Comment l'Angleterre m'a rendu fan d'Arsenal

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Kopland

Comment l'Angleterre m'a rendu fan d'Arsenal

Un amour pour Arsenal, un départ outre-Manche, des railleries à foison, David Seaman. Il nous raconte tout.

J'ai toujours plus ou moins aimé les outsiders. C'est en partie pour ça que quand je suis parti m'installer en Angleterre, en 2012, et qu'on m'a balancé la question fatidique en pleine tronche, « Who do you support ? » [Tu supportes qui ?, ndlr], lors d'une discussion sur le foot, j'ai répondu instinctivement Arsenal. Aussi bon que Chelsea et les deux Manchester, avec la prétention et les milliardaires russes et qataris en moins. C'était pour ça mais aussi pour ce que le club au maillot rouge et blanc évoquait pour moi : les glorieuses parties sur Championship Manager 98, ce but mythique de Bergkamp ou cette parade à la Space Jam de David Seaman en demi-finale de FA Cup. Bref, Arsenal c'était une bonne équipe avec une philosophie qui me plaisait.

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J'allais sur mes 20 ans et je venais de déposer mes valises à Birmingham. J'avais réussi à m'émanciper, pour partir loin du canapé familial dans lequel j'avais l'habitude de m'installer tous les week-ends pour regarder des matchs de Premier League à la télé. En France, je n'étais pas tout à fait fan d'Arsenal. Plusieurs équipes et certains joueurs, et la qualité du jeu qu'ils proposaient, me plaisaient : prenez le collectif de Chelsea de la période Mourinho 1.0, les transversales millimétrées de Xavi Alonso et Gerrard à Liverpool, ou les chevauchées monstrueuses de Bale à Tottenham. Tout ce qui m'intéressait, c'était de voir de beaux matches. Je ne me définissais pas comme un fan d'Arsenal, même si j'étais content quand les Gunners gagnaient, et contrarié quand ils perdaient. J'imagine que j'étais un supporter passif.

En débarquant outre-Manche, j'ai tout de suite compris que cette conception du supporter de foot n'était pas de rigueur. Pareillement, je me suis rendu compte que notre truc national basique qui consiste à encourager Monaco, Lyon, Paris et consorts en Ligue des Champions « parce que la Ligue 1, c'est tellement naze que dès qu'une équipe française joue bien, il faut l'encourager », était encore moins de rigueur. Au contraire, tant mieux si les équipes anglaises perdent, on pourra se foutre de leur gueule.

J'ai vite compris, en voyant des gens se taper 150 kilomètres tous les week-ends, pour voir leur équipe perdre en 3e division, que dans la psyché anglaise « supporter une équipe » signifie jusqu'à la mort. Une fois qu'on a choisi, on ne peut plus faire marche arrière. Tant pis si après une gloire éphémère notre équipe sombre au fin fond de la National League North. C'est la vie. La roue tournera. Ceux qui te craignaient hier se moquent de toi aujourd'hui, tu te moqueras d'eux demain. Par une habile dissonance cognitive qui pourrait presque passer pour une dévotion pleine de sagesse si ce n'était pas une fermeture d'esprit absolue, un supporter de foot anglais est animé par une certitude inébranlable, à savoir, une seule équipe est vraiment au-dessus des autres : la sienne. Attendez, le temps vous le prouvera.

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Ainsi, par un mélange de nostalgie, de sentimentalité francophile, de philosophie managériale et d'esprit de compétition, j'ai décidé de mettre toute ma foi en Arsène Wenger – un homme humble et malin en plus d'un fin tacticien, polyglotte d'exception et commentateur sportif laconique – et les siens. Impossible de changer désormais. À ce moment-là, Arsenal était une équipe qui, malgré ses heures de gloire, patinait au point mort : en témoignent les huit saisons sans gagner le moindre trophée et les nombreux départs de ses joueurs stars vers des équipes rivales qui leur faisaient rencontrer le succès dès l'année suivante (Ashley Cole, Cesc Fabregas, Samir Nasri, Robin Van Persie).

Ainsi, j'ai commencé la saison 2012-2013 au pub, une bière à la main, entouré de supporters aux torses emmaillotés de bleu ciel ou de rouge devant un Manchester City-Arsenal décevant – comme le fut chacune des rencontres contre l'un des gros du Big 4 au cours des deux années suivantes. Petit à petit, c'est devenu un rituel : l'équation Arsenal = bière + pub s'est insidieusement glissée dans mon quotidien. J'allais au pub, parfois seul, parfois accompagné, et je retrouvais les mêmes visages qui, comme moi chaque semaine, laissaient Arsenal dicter si leurs bières auraient un goût d'amertume ou de joie.

