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Crime

Des étudiants, des militants, et un champion de boxe auraient été torturés au Maroc

Un rapport publié ce mardi par Amnesty international est contesté en bloc par les autorités marocaines. Il rapporte une pratique « endémique » de la torture ou des mauvais traitements, imputés aux forces de l’ordre.
Photo par Abdelhak Senna/AFP/Getty Images

173 cas de torture et mauvais traitements au Maroc, entre 2010 et 2014 indique le texte. Ce mardi, l'ONG Amnesty international a publié un rapport, disponible en intégralité en anglais et dans une version résumée en Français, sur la pratique de la torture au Maroc. Le texte de 143 pages est intitulé « L'ombre de l'impunité. La torture au Maroc et au Sahara occidental », le rapport est très critique envers les autorités marocaines et les effets des réformes qui ont suivi les grandes manifestations populaires de 2011 qui se sont tenues dans la foulée des printemps arabes.

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Dans un communiqué d'Amnesty international qui accompagne la publication du rapport, la secrétaire générale de l'organisation, Salil Shetty, a déclaré que « Les responsables marocains renvoient l'image d'un pays ouvert, respectueux des droits humains. Mais tant que la menace de la torture planera sur les détenus et les voix dissidentes, cette image ne sera qu'un mirage. »

Les autorités marocaines, qui ont pu avoir accès au rapport d'Amnesty international en amont de sa publication, ont répondu en bloc et en détail aux accusations de l'ONG, qui a inséré ces réponses en annexe du rapport.

« Les autorités marocaines ne peuvent que rejeter catégoriquement le contenu de ce document », lit-on dans cette réponse. « Les autorités marocaines considèrent que l'objectif premier de ce mémorandum est d'accabler le Royaume, ce qui ne permet aucunement de prendre Ia véritable mesure des avancées et réalisations sur I'ensemble du territoire national. En dépit de quelques avancées présentées en guise d'introduction, Ia plupart des réalisations et mesures concrètes sont en effet passées sous silence. »

Le rapport est publié dans le cadre de la campagne mondiale d'Amnesty international « Stop torture ». Des rapports sur le Mexique, les Philippines, l'Ouzbékistan et le Nigéria ont déjà été publiés. Amnesty ajoute dans son communiqué que, 131 des 160 pays analysés dans son rapport annuel 2014, ont eu « recours à la torture et à d'autres formes de mauvais traitements ».

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L' «ouverture» n'est pas au RDV au — AIBF (@amnestybe)May 19, 2015

Le rapport présente les cas de 173 personnes, qui auraient été victimes de tortures et de mauvais traitements entre 2010 et 2014, notamment dans le but de faire avouer à des suspects des faits qu'ils auraient — ou non — commis, ou de dénoncer d'autres personnes.

Parmi ces 173 personnes, Amnesty évoque des opposants politiques, de gauche ou islamistes. On trouve des étudiants, des militants pour l'indépendance du Sahara occidental, des suspects dans des affaires de terrorisme ou de droit commun.

Des abus dénoncés tout le long de la chaîne pénale

Le rapport dénonce des manquements aux droits humains pendant tout le long de la chaîne pénale, de l'arrestation à la détention, en passant par l'interrogatoire et le passage devant le juge et devant le médecin.

Suivant les cas, les violences consistent en l'usage d'une « force excessive » lors de l'interpellation, comme l'affirme, par exemple Boubker Hadari. Arrêté en 2013, alors qu'il était étudiant en philosophie et militant dans un parti de gauche et dans un syndicat étudiant, Boubker Hadari affirme avoir été battu avec des bâtons, sur la tête et tout le corps. « Puis l'un [des policiers] a dit : 'jetez ce chien' et ils m'ont jeté du toit, qui était à deux étages de hauteur. Je me suis réveillé dans une mare de sang sur le sol, et ils m'entouraient, m'insultant et prenant des photos, » témoigne-t-il dans le rapport.

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La détention, affirme Amnesty, est également émaillée d'abus commis par les forces de l'ordre. Le cas, médiatisé, de l'ancien boxeur franco-marocain Zakaria Moumni est cité dans le rapport de l'ONG. Ce dernier assure avoir été torturé pendant trois jours après son arrestation, en septembre 2010, à l'aéroport de Rabat. Il évoque des coups, des privations de sommeil et affirme avoir été déshabillé, forcé à se tenir debout, à genoux, ou attaché à une chaise pendant son interrogatoire. Il avait dénoncé les mêmes faits au Parlement européen, en avril 2014, lors d'un colloque organisé par le collectif Al-Haqiqa, qui milite contre les disparitions forcées. Zakaria Moumni avait été arrêté dans le cadre d'une affaire d'escroquerie, puis condamné, notamment sur la base d'aveux qu'il dit avoir livrés sous la torture. Il a ensuite été gracié en février 2012.

Le rapport d'Amnesty international insiste particulièrement sur l'indifférence de la justice, quand des cas des mauvais traitements lui sont soumis. « Les juges comme les procureurs ont souvent failli à leur obligation d'enquête sur les allégations de torture et d'autres mauvais traitements, renforçant ainsi l'impunité, » lit-on dans le résumé français du rapport. « Il apparaît que dans les rares cas où le parquet ou le tribunal a ordonné un examen médical, celui-ci n'était pas conforme aux normes en la matière, » poursuit le texte.

Polémique sur la coopération judiciaire franco-marocaine

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L'affaire Zakaria Moumni avait provoqué des tensions diplomatiques entre la France et le Maroc, depuis la plainte pour torture déposée en France par l'ancien boxeur, en février 2014, contre le chef de la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire) au Maroc, Abdellatif Hammouchi, et contre le secrétaire particulier du roi Mohammed VI, Mounir Majidi. Il accuse notamment Abdellatif Hammouchi d'avoir assisté aux tortures qu'il aurait subies. La plainte avait été déposée à Paris et, ce mardi, la radio RFI annonçait que le parquet de Paris a envoyé aux autorités judiciaires marocaines une « dénonciation officielle » aux fins de poursuite, un terme juridique qui veut dire que c'est à la justice marocaine de trancher cette affaire, désormais.

La plainte de Zakaria Moumni, en février 2014, mais aussi d'autres plaintes semblables, avaient poussé la France à suspendre sa coopération bilatérale dans le domaine judiciaire avec le Maroc. Cette coopération a été rétablie en janvier 2015.

Amnesty international dénonce par ailleurs la teneur de l'accord qui est issu de cette coopération. À la mi-mai, les députés français doivent examiner le protocole entre la France et le Maroc en matière d'entraide judiciaire, censé favoriser la coopération des deux pays en la matière.

La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), la Ligue des droits de l'homme française (LDH), l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) et Human Rights Watch (HRW) dénoncent également cet accord. Selon ces ONG, si ce protocole est adopté dans les termes actuels, la justice marocaine pourrait avoir la priorité sur la justice française, au détriment de plusieurs principes juridiques que la France devrait respecter selon les ONG, notamment le droit à un procès équitable.

Suivez Matthieu Jublin sur Twitter : @MatthieuJublin