c'est généralement une intoxication à la cocaïne, jusqu'à preuve du contraire. Comme c'est un tableau de symptômes très rare pour les personnes relativement jeunes, on enseigne aux urgentistes que, dans ce cas-là, il faut immédiatement penser à la cocaïne. La cocaïne, en surdosage, provoque un infarctus du myocarde.

C'est quoi ?
Le cœur, pour fonctionner normalement, est alimenté en permanence par du sang, avec des artères. La cocaïne va entraîner un spasme de ces artères. Le cœur ne sera plus correctement alimenté. Habituellement, un infarctus du myocarde, c'est quand une artère du cœur est bouchée par des plaques de graisse. C'est ce qu'on trouve chez les adultes relativement âgés, en tout cas ceux de plus de 50 ans. Dans le cas du jeune qui prend de la cocaïne, l'artère est normale, saine, mais du fait de la cocaïne, elle va se fermer. C'est comme un tuyau qui se contracte. Le sang ne passe plus. Ça donne d'abord des douleurs, et puis le vrai tableau classique d'infarctus du myocarde qui peut aller jusqu'à une nécrose, donc une destruction d'une partie du cœur.

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Il y a d'autres complications éventuelles ?
Ce spasme, cette contraction de l'artère, peut se produire au niveau du cœur, mais également à d'autres endroits. Ça peut être une artère au niveau du cerveau : dans ce cas-là, c'est un accident vasculaire cérébral, avec des manifestations neurologiques. Ça peut être, éventuellement, ORL, avec des lésions au niveau de la cloison nasale – même avec des doses communes, on a des ulcérations à l'intérieur du nez parce que les artères sont en permanence sous l'effet du produit. On peut aussi connaître des complications infectieuses, mais qui ne seront pas liées à un surdosage.

Dans le cadre du surdosage, ce sont avant tout des troubles cardiaques, neurologiques, et psychiques. Il y a un certain nombre de patients qui, sous l'effet de la cocaïne, vont avoir des décompensations de type psychiatrique, la plus connue étant le délire paranoïaque.

Connaît-on à peu près le degré de pureté de la cocaïne consommée habituellement en France ?
C'est extrêmement variable. En général, elle n'est pas de très bonne qualité. C'est difficile de répondre mais, le plus souvent, c'est clairement moins de 50 %.

Les dealers connaissent-ils la pureté du produit qu'ils vendent ?
Non. Si vous prenez une cocaïne qui est à 20 ou 30 % et qu'on la compare à une cocaïne à 80 ou 90 %, l'aspect visuel va être le même. Pour le petit revendeur, le seul moyen de la savoir, c'est de faire un dosage chimique, ce qui est très compliqué. D'ailleurs, si les dealers savaient qu'ils vendaient une cocaïne quasiment pure, leur première réaction serait certainement de la couper : pour eux c'est une perte d'argent.

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On trouve quoi dans une cocaïne coupée ?
Tout et n'importe quoi. Ça peut être des médicaments… On trouve de tout. Quand il y a des « épidémies », les laboratoires récupèrent du produit et essayent d'analyser ce qu'il y a dedans. Ce sont souvent des médicaments, mais ça peut être plein de choses. Les produits qui servent à la coupe, d'ailleurs, sont souvent aussi dangereux, voire plus dangereux, que la cocaïne elle-même.

Donc une cocaïne à 100 %, bien dosée, pourrait éventuellement être moins dangereuse qu'une cocaïne coupée ?
Les produits de coupe sont extrêmement dangereux, parce que vous ne savez pas ce que c'est. Il n'y a pas très longtemps, un médicament a été utilisé par des producteurs de cocaïne, et ce médicament entraînait une vasoconstriction très importante qui s'ajoutait à celle de la cocaïne. Au niveau cardiaque, c'était vraiment dramatique. Si nous avions un produit à la qualité avérée, ça entraînerait, sans doute, moins d'accidents.

Est-ce que la descente est plus violente avec un produit plus pur ?
Dans la mesure où l'effet est plus important, effectivement, la descente peut être perçue de façon plus importante également.

Est-ce qu'on assiste en France à une purification des produits ?
Ce que j'ai observé – pas pour la cocaïne, mais c'est probablement la même chose – c'est qu'en passant par Internet pour s'approvisionner, les usagers perdent le contact avec le vendeur et avec les filières de production. Du coup, à chaque fois qu'ils se rendent sur Internet sur un site différent pour obtenir un produit, ils vont se fournir en produits de qualité différente, avec des degrés de pureté différents. Internet a entraîné une floraison de l'offre, avec parfois des produits extrêmement concentrés. C'est valable pour la cocaïne mais également pour ce qu'on appelle les nouveaux produits de synthèse, les cannabinoïdes de synthèse, etc. J'ai en tête un patient qui a l'habitude de consommer du cannabis, qui a voulu essayer sur Internet et qui s'est pris, selon son expression, « une vraie claque ».

Quels conseils pourrait-on donner aux gens qui consomment malgré les risques ?
Le premier conseil, ce serait de consommer d'abord des petites quantités avant de se faire une dose telle qu'on a l'habitude de faire. C'est d'ailleurs ce que préconisent eux-mêmes les usagers qui ont un peu plus d'expérience. La seule chose que je peux dire, en tant que médecin, c'est qu'il faut consulter et, dans l'idéal, ne pas consommer.

Emmanuel est sur Twitter.