L’histoire de Rory Shayne, célèbre pour avoir braqué une banque montréalaise en hélicoptère
Illustration par HRVST

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Crime

L’histoire de Rory Shayne, célèbre pour avoir braqué une banque montréalaise en hélicoptère

Il n’avait pas son pareil pour trois choses : braquer des banques, s’évader de prison et semer le chaos partout où il passait.

Cet article a d'abord été publié sur Vice Canada.

Le 23 février 1979, Rory Shayne et sa blonde, Micheline-Rachel Dubiel, sont sortis d’un hélicoptère qui s’était posé dans le stationnement d’un centre commercial de Montréal. Lui portait une veste en cuir noir et était armé d’une mitraillette chromée qui avait autrefois appartenu à la garde nationale chinoise; elle, élégamment qualifiée plus tard par un témoin de femme « très laide », portait une tenue en cuir rouge et était également armée. Ressemblant davantage à Sid et Nancy qu’à Bonnie et Clyde, le couple est entré à la Banque Royale, s’est mis au travail et a empoché plus de 12 000 $.

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Pendant ce temps, dans l’hélicoptère — avec faux lettrage de la police — Nguyen Hiu Lee, un vétéran de la guerre du Vietnam, attendait menotté. Plus tôt ce jour-là, M. Nguyen, un employé d’une compagnie offrant des excursions en hélicoptère, avait été embauché pour les transporter à Québec. Il est plutôt vite devenu le complice involontaire de l’un des crimes les plus audacieux jamais commis au Canada. Au retour du couple dans l’hélicoptère, Rory Shayne a ordonné au pilote de voler vers le nord-est, puis d’atterrir près de la station de métro Sauvé, où ils sont disparus sous terre.

Rory Shayne et Micheline-Rachel Dubiel. Source : numéro de 1980 d’Allô Police

C’était un braquage impressionnant, autant pour sa planification que son exécution, mais ce n’était qu’un de plus dans une longue liste de crimes et de fuites orchestrés par Rory Shayne. Cependant, malgré toute son audace, il était et reste un personnage mystérieux du monde de la criminalité. Nous avons parlé à son avocat, à son professeur en prison et à un codétenu de ce génie criminel aujourd’hui oublié.

La capitale nord-américaine du vol de banque

Rory Shayne occupe une place prépondérante dans le livre Montreal’s Irish Mafia: The True Story of the Infamous West End Gang, de D’Arcy et Miranda O’Connor. Toutefois, il se tenait à l’écart des réseaux de voleurs et de trafiquants qui sévissaient alors.

« Dunie Ryan, qui était le chef du West End Gang, ne voulait pas avoir affaire à Rory. Il pensait qu’il était fou et qu’il ne ferait que lui attirer des ennuis », dit D’Arcy, faisant allusion à ses modus operandi déments et à sa propension à se procurer des armes lourdes avec le butin des cambriolages de banque.

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« Ils étaient une sorte de Bonnie et Clyde, lui et Micheline, ce que je trouvais fascinant. Elle était très impliquée et elle s’est échappée deux fois de la prison pour femmes. Ils étaient de la même eau. [Pendant le cambriolage avec l’hélicoptère], il était vêtu de cuir noir de la tête aux pieds, et elle de cuir rouge. Peut-on faire plus glamour? »

Le flair de Shayne pour le spectacle l’amenait à se démarquer même à Montréal, où survenaient alors jusqu’à 900 cambriolages de banques par année et que le LA Times qualifiait alors de « capitale des vols de banque en Amérique du Nord ».

