Des rugbymen papous s’engagent pour la survie de leur tribu

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Des rugbymen papous s’engagent pour la survie de leur tribu

Opprimée par l’Indonésie, la Papouasie occidentale lutte toujours pour son indépendance, aussi bien dans la société civile que sur les terrains de rugby.

Pour Tala Kami, aucun moment de sa carrière de rugbyman n'a été plus beau que ce jour où il a enfilé pour la première fois son maillot des « Warriors » de Papouasie occidentale. Décoré du drapeau papou, le maillot symbolise les 55 ans de lutte de la région pour son indépendance de l'Indonésie – un conflit dans lequel environ 500 000 personnes ont perdu la vie et qui a été défini comme un « génocide au ralenti » par un universitaire. « Il n'y a rien de similaire, explique Tala. Quand on joue, chacun d 'entre nous y met ses tripes. »

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Tala est originaire de Port Moresby, la capitale de Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui partage une frontière avec la Papouasie occidentale. Cependant, pour les Papous, la frontière n'est autre qu'une notion abstraite « élaborée » par les Hollandais. «Les terres, les gens, la langue et les cultures sont les mêmes. Nous n'avons pas le sentiment de nous battre pour un autre pays. Nous nous battons pour notre peuple », explique Tala.

Cérémonie de solidarité avec la Papouasie occidentale en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Image via Facebook

Les Warriors sont nés en 2015 afin de sensibiliser à l'oppression et aux violences dont est victime le peuple papou. L'équipe regroupe des réfugiés de Papouasie occidentale et des Papous de Nouvelle-Guinée. Une poignée de joueurs basés en Australie vient aussi en renfort pour les rares matchs qui sont disputés là-bas. Ils n'ont jamais joué en Papouasie occidentale, où le simple fait de porter leur maillot ou de hisser le drapeau papou est passible d'une lourde peine de prison – entre 15 ans et la perpétuité. « Cela nous brise le cœur, mais il n'y a pas grand-chose que nous puissions faire, explique Tala.On ne peut pas espérer quoi que ce soit au niveau gouvernemental. Nous essayons donc de créer un mouvement à la racine et de construire quelque chose à partir de ça. Nous avons d é j à un peu de succès et j'espère que cela va continuer. »

Depuis que les forces coloniales néerlandaises se sont retirées de la région en 1962, l'Indonésie a dirigé la Papouasie occidentale d'une main de fer. Craignant un conflit armé avec l'Indonésie sous le régime communiste de Sukarno, l'ONU et les États-Unis ont vite cédé la région aux Indonésiens sous réserve de l'organisation d'un référendum sur l'indépendance de la Papouasie occidentale. Celui-ci a été organisé sept ans plus tard, peu après un coup d'État du général Suharto soutenu par les Britanniques, les Australiens et les Américains qui a évincé le régime de Sukarno. Malgré la surveillance de l'ONU, le référendum organisé sous Suharto n'a été qu'un simulacre : sur une population totale d'un million en Papouasie occidentale, seul un millier de chefs tribaux ont été appelés à voter par l'Indonésie. Ces derniers auraient été menacés, battus et maintenus en isolement avant le vote. Sans surprise, le résultat du référendum a été favorable à l'Indonésie. Si plusieurs observateurs internationaux ont exprimé un certain scepticisme au sujet du vote, aucun autre scrutin n'a été organisé et le résultat est resté définitif. « Le processus de consultation n'a pas permis un choix véritablement libre», a déclaré le ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth. Un avis partagé par l'ambassadeur des États-Unis en Indonésie, selon lequel « 95 % des Papous indigènes voulaient la liberté »

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La Papouasie occidentale abrite de vastes ressources et richesses, comme du pétrole, du cuivre et de l'or. La région abrite également la plus grande mine d'or du monde, Grasberg, qui appartient au groupe Freeport-Mcmoran – qui a notamment compté comme anciens membres de son conseil d'administration le célèbre industriel américain Godfrey Rockefeller et Henry Kissinger, ancien secrétaire d'État américain. Aujourd'hui encore, le groupe continue à s'approprier les richesses de Papouasie occidentale en quantités considérables et emploie 15 000 ouvriers – essentiellement des Américains, des Indonésiens et des Philippins. Quant aux mineurs papous employés, ceux-ci gagnent 1,50 dollar de l'heure et la région dans son ensemble reste la plus pauvre d'Indonésie – un pays déjà gravement touché par la pauvreté. Ceux qui osent protester risquent une longue peine de prison ou des violences, des tortures, un meurtre ou un viol. « J'ai parlé à des gens qui se sont échappés et qui ont vu leur mère se faire violer et tuer devant eux… Cela se passe vraiment », affirme Tala, qui a rencontré des dizaines de réfugiés qui ont fui vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Malgré l'oppression, le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée ne reconnaît pas officiellement les réfugiés de Papouasie occidentale. Aussi, de peur de froisser ses relations avec l'Indonésie, le pays – tout comme l'Australie – n'ose soulever la question de l'indépendance de la Papouasie occidentale. En janvier dernier, l'Indonésie a suspendu ses relations militaires avec l'Australie après avoir appris que des posters concernant l'indépendance de la Papouasie occidentale étaient affichés dans une base du Special Air Service Regiment, à Perth.

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Le gouvernement indonésien refuse catégoriquement d'envisager l'indépendance de la Papouasie occidentale et n'a montré aucun signe de compromis face aux demandes de divers parlementaires étrangers pour l'organisation d'un deuxième référendum supervisé par l'ONU. « C'est pourquoi il est important pour nous de montrer que, même si notre gouvernement ne fait rien, nous restons prêts à nous battre », explique Tala.

Israel Eliab, le capitaine de l'équipe nationale de rugby de Papouasie-Nouvelle-Guinée, est l'un des sportifs les plus performants du pays

Seule une poignée de petites nations de Mélanésie – parmi lesquelles Vanuatu, les îles Salomon et Fidji –, alliées sous le nom du « Groupe mélanésien Fer de lance », ont démontré leur volonté d'aider la Papouasie occidentale dans sa lutte pour l'indépendance). Cela a néanmoins eu peu d'effet et Tala estime que de nombreux Papous qui vivent en Papouasie occidentale commencent à perdre espoir. « Tant de gens ont essayé. Ils ont embauché des grands avocats, réalisé des documentaires, etc, et rien n'a fonctionné. Beaucoup d'entre eux abandonnent l'espoir d'un quelconque changement », estime-t-il.

Les Warriors continueront la lutte mais, avec une mauvaise couverture médiatique étrangère concernant leur situation, les fonds ne sont pas au beau fixe et les joueurs sont contraints de payer eux-mêmes leurs billets d'avion et le logement.

« La cause est plus grande que nous. »

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, où la ligue de rugby fait l'objet d'une ferveur quasi religieuse, les Warriors ont réussi à attirer plusieurs joueurs de l'équipe nationale, les Kumuls, à jouer pour eux. Cela a permis de booster à nouveau la lutte pour l'indépendance. Tala espère réussir à attirer l'attention des dizaines de rugbymans mélanésiens et polynésiens de haut niveau qui jouent dans la National Rugby League et la Super 18 en Australie et en Nouvelle-Zélande. « Nous voulons édifier l'identité de la Papouasie occidentale et retrouver fierté en notre drapeau et en nos origines », dit-il.