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LE NUMÉRO MODE 2012

Fourrure élevée en plein air

Il y a plusieurs années, j'ai travaillé pour une styliste avec un penchant prononcé pour la fourrure teinte en couleurs audacieuses, du vert absinthe au prune.

Face à face — ou plutôt, face à muscle écorché — avec le renard à moitié dépecé. À l'arrière plan, Larry se marre. Il y a plusieurs années, j'ai travaillé pour une styliste avec un penchant prononcé pour la fourrure teinte en couleurs audacieuses, du vert absinthe au prune. Pour la plupart, il s'agissait de manteaux ou de vestes qui ressemblaient à de la peau de Muppet. Seule la fourrure de renard – et spécifiquement, le renard roux d’Amérique – faisait l’objet d’un traitement de faveur et conservait sa fabuleuse teinte naturelle. Et si j’admets sans peine être vaine – j’aime la fourrure, la mode, et j’endure à l’occasion une tenue inconfortable, me sacrifiant sur l’autel du style –, j’ai un petit problème avec la fourrure. L’idée de fermes d’animaux voués à l’exécution par électrocution anale est une image dont il est difficile de se détacher, une fois visualisée.

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Environ un cinquième de la fourrure est sauvage, fruit du travail des trappeurs et des chasseurs : des animaux qui ont vécu une existence libre et (avec un peu de chance) formidable avant de devenir des vêtements formidables dans lesquels on se sent libre. La cote de la fourrure d’élevage a récemment atteint des sommets, faisant de la fourrure sauvage – beaucoup moins onéreuse mais aussi moins douce – une alternative séduisante. Des manteaux à base de coyotes sauvages et de ratons laveurs ont fait leur apparition dans les rayons de Neiman Marcus et Barneys. Mais alors que les activistes poursuivent leur croisade contre la résurgence de la fourrure dans la mode, beaucoup de stylistes paraissent snober ou ignorer la fourrure sauvage, qui, pourvu qu’elle croise le chemin d’un entrepreneur clairvoyant, a le potentiel de s'ériger en équivalent, pour la mode, de la viande "de la ferme à l'assiette".

J'ai voulu me renseigner sur cette zone grise éthique en compulsant la documentation sur le sujet. J'ai récolté que dalle d'infos. Il ne me restait plus qu'à partir à la chasse pour voir par moi-même à quel point il était difficile de transformer un animal en un animal mort puis en veste haute couture. J'ai ainsi découvert que c'était une tâche macabre mais réalisable, avec l'aide d'un expert.

Tout d’abord, j’ai dû régler les problèmes logistiques et trouver un individu désireux de me guider à travers les nombreuses étapes de mon projet. J’ai trouvé un fabricant de fourrure nommé Dimitris qui s’est fait un plaisir de m’aider. Je lui ai fait part de ma volonté d’écrire un article dans VICE mais j’ai laissé de côté son nom de famille, comme celui de tous les gens que j’ai interviewés pour ce sujet, de peur qu’ils ne se fassent massacrer par des activistes militant pour les droits des animaux. La première personne que Dimitris a appelée était Marc, un tanneur qui s’occupe de nettoyer et d’assouplir les peaux ; Marc a appelé Harry, un grossiste en fourrure ; Harry a appelé Larry qui achète et dépèce les cadavres que lui apportent chasseurs et trappeurs ; Larry a appelé Barry, son meilleur trappeur ; et Larry a enfin passé un coup de fil à Eric, son partenaire (et oui, tous ces prénoms sont réels).

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Peu après, je quittais l’autoroute de Pennsylvanie en direction d’une maison jaune avec une pancarte, dehors, qui disait : FOURRURE BRUTE À VENDRE. J’ai fait de mon mieux pour ignorer le cadavre écorché – sans doute un renard – recroquevillé dans un bassinet en plastique dans l’allée. Comme je m’approchais, la porte menant au sous-sol s’est ouverte et un homme en chemise épaisse qui ressemblait à Jeff Bridges en plus vieux et plus gros en est sorti. Pas de doute, j’étais en présence de Larry.

« T’as des bottes ? » a-t-il demandé. Lors de notre première conversation téléphonique, il m’avait conseillé d’acheter une paire de cuissardes en caoutchouc pour la chasse. J’étais soulagée de pouvoir soutenir son regard et lui répondre que oui, j’en avais.

