FYI.

This story is over 5 years old.

SENEGAL

Le procès historique d’un ex-président tchadien a débuté aujourd’hui à Dakar

Hissène Habré est jugé pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture » commis sur le territoire tchadien dans les années 1980.
Vue aérienne de Dakar. Photo via Flickr / Jeff Attaway

Le procès de l'ancien président tchadien Hissène Habré s'est ouvert ce lundi à Dakar, au Sénégal. Il y est jugé pour « crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture, » des actes commis sur le territoire tchadien, lorsqu'il était à la tête du pays entre 1982 et 1990. Près de 40 000 personnes auraient été tuées et 200 000 torturées sous la présidence de Habré, ce qu'il nie formellement aujourd'hui.

Publicité

L'ex-président tchadien souhaitait boycotter son procès, mais il a été amené ce lundi matin de force par la police au palais de justice Lat-Dior de Dakar pour qu'il comparaisse devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), un tribunal indépendant créé pour l'occasion. C'est une première sur le continent africain.

Big crowd today for opening of — Henri Thulliez (@HenriThulliez)July 20, 2015

À peine installé dans la salle d'audience aux alentours de 8 heures du matin (heure locale), Hissène Hadré a commencé à hurler, « [Ce procès] est une véritable farce organisée par des politiciens sénégalais pourris ! Traitres africains ! Valet de l'Amérique! », selon des propos rapportés par des journalistes sur place. Le procès a alors commencé sans l'ex-président, qui a été raccompagné à sa cellule dans la prison du cap Manuel à Dakar.

Empty chair. — Thomas Fessy (@bbcfessy)July 20, 2015

« Le procès s'est ouvert d'une manière assez spéciale, à la fois solennelle et ridicule » nous explique par téléphone Henri Thuilliez ce lundi après-midi. C'est l'un des coordinateurs de Human Rights Watch, pour ce procès, l'ONG a constitué une bonne partie des chefs d'accusation du dossier. Thuilliez était ce matin dans la salle du tribunal, pour suivre les audiences. Il nous raconte qu'Hissène Habré était présent très tôt sur le banc des accusés. Il s'est ensuite mis à hurler, ne supportant plus l'insistance des journalistes qui le pressaient vraisemblablement de réactions.

Publicité

Près de 4 000 victimes se sont constituées partie civile et près d'une centaine de témoins et victimes devraient défiler pendant les trois mois que durera le procès, pour témoigner des « homicides volontaires, [de la] pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, enlèvement de personnes suivis de disparition et torture constitutifs de crimes contre l'humanité, » comme le note l'ONG Human Rights Watch dans un communiqué publié en amont du procès.

Henri Thuilliez explique que les parties civiles attendent beaucoup du procès. « Les personnes que nous aidons réclament tout d'abord la justice, elles veulent savoir pourquoi elles ou leurs proches ont été visés et faire la lumière sur ce qui a été commis » nous explique-t-il. « Les victimes demandent bien sûr des réparations, mais c'est secondaire, » a-t-il précisé.

Terreur et répression

L'histoire de Hissène Habré et du Tchad commence réellement en 1971, quand il revient dans son pays d'origine, après avoir fait ses études à Paris, comme l'explique le journaliste Michael Bronner dans son enquête publiée par Foreign Policy en 2014, intitulée Habré, notre homme en Afrique. À cette époque, dans le nord du pays, Habré construit ses milices et prépare son avenir politique.

En 1979, Habré est nommé ministre de la Défense dans un gouvernement formé par les pays voisins du Tchad — l'objectif étant de réunir 11 factions qui se disputaient à l'époque l'ancienne colonie française, qui a obtenu son indépendance en 1960. En 1982, Habré et 2 000 de ses soldats prennent le pouvoir à N'Djamena et déclarent la Troisième République du Tchad. Dès son arrivée au pouvoir, il gouverne par la force : les prisonniers de guerre sont exécutés, les opposants politiques capturés et tués, les civils soupçonnés de soutenir l'opposition faisaient l'objet de représailles, détaille l'enquête de Foreign Policy.

Publicité

« Il a dû montrer qu'il était le plus fort parmi toutes les factions qui se disputaient le pouvoir, et pour cela, il a frappé très fort. Tous ceux qui avaient un autre projet politique pour le Tchad ont été remis dans le rang, de gré mais surtout de force, » explique à VICE News ce lundi matin, Roland Marchal, chercheur du Centre de recherches internationale de Sciences Po Paris et spécialiste des conflits d'Afrique centrale.

Deux ethnies vont particulièrement souffrir de la répression d'Habré. En 1987, il va lancer une grande phase de répression après qu'un militaire de la tribu hadjaraï lance un mouvement d'opposition, ce qui vaut à toute l'ethnie hadjaraï — dignitaires comme civils — d'être visée par la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité), la police politique du régime tchadien de l'époque. Deux années plus tard, le schéma se reproduit, mais avec les Zaghawas. Les civils sont à nouveau pris pour cible dans une forme de « châtiment collectif, » selon les mots de Michael Bronner.

En novembre 1990, N'Djamena tombe aux mains de la rébellion d'Idriss Déby, encore président du Tchad aujourd'hui. Habré fuit le pays en direction du Sénégal, avec une partie du trésor public tchadien. Cet argent pourrait avoir permis à Habré d'éviter pendant longtemps les soucis judiciaires, nous explique Roland Marchal. « Là-bas, il s'est entouré de certains alliés pour éviter ou retarder les procédures judiciaires qui le visaient.»

Publicité

Un marathon juridique sinueux et singulier

En 1992, quand la commission nationale d'enquête tchadienne publie un rapport dans lequel on apprend que près de 40 000 personnes auraient été tuées sous les ordres de Habré. Mais c'est véritablement en janvier 2000 que le feuilleton juridique se lance, lorsque 7 victimes tchadiennes déposent plainte au Sénégal contre l'ex-président tchadien. En juillet 2006, c'est au tour de l'Union africaine (UA) de s'impliquer. En avril 2012, une cour indépendante, les Chambres africaines extraordinaires (CAE), est finalement créée spécialement pour se saisir du cas de l'ex-président.

Pour la première fois en Afrique, les autorités d'un pays vont juger l'ancien dirigeant d'un autre État du continent pour des crimes de cette importance. Habituellement ce genre d'affaire est jugé par la justice du pays concerné ou peu remonter jusqu'à la Cour pénale internationale (CPI).

À l'issue des trois mois de procès, si Hissène Habré, 72 ans, est déclaré coupable, il pourrait être condamné à 30 ans de prison qu'il pourrait purger au Sénégal ou dans tout autre pays de l'Union africaine.

Suivez Pierre-Louis Caron et Pierre Longeray sur Twitter : @pierrelouis_c et @PLongeray

Vue aérienne de Dakar. Photo via Flickr / Jeff Attaway