La NASA a détruit des centaines de bandes magnétiques trouvées dans la cave d'un homme mort
Image : Wikimedia Commons : Nasa Ames Research Center

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La NASA a détruit des centaines de bandes magnétiques trouvées dans la cave d'un homme mort

Plus de 300 bandes magnétiques ayant été utilisées par l'agence aérospatiale ont été découvertes dans la cave d'un homme décédé, puis détruites.

À quelques semaines de la fin de l'année 2015, la NASA a eu vent d'une découverte étonnante.

Deux énormes ordinateurs et 325 bandes magnétiques avaient été découverts dans la cave d'un Pennsylvanien décédé quelques temps plus tôt.

Les machines et leurs bobines avaient servi à l'époque des missions Apollo, celles qui ont permis à l'homme de poser le pied sur la Lune. Quarante ans plus tard, malgré leur mauvais état, elles portent toujours la marque du Goddard Space Flight Center et du Jet Propulsion Laboratory de la NASA. Personne ne sait quel secret cachent ces artefacts d'un temps révolu, même pas leur dernier propriétaire.

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C'est une ancienne connaissance de l'homme décédé qui a informé la NASA de l'existence de ces objets. Ferrailleur de profession, il avait été chargé de prendre soin d'eux mais a préféré les rendre à l'agence aérospatiale. Il "voulai[t] faire ce qui est juste".

Les étiquettes de certaines des bandes mentionnent Pioneer 8 et Pioneer 9, les missions d'étude de l'espace interplanétaire qui ont permis de mettre des satellite sur orbite solaire dès le milieu des années 60. L'une de leurs créations, la sonde Helios-A, est passée à quelques 46 millions de kilomètres du soleil. Un record pour l'époque.

D'autres bandes se réclament des sondes Pioneer 10 et Pioneer 11, bien connues pour nous avoir fourni les premières images détaillées de Jupiter et Saturne dans les années 70. Curieusement, l'une de mes sources a affirmé que certains anciens chercheurs de la NASA pensaient que des données capitales concernant Pioneer 11 avaient disparu à tout jamais.

Au cours des cinq mois ayant suivi cette découverte, les équipes du Goddard Space Flight Center de Greenbelt, dans le Maryland, ont tenté de faire parler les bandes magnétiques. Motherboard a pris connaissance de l'enquête en invoquant le Freedom of Information Act auprès du Office of Inspector General (OIG) de la NASA. Les documents qui nous ont été fournis ont fait l'objet d'un article publié vendredi dernier dans Ars Technica. Le nom du dernier propriétaire des bandes y a été censuré.

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Les archivistes du Goddard Space Flight Center se sont mis en quête d'indices concernant la valeur des artefacts. Ils se sont également entretenus avec des scientifiques pour découvrir quelles missions avaient perdu des données par le passé. Rappelons qu'en 2006, la NASA a avoué qu'elle avait perdu le film original de l'alunissage du 20 juillet 1969, le premier de l'histoire. Aujourd'hui encore, le spectre de l'affaire embarrasse l'agence.

"Je dois ajouter que j'utilise "Apollo" comme un exemple de ce que nous pourrions considérer comme important d'un point de vue historique à cause de cette histoire de bobine perdue", écrivait un employé du Goddard Space Flight Center à ses collègues en avril 2016, avant d'ajouter qu'ils étaient "incapables de trouver la moindre mention d'Apollo" sur les bandes retrouvées.

"Il semble qu'il s'agisse de bandes analogues contenant des informations liées aux instruments de bord", affirme un employé de la NASA dans un autre mail concernant la découverte.

Une photo de l'équipement informatique trouvé dans la cave de l'homme décédé

Une photo de l'équipement informatique trouvé dans la cave de l'homme décédé

Une photo de l'équipement informatique trouvé dans la cave de l'homme décédé.

Une photo de l'équipement informatique trouvé dans la cave de l'homme décédé.

Les bobines contiennent-elles des données originales ou copiées ? La question demeure. A l'époque d'Apollo, les employés de la NASA réalisaient souvent des copie de secours et des copies de travail.

"Si vous avez seulement une bande et qu'elle est ruinée par un lecteur, démagnétisée pendant une opération ou victime d'un café renversé… Vous perdez les données. Du coup, il est habituel de faire des copies", m'a expliqué Larry Kellogg, un ancien ingénieur système qui a travaillé sur l'équipement de Pioneer 10 et Pioneer 11.