On inspecte nos pièges avec Larry. Je pouvais voir que Larry avait hâte d’en découdre, et en seulement quelques minutes j’étais équipée et présentée à Barry qui, en plus d’être un trappeur prolifique, était aussi vétérinaire. Vêtu d’un sweatshirt turquoise, le nez rehaussé de lunettes cerclées à la John Denver, Barry ressemblait plus à un professeur de mathématiques empreint de douceur qu’à un homme des bois mal dégrossi.

L’après-midi était déjà bien avancé, la lumière s’estompait progressivement. Barry m’a guidée le long d’une colline boisée jusqu’à un ruisseau scintillant. Nous sommes descendus dans le lit du ruisseau. Barry m’a appris que la plupart des animaux qu’il capturait étaient nocturnes ; principalement des renards, des visons et des ratons laveurs. Ces derniers, d’après Barry, cherchent leur nourriture dans les moindres recoins, le long de la rivière. Pour les capturer, rien de tel qu’un piège, une mise en scène plaisante qui agit comme un leurre. Pour mon premier piège, j’ai creusé un trou, aplani la boue et décoré avec de l’herbe fourrée. Dès que j’ai eu fini, Barry a sorti un bocal rempli d’un truc qui ressemblait à de la gelée Lansoÿl et m’a dit de plonger un ustensile dans la mixture, d’en prendre une bonne dose et de l’étaler généreusement à l’intérieur de mon trou herbeux. Puis, il m’a tendu une petite bouteille étiquetée RATON LAVEUR #1. J’en ai diligemment réparti le contenu autour de la trappe. Ça sentait le bacon. Pour finir, j’ai éparpillé quelques mini-marshmallows, pour parfaire la présentation, je pense. Puis, il a fallu disposer le piège à proprement parler.

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Barry utilise des pièges à ressort conçus pour piéger la patte d’un animal jusqu’à ce que celui-ci soit « expédié » (à savoir, tué) le lendemain matin. Il m’en a tendu un, un cercle de métal foncé un poil plus petit qu’un CD, avec deux mâchoires lisses. J’ai essayé de me figurer comment un raton laveur curieux aborderait la scène. J’ai choisi un endroit, saisi précautionneusement le piège par sa base, sous les mâchoires, et l’ai submergé dans le ruisseau. Ça y était ; j’avais posé mon premier piège.

Le soleil déclinait lentement alors que nous pataugions en descendant le ruisseau, déposant des trappes dans la boue, creusant des trous, semant des marshmallows. J’ai essayé de m’imaginer ce que représentait le fait de répéter ces mêmes gestes quotidiennement. J’ai demandé à Barry ce qu’il préférait, dans l’activité de trappeur. « Affronter l’animal sur le plan intellectuel, m’a-t-il répondu. Réussir à le capturer et à le retenir. »

J’ai sondé Gary sur son taux de réussite : habituellement, il dispose 50 pièges par soir ; si cinq d’entre eux retiennent un raton laveur, il considère que la chasse est excellente. Ce soir-là, nous n’avons disposé que 15 pièges.

Le temps que nous rentrions chez Larry, c'était déjà le crépuscule, soit le moment où Larry ouvre son commerce ; trappeurs et chasseurs s'y fournissent en matériel et lui vendent leurs prises, vivantes ou mortes. Je l’ai suivi dans son atelier au sous-sol. À l’intérieur, la mort rôdait. Des cartons écrasés couverts d’éclaboussures marronnasses recouvraient le sol, et le moindre espace était occupé par des fournitures – lampes frontales, couteaux, serviettes tachées de sang, bocaux remplis de ce qui ressemblait à des organes. Pinces-étaux saignantes et crochets luisants pendaient au plafond, où les cadavres étaient suspendus dépecés. Un couteau à double tranchant reposait sur une grande caisse en bois contenant les chutes de peau et de poils. Larry m’a expliqué qu’il séparait cet endroit le gras du cuir. Et bien sûr, il y avait les peaux – des centaines d’entre elles, qui séchaient, étirées, sur des cadres métalliques en forme de U. Trois cadavres d’opossums ressemblant à des musaraignes étaient étendus sur le sol, gelés. Larry m’a expliqué que quand les chasseurs savaient que la vente d’une carcasse allait prendre plusieurs jours, ils la jetaient dans la glace. Les bestioles à terre étaient en phase de décongélation.