Ne pouvant pas profiter des tarifs les moins avantageux de Premier League et des frais de déplacement jusqu'à Londres pour aller voir mon équipe évoluer dans son Emirates Stadium – symbole de la réussite entrepreneuriale d'Arsenal, j'ai rapidement cherché un autre moyen de la voir évoluer sur le gazon. Ainsi, j'ai vendu mon âme au diable pour £50 et suis allé à Villa Park voir un Aston Villa-Norwich insipide, afin d'être enregistré dans la base de données des Villans et de bénéficier du statut de Villa Fan, statut obligatoire pour assister au match suivant : celui contre Arsenal.

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Les jours s'enchaînaient lentement, jusqu'à ce fameux samedi 24 novembre : mon dépucelage rouge et blanc. J'ai pris position dans les populaires de la tribune presse, au milieu de vrais Villa Fans, de leurs pork pies hors de prix et des écharpes grenat et bleu. Rapidement, j'ai engagé la conversation avec mon voisin. C'était un vieil homme d'une soixantaine d'années qui m'avait l'air sympathique. Je lui ai dit, en jouant la carte du petit étranger naïf : « C'est marrant, je ne vois aucun maillot rouge autour de moi. En France on en verrait sûrement quelques-uns pour un match contre une équipe avec la même stature qu'Arsenal. » J'ai profité de sa réponse sardonique pour glisser une question a priori hypothétique, qui dictera ma conduite pour ce match : « Si Arsenal marque un but et que je me lève pour applaudir, je m'expose à quoi ? ».

Il m'a sobrement répondu : « On te cassera les jambes. » Puis, il a ajouté : « Enfin pas moi, je suis trop vieux pour ça. »

Sympa. J'ai donc décidé de garder mon enthousiasme et mon maillot de gooner hors de vue, au cas où ce que je pensais être un sarcasme très British n'en était pas un. Notre conversation s'est achevée lorsque les joueurs sont entrés sur le terrain. Je lui ai avoué que j'étais là pour voir mon premier match de Premier League et, qu'en France, j'avais plutôt tendance à supporter Arsenal. Il s'est tourné vers moi et m'a dit : « Désolé mon grand, mais vous allez perdre. » Puis, il s'est transformé en supporter basique – protestant avec ferveur contre chacune des décisions de l'arbitre défavorable à son équipe – sans plus m'adresser la parole.

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Au final, j'ai passé deux mi-temps sous la pluie à assister au deuxième match le plus stérile de toute mon existence. Une main de Szczęsny hors de la surface qui ne lui a valu qu'un simple avertissement, une barre transversale de Brett Holman et un Giroud qui sourit autant qu'il vendange devant le but furent les seules choses à se mettre sous la dent. À vrai dire, le truc le plus mémorable est arrivé hors du terrain : un type situé deux rangées au-dessus de moi s'est levé pour hurler sur l'arbitre : « You fucking faggot ! You have no fucking balls ! » [Tu es un putain de pédé ! Tu n'as pas de couilles !, ndlr] Ce n'est pas physique uniquement sur le terrain le foot anglais.

Ce fut le premier de mes quatre matches passés dans des travées adverses, comme un flic sous couverture, à contenir mon amour pour les canonniers et Arsène, tandis que mes voisins raillaient chacun des gestes du coach alsacien. Plus de trois ans ont passé et j'ai fini par m'habituer à la routine du supporter d'Arsenal : la fausse promesse du recrutement d'un des dix meilleurs joueurs du monde durant l'été, des bons résultats en automne, une hécatombe de blessés pendant les fêtes – une baisse de régime et des #WengerOut conséquents – puis une bonne fin de saison pour s'assurer une place dans le top 4 – sans jamais pouvoir prétendre au titre. Autrement dit, c'est une routine qui fluctue entre espérance et déception, avec la frustration et le sentiment d'avoir raté quelque chose toujours à l'arrivée.

Au final, la seule chose qui manque à mon palmarès de supporter après trois ans en Angleterre, ce sont un trophée autre qu'une FA Cup et une place pour un match à l'Emirates Stadium.

Alors que je me baladais dans Paris cette année, j'ai vu un ado avec un maillot de Chelsea et je me suis souvenu des moqueries dont j'avais été victime en Angleterre après les grosses défaites de mon équipe : les réflexions désobligeantes qu'on m'a lancées quand j'allais faire un jogging avec mon maillot d'Arsenal, ou simplement la haine que les supporters de West Bromwich et Aston Villa semblaient éprouver contre mon équipe. Pendant une demi-seconde, j'ai eu envie de l'insulter et de lui casser les jambes. Puis, j'ai retrouvé ma lucidité et pris conscience du monstre que j'étais rien que pour l'avoir pensé. Soudainement, comme touché par une illumination divine, j'ai compris : mon équipe était au-dessus des autres, le temps venait de le prouver. J'étais, aux yeux de l'Angleterre, devenu un vrai supporter d'Arsenal.

Robin tweete parfois sur Arsenal.