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215 bandes environ ne comportaient aucune inscription, ce qui a poussé la NASA à croire qu'elles étaient vierges. Il y a presque cinquante ans, lorsqu'une bobine était effacée ou ré-utilisée, son étiquette était souvent retirée ; la bande magnétique était un support coûteux et la NASA recyclait pour économiser.

Les bandes marquées ne sont pas forcément plus excitantes. Keith Cowing, un ancien biologiste pour la NASA et éditeur au sein de NASA Watch m'a affirmé qu'elles pourraient tout à fait être des "copies de copies de copies".

"Vu le nombre de bobines, je parie qu'elles ne sont pas originales. Mais ça n'a pas d'importance", a-t-il ajouté. "Quelqu'un possède l'annuaire des données de ces missions."

Bon nombre de détails concernant l'enquête restent troubles. Les noms de toutes les personnes impliquées, y compris celui du dernier propriétaire des bandes, ont été censurées au nom de la protection de la vie privée.

Motherboard peut néanmoins confirmer que les bandes ont été détruites.

Ce 18 juillet, le Supply & Equipment Management Branch Office de Goddard (GSFC) m'a indiqué que "toutes les bandes magnétiques ont été récupérées par l'Agency Recycler, UNICOR, le 02/09/2016. Le GSFC a reçu un certificat de destruction de l'usine UNICOR signé et daté du 06/09/2016."

Le Supply & Equipment Management Branch Office affirme que la destruction des bandes a été décidée en accord avec les Procedural Requirement de la NASA, qui détaillent la marche à suivre pour "l'identification et la gestion d'artefacts potentiels."

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À en croire l'archiviste de la NASA qui s'est occupé du dossier, récupérer les données entreposées sur les bandes aurait été "très coûteux". De plus, rien ne garantit que les bobines, décrites comme sévèrement "moisies", auraient parlé.

Les ordinateurs, dont la NASA n'a pas voulu, sont restés dans la cave de Pittsburgh dans laquelle ils se trouvaient depuis le début. ("S'il vous plaît, dites à la NASA que ces objets n'étaient pas volés", a indiqué l'un des proches du défunt au ferrailleur qui a alerté la NASA. D'après cette source, c'est une antenne locale d'IBM qui a donné les ordinateurs et les bandes à leur ancien propriétaire.)

"La NASA prend la rétention d'information très sérieusement", m'a affirmé un porte-parole de la NASA lundi 17 juillet. "C'est pour cette raison que nous avons lancé une nouvelle enquête en 2015-2016, dès que nous avons pris connaissance de l'existence de ces anciens avoirs de la NASA."

"La NASA a déterminé que les bandes magnétiques avaient selon toute vraisemblance été effacées avant leur élimination", a ajouté le porte-parole. "De plus, ces bandes étaient atteintes d'un contamination à la moisissure sévère. Au vu de ces facteurs, l'agence a déterminé que ces bandes magnétiques ne représentaient aucune valeur intrinsèque ou informative à ses yeux."

Les dates qui figurent sur les bandes vont de 1961 à 1974. Si elles sont justes, elles coïncident avec une période au cours de laquelle la NASA a détruit, abandonné ou recyclé des milliers de bobines. Résultat : il y a des trous dans les données de bon nombre de vieilles missions de l'agence.

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Un rapport rédigé en 1990 par l'US General Accounting Office (GAO) à l'intention de la House of Committee on Science, Space and Technology accuse la NASA de ne pas archiver les données potentiellement précieuses qu'elle récolte.

Selon certains experts, les données de 18 des 263 missions spatiales d'envergure menées par les États-Unis entre 1968 et 1987 ne sont jamais parvenues jusqu'aux entrepôts de stockage de la NASA. L'agence aérospatiale estime que seuls 30 à 59% des données générées par les missions Pioneer 10 et Pioneer 11 étaient entreposées dans son archive permanente du National Space Science Data Center (NSSDC) de Goddard. Pour la NSSDC, ce taux d'archivage est "bon".

Le rapport du General Accounting Office raconte l'histoire d'un responsable des données qui a "diffusé des milliers de bandes parce qu'il ne pouvait pas en assurer le stockage et ne souhaitait pas faire remonter le problème jusqu'au directeur de Goddard" et qui, voulant en sauver au moins quelques-unes, "a autorisé la destruction de tous les autres cartons de bandes".

A l'époque, la NASA avait expliqué ces cafouillages en invoquant un manque de directives claires entre elle et ses chercheurs, mais aussi des procédures trop légères concernant l'archivage de certaines données. Depuis, elle a adopté un nouveau système de gestion des informations avec l'aide de la National Archives and Records Administration. Ce dernier encadre fermement la destruction des données.