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Je me suis rapidement habituée à cet environnement, probablement parce qu’à chaque fois que je tournais la tête, ma queue de cheval caressait la queue d’un raton laveur ou la peau d’un opossum. Mais un cadavre, en particulier, a retenu mon attention : un petit renard roux posé sur le flanc. À l’exception des traces de sang, il ressemblait aux renards de dessin animé que j’adorais quand j’étais gamine. Sa petite cage thoracique était gonflée et ses jambes semblaient encore courir. Je me suis sentie un peu opprimée. J’ai quitté Larry peu de temps après. Cette nuit-là, je me suis couchée en me demandant si un raton laveur agonisait sous la lune, sa petite patte coincée dans l’un de mes pièges.

Le lendemain matin, je suis retournée chez Larry et nous sommes allés inspecter les pièges ensemble. Nous n'avions rien attrapé : le niveau de l'eau avait baissé plus que prévu, laissant les pièges exposés. Même les marshmallows étaient intacts. « Le truc avec ces animaux, m’a consolée Larry, c’est qu’ils ont le monde entier pour poser la patte. Nous, on essaye de les attirer dans un cercle de 10 à 15 centimètres. »

Les pièges vides, cependant, n’ont pas suffi à m’aliéner Larry. Et puis, il y avait encore fort à faire. Le petit renard roux au sol avait décongelé pendant la nuit et il s’agissait maintenant de le dépecer. J’ai réalisé que c’était sûrement ma seule chance d’écorcher ma propre fourrure, et j’ai proposé, tremblante, de m’en charger.

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Les étapes qui mènent du renard entier à la fourrure. Larry m’a passé un tablier jaune et des gants en latex, et a décrété que son travail était terminé. Eric, son partenaire, qui venait de finir son service à la Lebanon County Prison, a pris le relais. Eric se charge du dépeçage. Pendant que son partenaire me guidait à travers le processus, Larry s’est assis. J’étais concentrée bien que nauséeuse. Eric a levé le bras pour attraper un grand cintre en métal industriel accroché au plafond. Il était suspendu au niveau du regard, avec, de chaque côté, des crochets brillants suspendus par des chaînes. Eric a soulevé le renard et a transpercé une des pattes arrière à l’aide du crochet. Puis, ça a été mon tour.

J’ai toujours aimé les petits coussinets trop mignons sous les pattes des chiens et les empreintes que ça laissait. La patte de ce renard ne différait pas beaucoup de celle d’un chien. Pendant qu’Eric tenait le cadavre, j’ai pris le petit tibia froid entre mon pouce et mon index recouverts de latex et j’ai pressé la patte contre le crochet. Je n’ai pas réussi à transpercer. Eric m’a dit d’appuyer plus fort. Le crochet a traversé les os et est ressorti de l’autre côté. Eric a retourné le renard, désormais suspendu par ses pattes arrière, nez à nez avec le seau en plastique bleu au sol. Un peu de sang avait déjà goutté. Il m’a tendu une brosse métallique dont je me suis servie pour peigner la fourrure couleur cuivre du renard, que je maintenais au niveau du ventre en m’affairant sur lui.

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Ensuite, Eric m’a tendu un petit couteau éplucheur avec un manche en plastique. De la pointe de la lame, j’ai dessiné une entaille à l’arrière des tibias et autour de ses chevilles. J’ai enfoncé mes doigts dans les fentes ainsi créées et j’ai tiré pour arracher la fourrure, révélant des muscles brillants, jusqu’à ce que le morceau soit entièrement détaché et qu’il pende juste en dessous de la queue. Puis, mes doigts se sont aventurés entre le muscle et la peau encore attachée et j’ai tiré d’un coup sec, épluchant le renard jusqu’à la base de sa queue, exposant ainsi sa croupe à vif.

Eric m’a ensuite passé un outil qui ressemblait à une sorte de pince à linge en plastique rouge – un « arrache-queue » – que j’ai clampée autour de la queue, près de la croupe. J’ai empoigné fermement l’outil, coincé l’os de la queue de l’autre main et tiré la pince à linge aussi fort que j’ai pu tout en poussant contre la croupe froide du renard. Rien n’a bougé. Puis, ça a commencé à éplucher, ma tête s’est mise à tourner et je crois que j’ai poussé un cri. « Là, t’y es ! » m’a encouragée Eric. « Tire, tire ! Continue à tirer ! » Sans prévenir, ma main droite a dévalé toute la longueur de la queue, le renard s’est balancé et écarté de moi, et un long os grêle m’a sauté à la figure. C’était horrible. « Ça, c’était la partie facile, a déclaré Eric. Attends un peu. »

