Dans la peau des femmes qui luttent pour combattre

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Dans la peau des femmes qui luttent pour combattre

On a suivi le premier gala de MMA softcore 100 % féminin, minute par minute, coup après coup.

Le speaker annonce un moment historique pour le sport français : « C'est la première fois que nous allons assister à une soirée 100% féminine. Je vais alors vous les présenter une à une. Ce soir, elles ont envie de vous donner un beau spectacle.» Et du spectacle, il y en a eu samedi 28 novembre dans la mythique salle Japy. Elles étaient dix-huit à se succéder sur le ring, dans les règles du pancrace, une version soft des Arts Martiaux Mixtes (MMA). Les combattantes se sont affrontées debout ou au sol, en utilisant principalement des techniques de judo, de jiu-jitsu, de lutte et de boxe thaïe. Les combats se sont déroulés en deux ou trois rounds de 5 minutes, par décision, K.O. ou soumission. On vous raconte cette soirée.

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Première surprise : les ring-girls en petite tenue ne sont pas de la partie. Elles sont remplacées par deux ring-boys, torses nus, avec nœuds papillon et pantalons noirs. Clin d'œil à ceux qui dénoncent la présence des habituelles ring-girls qui défilent entre les rounds sous les sifflets du public.

Les premiers affrontements sont des baptêmes du feu pour la plupart des filles. Elles n'ont pas ou très peu de combats à leur actif et évoluent donc avec un casque et des protections aux tibias. Pour ouvrir les hostilités, Samie-Jo Marland bat Ophélie Vandoolaeghe par soumission au premier round et Lysane Delourme bat Kaitline Sock par décision.

Les femmes peinent à signer des combats en France. Certaines font le choix de s'exiler et d'autres passent d'une discipline de combat à une autre, avec le risque de s'éparpiller. Ne pas briller lors de ce gala, c'est laisser filer sa chance. Sa chance, Jessy Berchel a su l'a saisir. Elle impressionne en remportant son combat par soumission avec un juji (clef en croix sur le coude, par les jambes).

Du côté des femmes et des hommes de coin, les mots fusent : « Mets ton coude sur sa gorge ! », « Tente un triangle ! », « Pousse vers le haut avec ton bassin ! ». La fin de la carte préliminaire voit les victoires sur décision des juges d'Elodie Giorla sur Clémence Follea et de Judith Levi sur Amélie Lebrun.

Les femmes engagées dans cette compétition font face à un double défi : l'ignorance autour de leur discipline et les préjugés machistes. Elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à pousser les portes des salles de MMA. Certains clubs ont même ouvert une section féminine pour attirer les curieuses, à l'image du Platinum dans le 13eme arrondissement. Dans les clubs renommés, la place des femmes ne fait plus débat. Mais dans la sphère sociétale, il y a encore du chemin.

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« Quand tu es une femme, tu galères plus, quel que soit le domaine. », assure Clémence Schreiber pendant son entraînement. Elles savent qu'elles ont tout à prouver ce soir. Mais elles ne demandent que cela. Les sceptiques sont d'ailleurs invités à se déplacer.

« Je leur propose de venir voir de leurs propres yeux car ils risquent d'être étonnés par l'engagement des combattantes et leur technicité », promet Laïla Sekaf, multiple championne de France de boxe qui évolue aujourd'hui en pancrace pour « remporter un nouveau défi ». « Qu'ils viennent à la salle mettre les gants. Je les attends », menace Stéphanie Page, tête d'affiche de ce soir. Les combattantes de la carte principale (4 derniers combats, seuls combats pro de la soirée) n'ont de « professionnelles » que le niveau. Sans public et sans sponsors, combattre leur coûte plus que cela ne leur rapporte. Ce soir, seule la gagnante du combat vedette touchera une prime de combat.

Stéphane Chaufourier, organisateur de la soirée avec Atch Production, est conscient du chemin qu'il reste à parcourir mais a estimé devoir prendre les devants : « J'ai souhaité une soirée 100 % féminine pour mettre les projecteurs sur les combattantes, bien qu'elles soient souvent à l'affiche de mes organisations. » Organiser un gala de cette envergure, avec la présence de combattantes internationales, c'est coûteux. Mais l'enjeu est de taille pour ces combattantes. Stéphane Chaufourier : « Le public est habitué à voir des hommes. Un plateau 100% féminin attire moins mais nous devons « l'éduquer ». L'affluence sera sans doute très moyenne et on risque d'être dans le rouge, mais cette première va mettre la lumière sur les filles. On espère insuffler quelque chose. » Ce soir le public a répondu présent. Si les tribunes supérieures sont assez clairsemées, les pourtours du ring se remplissent à l'entame de la carte principale.

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Dans les sports de combat, les femmes ne font pas exception. Mêmes séances d'entraînement qui n'en finissent pas. Même renforcement du corps pour supporter les coups. Même rythme infernal entre vie professionnelle et carrière sportive. Mêmes régimes pour « faire le poids » le jour J. Mêmes contrôles anti-dopage à la descente du ring. Et mêmes instants de vide qui précèdent l'affrontement.

Clémence Schrieber se prépare pour « son » moment. Elle envoie de puissants crochets qui résonnent dans le vestiaire de Japy. On répète les fondamentaux avant de monter sur le ring pour montrer en moins de 20 minutes ce qu'on a répété pendant plusieurs mois. Comédienne et combattante, elle voit des similarités entre ses deux passions : « Les deux nécessitent de se connecter à son être profond. Il faut faire un travail sur soi. Si tu réfléchis trop, tu te plantes. »

A quelques mètres de là, son adversaire Maguy Berchel écoute ses coaches distiller des conseils de dernière minute. L'ancienne gymnaste assouplit ses adducteurs, le regard fermé.