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Si les bandes "étaient des bandes d'expérimentateurs, leurs données étaient déjà archivées et accessibles", a théorisé Kellogg. "Du coup, passer beaucoup de temps à tenter de trouver un moyen de les lire et de les décoder serait une perte d'argent."

"Quand les missions Pioneer ont pris fin, l'ordinateur spatial d'Ames [le centre de recherche d'Ames, berceau du Pioneer Project Office, ndlr] a été utilisé pour la mission Lunar Prospector puis pour la mission Kepler", a continué Kellogg.

Quelques temps plus tard, la NASA a transféré les données des missions Pioneer 10 et Pioneer 11 dans des CDs. Les bandes magnétiques sur lesquelles elles étaient entreposées, qui commençaient à s'abîmer, ont été jetées. Kellog, qui n'a pas eu accès au butin de Pennsylvanie, n'a pas pu déterminer s'il contenait bel et bien ces bandes magnétiques.

Autre hypothèse : les bobines pensylvaniennes contenaient les données perdues de Pioneer 10, la mission qui nous a fourni des images inédites de Jupiter et ses satellites naturels en décembre 1973.

En 1980, la NASA a remarqué que Pioneer 10 et Pioneer 11 ralentissaient et déviaient lentement de leurs trajectoires. Cet événement, désormais connu sous le nom de Pioneer Anomaly, a été attribué aux forces thermiques qui poussaient les sondes dans le sens inverse de leur course.

Dix ans après, des chercheurs qui espéraient enquêter sur l'anomalie se sont procuré les données des missions concernées auprès de Kellogg, qui les avaient copiées sur un ordinateur contemporain. Malheureusement, en inspectant les fichiers, ils ont découvert que neuf jours de données pour l'année 1973 de Pioneer 10 manquaient à l'appel. Le journal des retranscriptions de la NASA indique que ces informations ne sont jamais passées de leur bandes magnétiques originales à un CD.

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"Peut-être que quelqu'un voulait utiliser les données qui ont servi à créer les images de Jupiter pour générer une nouvelle image à l'aide de logiciels plus récents", a supputé Kellogg. "Nous n'avons pas pu confirmer cela. Vous vous souvenez juste vaguement d'une chose qui a été dite il y a des années et vous ne pouvez pas être sûr qu'il ne s'agit pas d'un rêve."

Dans le compte-rendu de son enquête, la NASA ne mentionne pas une seule fois les bandes magnétiques manquantes de Pioneer 10. Par contre, elle rend hommage à "l'effort héroïque" de ceux qui ont cherché à récupérer les données concernant l'anomalie.

J'ai demandé à la NASA si ces bandes disparues avaient été évoquées pendant son audit. Un porte-parole m'a répondu que "Pioneer [avait] été discutée en détail…".

Un mail interne de la NASA qui évoque les efforts de récupération des données liées à la Pioneer Anomaly.

Au final, l'élément le moins bizarre de toute cette affaire, c'est que quelqu'un soit parvenu à récupérer tous ces objets ayant appartenu à la NASA.

Au cours des années 70 et 80, l'agence aérospatiale avait pour habitude de vendre son surplus aux enchères. Les technologies devenaient obsolètes, le financement fondait ou l'espace manquait. Certains des objets ainsi vendus reposent toujours dans des collections privées. D'autres ont été réduits en pièces détachées. Parfois, des employés et des partenaires de la NASA s'octroyaient des éléments qui devaient être détruits.

L'ère Apollo était d'ailleurs particulièrement célèbre pour ces pratiques.

"Beaucoup de ces trucs sont réapparus sur eBay, entre autres, au cours de la dernière décennie", m'a expliqué David Meerman Sott, un collectionneur spécialiste de la conquête de l'espace et auteur de Marketing the Moon : The Selling of the Apollo Lunar Program. "Ou dans des maisons de vente aux enchères. Les collectionneurs s'échangent aussi des objets qui ne passent jamais devant un commissaire-priseur, ils font des ventes privées et discrètes."

La collection de Pennsylvanie est un trésor pour certains, un tas de déchets pour d'autres. En tout cas, elle est sans doute loin d'être la seule de son genre. Avec un peu de chance, la découverte de ces trésors cachés révélera beaucoup de choses sur la conquête de l'espace.

Comme l'a dit un archiviste de la NASA : "Pour moi, c'est vraiment comme de l'archéologie."