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reportage

Dans le service de réanimation d’un hôpital de la Meuse

Le quotidien d'un service où cohabitent la mort et les situations incongrues, raconté par ceux qui y travaillent.

Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Monique*

Entre le son des aspirations bronchiques, des télévisions et des alarmes, le service de réanimation est un endroit bruyant où les employés sont rarement ménagés. Il s'agit du service où des malades gravement atteints sont pris en charge par des infirmiers, lesquels côtoient la mort au quotidien. « Tout peut arriver en réanimation : des hémorragies digestives, des arrêts cardiaques, des patients qui arrachent leur camisole », m'explique Franck*, retraité de la fonction publique hospitalière depuis novembre 2014, après 38 ans de service dans un hôpital public de la Meuse.

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Le métier d'infirmier en réanimation médico-chirurgicale consiste tout d'abord à une prise en charge globale du patient, et donc à la pratique d'actes de soin qui relèvent du rôle propre de l'infirmier et de la prescription médicale. Le but est de favoriser le confort et la guérison du patient, ainsi que de lui fournir des soins de qualité. Les IDE (infirmiers en milieu hospitalier) font les différents pansements, préparent les perfusions, les actes et les soins prescrits par les médecins.

« Comme tous les métiers, ce job a des avantages et des inconvénients », me raconte Monique, qui travaille à l'hôpital depuis 24 ans. « Le milieu est sécurisé et on bosse en équipe. On ne se retrouve jamais seul dans des situations délicates, les appareils rassurent. Les contraintes sont les horaires – il faut bosser de nuit, les jours fériés. C'est souvent difficile d'avoir une vie de famille. Mes enfants ont déjà fêté Noël et Pâques alors que j'étais de garde. En tant que femme, les patients lourds sont de plus en plus difficiles à gérer pour moi. Je n'ai plus la même énergie que lorsque j'ai commencé, et cela commence à devenir épuisant. »

Une journée type commence par l'habillage en tenue d'infirmier. La blouse blanche avec liserés bleus pour les IDE, liserés verts pour les aides-soignants. Cheveux attachés pour les femmes, bijoux retirés, ongles propres et coupés. Le personnel se réunit ensuite devant un tableau fixé au mur qui reflète les lits du service avec le numéro des chambres et les noms des malades qui s'y trouvent. L'équipe se compose en général de six IDE et quatre – voire cinq aides-soignants – pour 16 patients. La nuit, les infirmiers doivent malheureusement se passer de la présence des aides-soignants.

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Il existe des codes couleur pour différencier les patients affectés en isolement, ceux qui ont le SIDA, les porteurs de bactéries multirésistantes, etc. Ensuite, les infirmiers se rendent dans les chambres pour un premier contact avec le malade. Si le dernier est conscient, ils essayent de discuter avec lui. En effet, la prise en charge psychologique est très importante dans un service technique comme celui-ci, où le patient est relié à de nombreux appareils. Avant chaque toilette, les chambres, alarmes et systèmes d'aspiration sont vérifiés. Les toilettes sont réalisées au lit si le patient ne peut plus bouger, quand ce n'est pas dans une autre salle. Chaque patient a un dossier informatisé et chaque soin, acte, problème quelconque, entrée ou sortie doit être scrupuleusement répertorié.

« Un jour, j'ai attaché avec une camisole un jeune d'une vingtaine d'années qui était très agité, il avait plus de deux grammes d'alcool dans le sang. En ricanant, il m'a dit : "Je me détacherais !" Occupé à l'infirmerie quelques minutes plus tard, j'ai vu ce même patient passer dans le couloir. Il avait réussi à arracher sa propre camisole. Les Houdini sont très nombreux en réanimation », a ajouté Franck.

Par ailleurs, toutes sortes de blessés sont recueillis, affichant des traumatismes plus ou moins graves : des noyés, des pendus, mais aussi des blessés par balles ou à l'arme blanche. « Un jour, nous avons reçu un homme qui avait essayé de se suicider. Il s'était d'abord sectionné les poignets, ensuite le cou avant de se donner plusieurs coups de couteau dans l'abdomen. Aussi incroyable que ça puisse paraître, transféré et opéré en urgence, il a survécu », a renchéri Franck.

