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Belgique

La Belgique condamnée pour avoir extradé un prisonnier vers les États-Unis

La Cour européenne des droits de l’homme confirme que la Belgique devra bien verser 90 000 euros à l’islamiste radical Nizar Trabelsi, coupable de tentative d’attentats, pour avoir violé les droits de l’homme en le remettant aux mains des Américains.
CEDH / Image via Wikimedia Commons

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a confirmé ce vendredi que la Belgique avait commis une violation des droits de l'homme en extradant vers les États-Unis en octobre 2013 le tunisien Nizar Trabelsi, condamné à dix ans de prison en 2004 pour des faits de terrorisme en Belgique. Cette décision confirme le jugement de la CEDH du 4 septembre 2014 (la Belgique avait fait appel), qui condamnait le pays à verser 90 000 euros à Trabelsi pour préjudice moral et frais de justice, selon le journal belge La Dernière Heure. Il est actuellement détenu dans une prison de Virginie, aux États-Unis, où il encourt une peine de réclusion à perpétuité.

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Trabelsi, ancien joueur de football, né en Tunisie à Sfax en 1970 a été condamné en 2004 pour tentative d'attentat contre la base militaire américano-belge de Kleine-Brogel, en Belgique— qui abrite des armes nucléaires — et pour avoir organisé des activités terroristes avec Al-Qaida.

L'extradition de Trabelsi, qui affirme avoir rencontré Oussama Ben Laden en Afghanistan, était réclamée par les États-Unis depuis 2008, qui estimaient qu'il avait fomenté d'autres plans à visée terroriste que celles pour lesquelles il avait été condamné en Belgique. Trablesi a été arrêté en Belgique au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

En 2013, la justice belge a accepté de le livrer à Washington, à condition qu'il ne soit pas condamné à mort, et qu'il soit jugé par un tribunal de droit commun. Mais il n'a pas été garanti qu'il ne serait pas soumis à une peine à perpétuité incompressible, point bloquant pour la CEDH, explique ce vendredi à VICE News son avocat Marc Nève. En outre, la CEDH reproche à la Belgique de ne pas avoir attendu sa décision pour remettre Trabelsi aux Américains.

« Le 4 septembre de l'an passé, la CEDH a condamné la Belgique pour violation de l'article 3 de la Convention européenne, » rappelle l'avocat. « Parce que l'extradition de l'intéressé vers les États-Unis, est une violation du droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant. » Cet article 3 considère que les peines incompressibles sont des peines inhumaines et dégradantes aux yeux de l'Union européenne.

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Pour l'avocat de Nizar Trabelsi, cette décision définitive de la CEDH pourrait faire jurisprudence dans d'autres cas d'extradition réclamés par les États-Unis à des pays européens, notamment au Royaume-Uni où la collaboration en termes d'extradition est poussée. En d'autres termes, le cas de Trabelsi pourrait devenir motif à réclamation et à report dans le cadre d'une extradition qui exposerait à une peine à perpétuité.

Maître Marc Nève cite un autre exemple de condamnation du Royaume-Uni par la CEDH, non pas dans le cadre d'une extradition, mais pour le même motif, celui de la peine à perpétuité. C'est l'arrêt Vinter rendu par la CEDH en 2013, et qui exige du Royaume-Uni qu'il permette un réexamen des peines perpétuelles, c'est-à-dire de maintenir la possibilité de les compresser.

Cet arrêt concerne trois ressortissants anglais qui étaient condamnés pour meurtre à des peines de prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Ils ont ainsi fait un recours invoquant la violation de l'article 3, arguant qu'une telle peine constituait un traitement inhumain et dégradant puisque la perpétuité réelle est susceptible de créer une angoisse chez le condamné, équivalente à la douleur morale résultant de mauvais traitements.

Ce nouvel arrêt de la CEDH peut-il être réellement contraignant pour des cas similaires à venir ? Florence Rouas-Elbazis, avocate au barreau de Paris explique à VICE News qu'en matière de droit pénal, le droit communautaire est au-dessus du droit national, donc en principe ce genre d'arrêt peut effectivement peser sur les décisions de justice. Elle explique que les avocats ont tout intérêt à faire jouer ces précédents. Reste que dans les affaires terroristes la donne est souvent différente.

« C'est sûr que quand nous avocats, en droit interne, quand on a à plaider telle ou telle cause, on invoque les arrêts de la CEDH, » dit Florence Rouas-Elbazis. Elle poursuit en faisant remarquer que le cas de Trabelsi est « un peu particulier parce qu'en matière de terrorisme, il y a toujours des mesures un peu exceptionnelles. »

Marc Nève nous a dit vouloir désormais intenter une nouvelle action en justice dans cette affaire, pour que le gouvernement belge ne collabore plus avec le gouvernement américain dans ce dossier : « Nous partons de l'idée que poursuivre une collaboration avec les États-Unis, c'est poursuivre la violation de la Convention. »

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho

Photo Sfisek via Wikimedia Commons