Dès l'entame, Clémence tape très fort avec ses poings, recouverts de simples mitaines propres au combat libre. Surprise du public devant la puissance des coups : des « ouch !» s'échappent des gradins. Maguy a beau tenter des techniques au sol, Clémence s'en échappe et réplique durement. Lourde frappe de Clémence : son adversaire est à terre. L'affrontement enflamme les gradins.

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« Le combat ça te remet dans la réalité », assurait Clémence pendant sa préparation. Ce soir elle est bien présente et prend rapidement l'ascendant au sol pour gagner par soumission. Fin du spectacle en moins d'un round.

Maguy est très déçue mais peut se vanter d'avoir livré le meilleur combat de la soirée. Selon elle, le vrai enjeu ce soir c'était de « se faire connaître et pourquoi pas repérer » et surtout « prouver aux hommes ».

Sandra Ameziane avait aussi du béton dans les poings ce soir. L'arbitre met fin au combat dès le 1er round devant l'avalanche de coups qui s'abat sur son opposante Sandrine Bouhet. Encore une révélation pour les spectateurs, de plus en plus nombreux dans l'enceinte de Japy.

L'avant-dernier combat de la soirée tient lui aussi toutes ses promesses. Les deux combattantes, très athlétiques, occupent le ring à la perfection. C'est vif et précis. Samantha Jean-François maîtrise les phases debout, en lutte, et au sol, trois éléments propres au pancrace. Son adversaire Laïla Sekaf est visiblement diminuée par un hématome à l'œil. Il est apparu après avoir reçu un coup de pied en fin de course, l'esquive n'était pas parfaite. Tout s'est joué en un quart de seconde. Samantha Jean-François ne tarde pas à prendre l'ascendant et ponctue le combat d'une terrible clé de bras. Défaite par soumission pour Laïla.

Stéphanie Page a remporté la première ceinture féminine du 100 % fight. Elle est un ovni dans le paysage du combat féminin. Non pas parce qu'elle sourit constamment, et même sur le ring, mais parce qu'elle affiche plus de 70 combats au compteur et 7 titres de championne du monde en boxe thaï. L'Espagnole Esther Cardenas tente directement d'emmener le combat au sol, là où Stéphanie est moins à l'aise. Mauvaise idée, celle que l'on surnomme « Ielo » profite des phases de saisie pour lâcher des coups de genou dans l'abdomen.

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L'arbitre interrompt le combat, jugeant un coup litigieux. Dans un coin du ring, Stéphanie attend le verdict, toujours le sourire aux lèvres. L'Espagnole choisit de repartir au combat après avoir arraché quelques minutes de repos. Elle tente en vain de poursuivre au sol mais c'est ensuite une salve de coups délivrés par les deux mains qui s'abat sur elle. Brisée physiquement et moralement, elle vacille. L'arbitre met un terme au combat pour préserver sa santé.

Stéphanie lève les bras et devient la première femme à détenir une ceinture 100% Fight, délivrée par l'organisation la plus prestigieuse du circuit français. Entourée de ses parents, amis et collègues, Stéphanie Page savoure sa victoire. Elle estime avoir prouvé quelque chose ce soir : « Je pense que les portes vont s'ouvrir pour nous ! » Mais l'instant de gloire sera de courte durée pour celle qui rêve déjà de l'UFC (compétition mondiale numéro 1 au monde). Lundi, dès la fin de l'entraînement (six jours sur sept), il faudra enchaîner avec 9 heures de travail nocturne dans le prêt-à-porter et la manutention.

Les spectateurs ont le sourire aux lèvres et ne s'attendaient pas à un tel niveau. Ce soir les femmes sont sorties de l'ombre pour ne plus y retourner. Autour du ring, il y a une poignée de journalistes TV, visiblement peu habitués au pugilat. Encore émoustillés, ils s'étonnent que les protagonistes du combat vedette « s'envoient de vrais coups » et « n'y vont pas doucement » ou encore posent la question habituelle : « Mais est-ce que l'on peut être féminine en étant boxeuse ? ». Est-ce qu'ils demandent aux patineurs artistiques s'ils restent masculins ?

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Lorsque l'on questionne les combattantes sur les préjugés qui entourent leur pratique, elles oscillent entre résignation et agacement. « Je m'en fous. Les esprits fermés ne changeront pas de positions. Si seulement ils étaient curieux », lançait Clémence Schreiber quelques jours avant gala. Ce soir, les passionnés et les curieux en ont eu pour leur argent.

Plus que l'avenir du combat féminin, c'est celui des sports de combat modernes qui se joue en ce moment en France. Les affrontements de ce soir se sont déroulés en pancrace, sans cage comme surface de combat (pourtant essentielle pour éviter les chutes) et sans frappes autorisées au sol, propres au MMA. Rien n'a changé depuis la tenue en septembre, en toute légalité, du « Cage Encounter 4 » premier gala d'envergure en MMA. La France demeure l'un des très rares pays à se montrer hostile envers ce sport en plein boom aux quatre coins du monde. Stéphane Chaufourier, qui organise des galas depuis 10 ans, préfère « ne pas prendre de risques » devant le flou juridique qui entoure le MMA en France.