Toute la partie arrière du renard pendait, écorchée, rouge et violette, avec des nerfs blancs qui parcouraient les muscles. En suivant les conseils avisés d’Eric, j’ai persisté jusqu’à ce que la peau d’un gris-rose pâle, qui commençait à atteindre une certaine longueur, se détache jusqu’au niveau des pattes avant. Eric m’a tendu une serviette bordeaux pour entourer la carcasse dépecée, et m’a encore une fois conseillé de tirer. La peau s’est détachée par à-coups, jusqu’à la partie la plus large de la cage thoracique. Soudain, Eric a empoigné le renard et a inséré sa main entre la peau et le corps pour créer un trou circulaire, un peu comme une poignée. D’un point de vue anatomique, cela n’avait aucun sens. Puis j’ai réfléchi, pensé au vêtement qu’on allait créer. Eric formait une manche. « T’as parfaitement compris », a-t-il commenté en maintenant l’aisselle pendant que je tirais sur les derniers pans de peau. Eric a taillé la chair restante au-dessus des pattes avant.

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L’étape suivante a requis que je travaille au plus près du sol. J’ai donc fourré le bas de mon tablier entre mes jambes, positionné la peau de renard enroulée dans une serviette entre mes jambes, et me suis penchée en arrière, tirant parallèlement au sol. Tout en tirant, j’ai entaillé le long du cou du renard pour détacher délicatement la peau du corps. Quand j’ai atteint la tête, Eric est intervenu pour faire une découpe de quelques centimètres autour d’une oreille. Puis, il m’a tendu le couteau pour que je fasse de même avec l’autre oreille. Un peu d’huile de coude, et c’était fait.

Alors que je m’approchais du front, j’ai découvert un minuscule plomb argenté dans le crâne. Ça m’a rendue immensément triste l’espace d’une seconde, mais Eric m’a divertie en m’instruisant de fourrer un doigt dans le conduit auditif du renard.

« À l’intérieur ? ai-je demandé.
– Ouais, mets ton doigt là-dedans, a dit Eric. Et maintenant, tire. » Un doigt dans l’oreille du renard, je me suis penchée en arrière, usant du poids de mon corps pour étirer la peau de la gueule de quelques centimètres. L’idée, m’a expliqué Eric, était de maintenir la peau tendue pour gagner quelques centimètres pendant qu’on ferait les yeux. « Il faut conserver toute la paupière », a-t-il dit, me remplaçant pour me faire la démonstration. Il a collé son pouce dans l’oreille du renard, dépeçant la peau jusqu’aux orbites bleu-gris. Il a découpé tout autour.

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« C’est toi qui fais l’autre.
– Oh, super, ai-je dit en m’emparant du couteau.
– Garde une pression constante entre tes jambes. »
J’avais presque oublié que je tenais entre les jambes la majeure partie de la peau du renard ; j’étais distraite par les conseils d’Eric : couper directement à travers l’os, morceau par morceau.
« N’aie pas peur », a dit Larry. Bientôt, l’autre orbite s’est retrouvée à découvert et j’ai tiré jusqu’à ce que seul le museau du renard reste à l’intérieur de la peau. Eric s’est chargé des lèvres et des moustaches, révélant deux rangées de dents irrégulières. La face écorchée du renard me fixait avec ses orbites géantes. Elle me faisait penser à un extraterrestre. Tout ce qui restait à tailler, c’était le bout du museau, qu’Eric m’a conseillé de scier.

Quelques secondes plus tard et je tenais l’intégralité de la peau à l’envers, complètement ébahie. J’ai regardé l’horloge. L’opération avait duré quarante minutes en tout.

« Maintenant, tu prends la peau, est intervenu Larry, tu la retournes, et tu regardes le bon boulot que t’as fait. » J’ai dû enfoncer mon bras en entier dans la peau froide et visqueuse du renard qui ressemblait à une chaussette de viande. J’ai trouvé l’extrémité et retourné la peau. « T’as vu comme tout y est ? m’a interrogée Eric. Les moustaches sont là, le nez, les oreilles. Tout ! »

Avec ce poids dans mes bras, ce qui n’avait été pour l’instant qu’une expérience à la frontière du gore et du test scientifique douteux est simplement et soudainement devenue un renard. J’ai frotté son petit museau noir et caressé ses moustaches du bout des doigts, la courbe de sa mâchoire inférieure reposant dans la paume de ma main. Un étrange mélange de gratitude et de remords m’a submergée. Quelque chose à l’intérieur de moi voulait presser cette peau contre ma poitrine, comme un ours en peluche ou un bébé. J’ai senti mon menton trembler et j’ai essayé de me raisonner, de peur que Larry et Eric ne se mettent à se demander si j’étais une activiste infiltrée.

