
« Il déteste les soldats américains. C’est un agent de police. Les Américains l’ont formé pour combattre les talibans. Il dit avoir vu trois familles se faire tuer par les forces de la coalition. S’il s’en sort vivant, il veut lui-même combattre les forces américaines. – Il veut bien me parler ? – Oui, pour se souvenir de ton visage et te tuer lorsqu’il le pourra », a répondu Ahmad.

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Un camionneur a aperçu le Colonel et s’est arrêté. Le Colonel l’a supplié de le prendre, mais l’homme avait peur que les moudjahidin fouillent son camion, trouvent le Colonel et le tuent. « Pas de problème, dis-leur de me tuer », a décrété le Colonel. Le camionneur l’a embarqué et lui a dit de se tenir assis. Il a couvert son visage et le haut de son corps d’une couverture pour que les moudjahidin le prennent pour une femme. « Alors ça donne quoi ? » demande le colonel à Zabioullah après avoir ajusté sa prothèse. « C’est mieux, répond Zabioullah. – Les soldats américains sont aveugles ? lance le père du garçon. Ils voient que ce sont de jeunes garçons, pourquoi tirent-ils ? » Il nous explique ensuite qu’entre 15 et 20 personnes meurent quotidiennement à Wardak. « Hier encore, de gros affrontements ont éclaté, ajoute-t-il. Beaucoup de gens ont été blessés. Tous des civils. » Le Colonel ne réagit pas. Il donne une pommade au garçon pour calmer les irritations qui colorent son moignon. Le Colonel se rappelle du moment où le camionneur l’a laissé à un poste de contrôle militaire. Les soldats se sont rassemblés autour de lui et il s’est senti en sécurité ; c’est à ce moment qu’il a commencé à ressentir de vives douleurs dans la jambe. Rapidement, on l’a emmené à l’hôpital. Ils ont d’abord amputé uniquement son pied, mais voyant que l’infection se propageait, ils ont coupé la jambe. Ce dilemme était assez fréquent ; il n’y avait jamais assez d’antibiotiques. Lorsque le Colonel était à l’hôpital, chaque jour, trois ou quatre patients se faisaient amputer d’une jambe ou d’un bras. Il ne regrettait pas sa jambe jusqu’au jour de sa sortie, où il s’est dit : « Comment je vais faire pour marcher ? » Un docteur lui a dit qu’il allait utiliser une prothèse. « Marche », dit le Colonel à Zabioullah. Le garçon marche vers l’extérieur pour essayer sa prothèse. Il se retourne et fait demi-tour. « C’est bon ? » demande le Colonel. Zabioullah acquiesce. « T’es content ? – Qu’il soit content ou pas, on s’en fout, interrompt le père de Zabioullah. Ça ne changera rien. » Le centre orthopédique ferme l’après-midi pour le Ramadan. Le Colonel nous raccompagne au portail, et Aziz et moi traversons la rue vers sa voiture. La poussière en suspension m’assèche la gorge. Aziz ouvre la porte et un souffle d’air chaud s’échappe de la voiture. Nous attendons qu’elle refroidisse avant de nous y engouffrer. Puis Aziz démarre et me raccompagne à l’hôtel. Des postes de contrôle barrent les rues, même les plus petites. Des ballons dirigeables équipés de caméras fournies par l’armée américaine flottent dans l’air. Je remarque un groupe de jeunes hommes portant des tee-shirts avec la phrase (en anglais) : Le christianisme n’est pas une religion. Aziz m’explique que Kaboul a beaucoup changé depuis ma visite de l’été dernier. Je ferme les yeux et j’écoute l’air chaud siffler à travers les fenêtres ouvertes, couvrant presque la voix d’Aziz.
« Depuis qu’ils ont mis le feu à notre livre sacré, les mesures de sécurité sont d’autant plus fortes, me dit Aziz. Tout le monde sait que les États-Unis s’en vont. On ne voit plus d’Occidentaux assis dans une voiture avec un conducteur afghan comme nous en ce moment. Les Occidentaux se font désormais escorter par des gardes. Le kidnapping est un vrai problème. Il ne faut pas se balader seul. Si tu dois sortir, n’emprunte jamais le même chemin. Les kidnappeurs prennent les Occidentaux et leurs traducteurs afghans. Ils libèrent ensuite les traducteurs pour qu’ils véhiculent leurs demandes. Même au sein des familles, les gens se kidnappent entre eux. Un homme a kidnappé son frère, très riche, et a demandé une rançon en échange. » Aziz se gare devant le Park Hotel au centre-ville, à 25 km de l’hôpital. Des murs blindés et une solide porte métallique protègent le bâtiment. Aziz continue à parler alors que des gardes nous escortent d’un bout à l’autre d’une grande cour, armés d’AK-47. Des paons déambulent sur le gazon vert. Deux fontaines regorgent d’eau. Des tables de pique-nique blanches réfléchissent les rayons du soleil et un homme arrose l’herbe et les géraniums le long du chemin. Un Anglais fait son jogging dans le jardin. « Je ne sais pas ce qui va se passer quand les Américains quitteront le pays, dit Aziz. Si l’on parvient à contrôler la corruption, les choses se passeront bien. Mais je n’ai pas beaucoup d’espoir. » Aux quatre coins de la cour de l’hôtel, des gardes en uniforme bleu sont assis derrière des bunkers de sacs de sable, berçant leurs AK-47. Des fils barbelés relient les bunkers entre eux. « Après le départ des Américains, continue Aziz, des affrontements auront lieu dans tous les quartiers. Du pillage. J’achèterai une arme pour protéger ma maison. Pas une Kalachnikov – juste un pistolet. »
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