Peter Fryer, originaire de Montréal, qui a logé dans la cellule voisine de Shayne à la prison Leclerc de Laval, dit que c’est lui qui l’a présenté au West End Gang à la fin des années 70. « C’était un gars très timide, très gentil, très réservé. Un peu différent, tu sais. Il avait l’habitude de méditer dans sa cellule. Une fois, pendant qu’il méditait, je suis passé devant sa cellule et j’ai donné un coup de pied sur sa porte. Rory m’a pourchassé dans la salle commune pendant un moment. Il était furieux. Mais après, on est devenus de bons amis. »

Un cambriolage de banque… en hélicoptère! Bande dessinée dans un numéro de 1979 d’Allô Police

Selon lui, la volonté de s’échapper de Rory Shayne s’étend bien au-delà des prisons et des banques : il allait même au-delà des limites de l’espace et du temps.

« Rory s’intéressait à des affaires comme les voyages astraux. Il pensait qu’il pouvait voyager dans son esprit. Dans sa cellule, il pensait qu’il quittait son corps et allait se balader en ville! C’était ce qui l’intéressait. »

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Ça et les armes. Quand il a refait surface malgré lui des mois après le braquage avec l’hélicoptère, il était installé dans un appartement de Saint-Léonard avec Micheline-Rachel Dubiel, ainsi qu’un véritable arsenal. « Quand les flics ont fait irruption dans la nuit, alors que Rory dormait, ils ont trouvé des milliers de cartouches de toutes sortes de calibre. Il avait de quoi tenir tête à une armée, raconte D’Arcy O’Connor. Il avait entre autres un bazooka. »

L’éducation de Rory Shayne

Mais la relation entre D’Arcy O’Connor et Rory Shayne est plus personnelle qu’exige habituellement la recherche en vue de la rédaction d’un livre sur le crime. Il a fait la connaissance de Shayne alors qu’il enseignait la rédaction créative aux détenus de la prison Leclerc. « C’était un bon gars, je l’aimais bien », dit-il, en décrivant les histoires tirées par les cheveux qu’écrivait son étudiant, comme celle d’un voleur de banque qui détourne un voilier, prend en otage un couple en lune de miel, échange des coups de feu avec la police, pour finir appréhendé par les garde-côtes américains.

Des années plus tard, en faisant des recherches pour son livre, D’Arcy s’est rendu compte que ce n’était pas une fiction et que Rory Shayne était l’auteur non seulement de l’histoire, mais aussi des crimes réels qu’il racontait. « Il était l’élève le plus brillant de la classe, juge-t-il. Il aurait pu travailler dans une banque au lieu de les braquer. C’était un gars très, très intelligent. »

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Si intelligent qu’il a réussi à s’évader au cours d’une visite chez un psychologue pour détenu au centre-ville de Montréal. C’est après cette évasion qu’il a effectué le braquage avec l’hélicoptère et une panoplie d’autres, amassant ce faisant environ 260 000 $. « Je me souviens d’être arrivé un matin et qu’il n’était pas en classe, dit le professeur. J’ai demandé aux autres : “Où est Rory?” Ils se sont mis à rire et m’ont dit : “De l’autre côté du mur!” Il ne m’a pas rendu son dernier devoir, il doit encore me le rendre! »

Apparemment, Shayne avait aussi un talent en arts plastiques. Son professeur Jean-Claude Tremblay l’a décrit comme « un gars très doué et très méticuleux, capable d’une très grande concentration. Un débutant plein de promesses! » Malheureusement pour la société, son talent, sa minutie et sa concentration ont été mobilisés pour concevoir et exécuter des crimes.

Un enfant de la violence

En dehors de sa créativité et son intelligence incontestables, tout à propos de Rory Shayne reste mystérieux. D’abord, ce n’était pas son vrai nom : il s’appelait plutôt Burkhard Bateman. Il est né en Allemagne d’un père canadien et d’une mère allemande (qui se sont tous les deux retrouvés dans des institutions psychiatriques au Canada) qui l’ont très tôt dans sa vie envoyé à l’orphelinat. Décrit plus tard comme « un enfant de la violence », il est arrivé au Canada à neuf ans, déjà malmené par la vie.