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Il y avait un petit trou entre les deux yeux. « C’est par là qu’est passée la balle ? ai-je demandé.
– Oui, c’est l’un des trous de plomb », a répondu Eric.

À mon grand désarroi, j’étais sur le point de me mettre à pleurer.

« Parfois, quand on est fatigués et qu’on a envie de décompresser, a dit Larry en s’extrayant de sa chaise, on joue aux marionnettes. Un de nous met un renard sur sa main, l’autre prend un raton laveur, on s’assied et on les fait parler. » On s’est tous mis à rire. Larry, instinctivement, a pris soin de l’étape finale, retournant encore une fois la peau et l’étendant sur un support pour gratter les derniers bouts de gras. Eric a tranché les glandes qui restaient accrochées et les a rangées dans un bocal pour un usage futur. Eric et Larry ont réalisé que je n’irais pas bien loin avec une seule peau de renard et m’ont autorisée à faire l’acquisition de cinq de leurs plus belles fourrures. Je les ai brossées et passées à Larry qui a défait les crochets d’un cintre en métal et les a passés dans les trous des yeux avant de les zipper dans une grande housse noire. Puis, il a rédigé un reçu. 120 euros – une vraie arnaque.
L'assemblage et la touche finale de mon gilet. Et voilà ! Un gilet flambant neuf et très confortable. Même si toutes les fourrures ne sont pas créées - ou tuées - de la même façon, la PETA ne fait pas de distinction entre les variétés sauvages et élevées en ferme. "Le commerce de la fourrure est une industrie violente et sanguinaire, quelle que soit la façon dont vous la décortiquez", m'a écrit leur directrice de campagne, Lindsay Wright.

Je cherchais un discours plus nuancé, j’ai donc passé un coup de fil à Steven Wise, auteur d’une condamnation virulente des élevages industriels, An American Trilogy, et juriste qui donne des cours sur le droit des animaux à la Harvard Law School. Il pense que la fourrure devrait être mise hors la loi, mais a concédé qu’on pouvait établir des degrés de distinction éthique. « Utiliser de la fourrure d’élevage, c’est probablement pire que tuer des animaux sauvages pour leur fourrure, a-t-il admis. Jusqu’à ce que l’animal soit tué dans la nature, il a une vie normale. Un animal élevé pour sa fourrure connaît une vie et une mort terribles. » Je lui ai demandé s’il considérait que tuer et fabriquer soi-même sa propre fourrure changeait quelque chose à l’affaire. « Non, a-t-il dit. Ça vous fait juste vous demander si tout ça n’est pas complètement insensé. » Croyez-le ou pas, mais il ne m’a pas convaincue.

Le week-end est venu, j'ai donc dû attendre trois jours pour apporter les fourrures à Marc, le tanneur. La housse a passé cet intervalle de temps accrochée dans ma salle de bains, porte fermée et fenêtre ouverte. Au début c'était un peu comme avoir une nouvelle robe ; j’étais contente rien qu’en y pensant. Puis, ça a commencé à sentir – une odeur ténue qui se situait quelque part entre un boucher-charcutier et un bol de Cheetos – et la housse ressemblait à un sac de morgue. Je l’ai dézippée une dernière fois le lundi matin. La fourrure était toujours aussi belle, mais les peaux s’étaient rigidifiées et parcheminées et avaient pris une teinte magenta troublante. Disons juste que le prosciutto ne m’a jamais semblé le même depuis. Le temps que j’atteigne le bâtiment en briques de Marc, dans le New Jersey, je débordais d’impatience – j’avais hâte de me débarrasser des fourrures. « T’as dépecé un renard roux ? a répété Marc. Tu te fous de moi ? » Marc a découvert le business de la fourrure à 19 ans, dans les années 1970. Il acheminait, en camion, de la fourrure. Il m’a paru particulièrement sensible pour un type qui possède l’une des plus grandes usines de fourrure d’Amérique du Nord. L’odeur l’a fait grimacer quand il a ouvert ma housse, mais il a tout de suite ajouté : « On va en faire quelque chose de très bien. » Pour m’en convaincre, il m’a montré des fourrures écumant de mousse dans des bassines d’eau savonneuse, de produits chimiques et de sel, se préparant à être décapées de leur excès de chair, hydratées, puis jetées dans de grands tonneaux en bois. « Je transforme la peau en cuir », a-t-il expliqué.