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Plaque tournante du trafic de drogue, les hôpitaux de l'est de la France reçoivent de nombreux cas d'overdoses. « Il y a quelques années, certaines overdoses étaient provoquées par des injections par voie digestive – ça se passait souvent à bord des trains pour Amsterdam, le Luxembourg, Metz, ou encore Nancy. C'était pour alimenter le trafic de drogue, très certainement des mules qui se procuraient de la drogue aux Pays-Bas et la ramenaient en France dans leurs intestins ».

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On y retrouve aussi des femmes battues, dans le coma. Mais également des hommes frappés à coups de poignard. « Le plus impressionnant, c'est peut-être les tentatives de suicide. Les patients avalent toutes sortes de produits toxiques et corrosifs, allant de l'eau de javel au Destop ». Les effets sont rapides, dramatiques et dans la plupart des cas, mortels. « Le patient arrive conscient, vous parle, vous raconte son histoire et deux heures plus tard, on appelle la famille pour annoncer le décès ».

Monique se souvient d'une femme qui s'est coupé la gorge au couteau électrique, ou même d'un homme qui est décédé d'une perforation intestinale en essayant de se sodomiser avec son levier de vitesse. Pour Paul*, étudiant infirmier en 3 e année à l'école de Saint-Malo, et actuellement stagiaire sous la direction du médecin qui prescrit les soins, le premier décès d'un patient du même âge que lui a été difficile à vivre. « On nous a ramené cette jeune fille vers deux heures du matin qui était brûlée au 3è degré. Elle était complètement rétractée, on ne pouvait même pas lui allonger le bras pour lui poser une perfusion : la peau éclatait littéralement et les chairs en sortaient. C'était vraiment impressionnant et désarmant. Elle est décédée quelques heures plus tard. »

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Les patients restent au minimum deux jours au sein de ce service, mais certains y restent pour six mois, voire un an. « J'ai le souvenir d'un patient qui devait partir après un séjour de quatre mois. Le jour de son départ, il a fait un arrêt cardiaque, prolongeant son hospitalisation à un an », m'a expliqué Franck.

Le rôle de l'infirmier ne s'arrête pas à celui de soignant, bien au contraire – et l'exercice de cette profession a tendance à se répercuter sur leur vie privée.

Les infirmiers font aussi souvent face à des problèmes familiaux dans les chambres des patients. Des conflits, des disputes qui éclatent dans l'enceinte même du service. « J'ai même sorti un homme qui tenait un couteau dans sa main ». Le rôle de l'infirmier ne s'arrête pas à celui de soignant, bien au contraire – et l'exercice de cette profession a tendance à se répercuter sur leur vie privée. Monique se dit être de plus en plus affectée par « le stress, le travail de nuit, la fatigue, la maladie, la mort…Il faut être bien armé pour éviter la dépression. » Les infirmiers suivent régulièrement des formations qui leur permettent aussi de mieux appréhender les pathologies, la douleur, l'accompagnement de personnes en fin de vie et les familles éplorées.

Après toutes les horreurs que j'ai pu entendre et les répercussions de ce métier sur la santé mentale et physique des employés, je me suis demandé quel était leur ressenti – et surtout si Paul, stagiaire, avait envie de continuer dans cette voie. Franck, le plus expérimenté des trois employés, a conclu en me disant que « c'est un métier difficile qui manque parfois de reconnaissance ». Monique, quant à elle, se sent utile en maintenant les gens en vie. « Les rencontres avec les familles sont très touchantes. Il faut faire preuve de maturité et prendre du recul pour se préserver le mieux possible face à la maladie et à la mort. Cela doit être quelque chose de difficile pour une personne trop émotive. »

Avec des parents déjà dans la profession, Paul a toujours voulu faire un métier dans le social avec des soins plus techniques. « C'est un métier varié car on peut voir et apprendre un tas de techniques différentes. Je pense que j'aborde peut-être plus facilement les décès que mes proches. Peut-être que je comprends aussi mieux les personnes malades. »

Anthony est sur Twitter.

*Tous les noms ont été changés