« Son histoire est très triste », dit son ancien avocat, Gary Martin, que Shayne a déjà tenté de tuer dans la salle d’audience d’un palais de justice. « Rory a été adopté en Allemagne et amené au Canada par sa tante, je pense, qui était infirmière. Il est arrivé au Canada sur un bateau, accompagné par un policier. Rory m’a raconté qu’il avait un pistolet jouet et que le policier lui a enlevé et l’a jeté par-dessus bord, disant que ce n’était pas bon pour lui. Il me répétait : “C’est comme ça que j’ai commencé ma vie de criminel.” Clairement, ça l’a marqué. »

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Les blessures que Shayne a subies enfant n’étaient pas que psychologiques. « Il avait des cicatrices sur sa poitrine et dans le cou, se souvient son avocat. Quand on lui parlait, il fermait sa chemise pour ne rien laisser voir. Il se présentait toujours au tribunal en tenant son collet avec sa main pour que ses cicatrices ne soient pas visibles. » D’Arcy raconte dans Montreal’s Irish Mafia qu’elles remontent à son enfance chez sa mère adoptive, qui lui faisait des entailles avec un couteau de cuisine quand il avait quatre ans et essayait ensuite de faire croire à un accident en versant de l’eau bouillante sur son cou et sa poitrine pour les camoufler.

Prise d'otage au tribunal

Au cours d’une comparution au palais de justice, Rory Shayne ne dissimulait pas que ses cicatrices. Le 15 décembre 1981, il comparaissait devant la Cour supérieure du Québec pour que soit fixée la date de son procès et pour sa mise en accusation pour une foule de crimes, dont une tentative d’évasion de prison et une prise d’otage à son retour en prison après le braquage avec l’hélicoptère. Mais avant que commence l’audience, il est sorti de la salle de détention tenant deux gardiens en otage, armé d’un pistolet de petit calibre. Il l’a d’abord pointé sur le juge, Paul Martineau (ancien ministre fédéral des Mines et des Relevés techniques de John Diefenbaker), qui a rapidement fui par derrière, puis sur son avocat, Gary Martin, assurant qu’il ne retournerait pas en prison.

« J’ai dit : “Qu’est-ce que tu vas faire maintenant, tirer sur ton avocat?”, raconte ce dernier. J’étais un peu sarcastique, mais j’essayais de négocier pour qu’une femme cachée sous un bureau puisse sortir de la salle. C’était ma principale préoccupation. »

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Comme Shayne avait déjà fabriqué un faux pistolet avec du savon et de la cire à chaussures pour s’évader de prison, l’avocat était certain que son client bluffait. Mais non. Il s’agissait d’un pistolet de départ — qu’on utilise pour donner le signal de départ d’une course — de calibre .22, mais converti en .38. Shayne a appuyé sur la détente. « Les deux premières fois, le coup n’est pas parti, puis les gardiens ont sauté sur lui, et là il y a eu une détonation, mais la balle s’est logée dans le plancher. Deux coups de feu dans ma direction ne sont pas partis. En général, on considère déjà qu’on a de la chance si un seul coup ne part pas. »

Cet incident soulève une question : comment un détenu enchaîné transféré d’une prison à un palais de justice a-t-il pu dissimuler une arme à feu à demi fonctionnelle? Deux théories se sont affrontées à l’époque : ou bien le pistolet avait été caché dans le palais de justice auparavant, ou bien Shayne l’avait caché dans son rectum. Les médecins légistes amateurs croient que c’est le rectum, car cela expliquerait pourquoi le pistolet n’a pas fonctionné les deux premières fois.

« Peut-être qu’il y a eu trop de vaseline, rigole l’avocat. D’habitude, c’est à cause de l’humidité si le coup ne part pas. […] C’est probablement ce qui est arrivé, s’il le sortait de son derrière. C’est probablement pour ça que les coups ne sont pas partis. »

Shayne avait une fois de plus réussi à déjouer les autorités dans des conditions qui jouaient en sa défaveur, mais la justice a tout de même suivi son cours. « Rory a pu se lever quelques minutes plus tard, et il a comparu devant le juge et une date a été fixée, se souvient l’avocat. Il avait de petites marques rouges au visage. »

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Comment disparaître

En 1982, Shayne a été reconnu coupable de tentative de meurtre à l’endroit du juge Martineau et condamné à la prison à vie, et en 1986 il s’est retrouvé dans un établissement pénitentiaire de très haute sécurité en Saskatchewan. Peu de temps après, il a été extradé en Allemagne et, ensuite, on perd sa trace. À un indice près, qui n’a cependant pas conduit D’Arcy a des certitudes.