Jusqu'à ces dernières années, m'a confié Marc, seul un cinquième de sa matière première provenait d'animaux sauvages. Mais du fait de la hausse des prix de la fourrure d'élevage, il estime que la proportion est montée à 50%. Il attribue le changement à une demande accrue de la part de la Russie et de la Chine. Il m’a également confié que les fournisseurs de fourrure d’élevage perdaient le marché nord-américain du fait des prix trop élevés qu’ils pratiquaient, mais a modéré ses propos en disant que l’alternative sauvage n’était pas pour autant viable : « La fourrure sauvage n’est pas très laineuse. Elle s’ébouriffe très facilement. » Je ne pensais pas à mes peaux de Pennsylvanie comme à quelque chose de « laineux » jusqu’à ce que Marc me montre de la fourrure de renard d’élevage finlandais : moelleuse, trois fois le volume de la mienne, dans des couleurs qui allaient de « platine » à « bleu givré ».

Les renards roux américains, de l’autre côté, n’étaient disponibles qu’en une seule couleur. Je les trouvais tout de même plus beaux que ces bombes à poils finlandaises et j’avais hâte de voir l’œuvre de Marc.

Deux semaines plus tard, je marchais sur la 30ème rue en direction de l'atelier de Dimitris. En 1985, quand il a quitté la Grèce pour New-York, c'était l'un des quelques 500 fourreurs de la ville. Aujourd'hui, il en reste une quarantaine. L'atelier de Dimitris était plutôt calme. Des sacs, des cartons et des piles de fourrure recouvraient la moindre surface, à l'exception d’une table en bois rustique au milieu de la pièce. On a étalé mes peaux de renard. Elles étaient souples et douces, avec des nuances caramel et camel et des touffes de poils argentés au niveau du col. Le cuir avait pris une teinte blanc cassé. Les peausseries avaient toujours des oreilles, des nez et des poils de moustache, mais c’est comme si elles avaient été exorcisées de leur esprit animal. On a assemblé deux des peaux les plus claires qu’on a étalées côte à côte. Avec un couteau à manche doré, on a pratiqué une entaille sur toute la longueur de chaque peau et on les a cousues ensemble, créant un renard mutant à deux têtes. « Tu vois ? a-t-il dit. Comme de la chirurgie esthétique. » Puis, sans cérémonie, il a fauché le haut de leur cou. D’un coup d’un seul, mes renards sont devenus tissu.

Les quatre jours qui ont suivi, j’ai joué l’apprentie auprès de Dimitris. On a réalisé un patron de gilet en carton et on l’a reporté sur le cuir, laissant de côté le cinquième renard. On a coupé selon les lignes, assemblé en les cousant les différents morceaux et repassé les fourrures à la vapeur. Quand il a été temps de refermer le col, Dimitris m’a assise devant la machine à coudre. Pendant plusieurs jours, j’avais observé Dimitris coudre les différents morceaux de cuir, faisant avancer l’aiguille tout en maintenant la peau des deux pouces. Mais quand il a été temps pour moi d’appuyer sur la pédale de la machine, j’ai ressenti la même concentration craintive que celle que j’avais éprouvée, couteau à la main, dans l’atelier de Larry. Finalement, j’ai appuyé, tourné la canette en acier de la machine à coudre pendant que l’aiguille piquait et repiquait le col.

Une fois que le gilet a été assemblé, je suis allée dans un magasin de tissu pour choisir la doublure. Je ne pouvais pas me décider entre deux teintes : un vert chasseur qui me rappelait les forêts de Pennsylvanie et un gris tendant un peu vers le beige qui me rappelait le col de mon gilet en renard. J’ai choisi le gris et je l’ai apporté à Maria, la couturière connue, d’une manière appropriée, comme la « finisseuse ». Elle a réalisé la doublure et, avec une grosse aiguille, elle l’a cousue à la main à la fourrure. C’était fini, à l’exception d’une touche à l’ancienne. J’ai apporté le gilet dans un magasin de monogrammes de la 30ème rue pour y apposer mon nom. J’aurais dû y faire inscrire quelques noms de plus, à la réflexion : Maria, Dimitris, Marc, Barry, Eric et Larry. Plus quatre petits renards roux qui me tiennent très, très chaud cet hiver. Et je les aime tous, jusqu’au dernier, pour cela.