« Il y a environ un an, une femme m’a contacté, dit-il. Sa mère était une ancienne blonde de Rory, qui est restée en contact avec lui après son extradition en Allemagne. Elle m’a dit qu’après l’extradition, sa mère et Rory se sont écrit et qu’elle en était toujours amoureuse. Je n’ai aucune des lettres et je n’ai jamais eu d’autres nouvelles de sa part. C’est mon dernier lien avec Rory. »

Peter Fryer, son ancien copain de prison, dit que c’est ce qu’il ne comprend pas. « Tout à coup, il s’est évaporé. Je ne sais pas. Il a fait un peu d’argent avec ses vols de banque et puis plus rien. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis. »

Son ancien avocat non plus. « Des personnes m’ont dit qu’il était décédé. C’est un peu comme le type qui a sauté de l’avion avec de l’argent aux États-Unis. Quand on ne sait pas ce qui est arrivé, c’est toujours mystérieux. Personne ne sait ce qui s’est passé. »

Kristian Gravenor passe « littéralement chacune de ses journées » à consulter des archives de journaux et à creuser de vieilles histoires sordides survenues à Montréal, et beaucoup se sont retrouvées sur son blogue, Coolopolis, et dans son livre Montreal: 375 Tales of Eating, Drinking, Living and Loving. Au fil de ses recherches, le mystère autour de la vie de Shayne l’a rendu de plus en plus perplexe.

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« Si on parle de Rory Shayne comme d’un gangster irlandais, c’est un peu tiré par les cheveux, dit-il. Pour être dans le West End Gang, il faut s’asseoir dans le bar et rire des blagues idiotes, et ça ira. Mais Shayne était solitaire et bizarre. Il avait une vision. »

Pour Gravenor, cette incongruité en est venue à définir encore plus Shayne que son impressionnant casier judiciaire. « C’est l’héritage de ce type, pour moi. C’est le mystère de sa motivation. S’il voulait prouver qu’il était un criminel brillant, à qui est-ce qu’il voulait le prouver? Qui était dans son cercle? Qui était son public? […] Si vous avez un QI élevé ou la capacité d’avoir des idées créatives et peut-être brillantes, vous ne devriez probablement pas entrer dans la criminalité. Il me semble que le monde a mieux à vous offrir que ça. »

Son vieux professeur de rédaction créative imagine qu’il a peut-être poursuivi dans la même voie. « Il aurait probablement la soixantaine avancée maintenant et vivrait en Allemagne, à moins qu’il ait braqué une Bundesbank et ne se soit enfui ailleurs, dit D’Arcy. Qui sait? »

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Où que soit Rory Shayne aujourd’hui, il porte les cicatrices d’une vie à tenter de franchir les limites brutales qui lui ont été imposées dès la petite enfance. Abandonné par ses parents biologiques, mutilé par une mère adoptive, envoyé au Canada où l’essentiel de sa vie s’est passée derrière les barreaux, il a autant été victime des circonstances qu’il les a créées. Comme Sisyphe avec son rocher, il a porté son fardeau tout au long d’une existence violemment absurde, en se créant sans cesse un but, que ce soit des cambriolages improbables, des évasions de prison audacieuses ou des voyages dans des dimensions avoisinantes à partir de sa cellule. Mort ou vivant, une chose est sûre, il a laissé le monde dans un pire état qu’il ne l’a trouvé.

Merci à Miranda O’Connor pour les documents fournis.

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