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Drogue

Qui finance la lutte contre la légalisation de la weed aux États-Unis ?

Cinq États américains vont devoir choisir s'ils veulent ou non légaliser la weed. Un attelage hétérogène d'acteurs oeuvre pour éviter que cela arrive.

Même si en politique il convient de s'attendre à tout, les opposants à la légalisation du cannabis dans plusieurs États américains forment un drôle d'attelage. Parmi eux on retrouve un milliardaire qui a fait fortune dans les casinos, une femme qui pense que l'histoire du film Reefer Madness est vraie, un ancien ambassadeur américain qui mène une croisade contre les drogues, des policiers, des gardiens de prison, des vendeurs d'alcool et une entreprise pharmaceutique qui produit du fentanyl, une drogue ultra-puissante.

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Une majorité d'Américains est pour la légalisation du cannabis et les pro-légalisation ont levé bien plus d'argent que leurs opposants. Les militants pro-weed des cinq États qui doivent se prononcer sur une possible légalisation avaient levé 30 millions de dollars le 20 octobre, contre 6,6 millions de dollars pour leurs rivaux, d'après le site Ballotpedia. Cette disparité est notamment due à la Californie, où les soutiens de la Proposition 64, ont amassé 18,1 millions de dollars — contre seulement 2 millions pour les opposants à la légalisation.

Kevin Sabet, le président de Smart Approaches to Marijuana, le plus grand groupe anti-légalisation du pays, explique que cet écart n'est « pas surprenant » et qu'il « s'y attendait ». Il indique que la plupart de l'argent récolté par les pro-weed en Californie vient d'entrepreneurs qui veulent capitaliser sur ce méga-marché, qui pourrait représenter 6,5 milliards de dollars d'ici 2020.

« Ces gens se fichent de mettre un terme à la violence liée aux drogues, » estime Sabet. « Tout ce qu'ils veulent, c'est se faire de l'argent. »

Mais il semblerait que l'argent — ou plutôt, la peur d'en perdre — motive aussi ceux qui oeuvrent contre la légalisation du cannabis. Le plus gros don (500 000 dollars) fait à l'organisme en charge de la lutte contre la légalisation en Arizona (Arizonans for Responsible Drug Policy) provient d'Insys Therapeutics, un laboratoire pharmaceutique qui produit du fentanyl sous forme de spray sous la langue. L'entreprise et d'anciens employés ont eu des démêlés avec la justice à cause de la manière dont le fentanyl était marqueté.

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Insys dit s'opposer à la légalisation parce que les législateurs fédéraux n'ont pas approuvé l'usage médicinal de la marijuana et parce que le projet de loi « ne protège pas les citoyens de l'Arizona, et notamment les enfants. » Mais l'entreprise développe aussi des produits qui utilisent des cannabinoïdes pharmaceutiques — une version synthétique de la marijuana.

Sabet, dont l'organisme s'occupe de coordonner les efforts des anti-légalisation au niveau national, a essayé de se détacher d'Insys, expliquant que son groupe recevait des soutiens financiers de la part d'une multitude d'acteurs. « Je ne débarque pas dans les laboratoires pharmaceutiques pour leur dire "Donnez moi de l'argent, sinon cela va concurrencer votre produit". Peut-être que je devrais le faire, mais je ne vais pas le faire, » dit-il.

« Nous récoltons de l'argent auprès de donneurs individuels, notamment des proches de personnes décédées à cause de la drogue, dont la marijuana, » dit Sabet. « On ne touche pas un centime de la part d'entreprises ou de producteurs d'opiacés. »

Le groupe à but non-lucratif ne révélera pas ses finances avant de remplir ses fiches d'impôts pour l'année 2016. Mais il a constitué plusieurs PAC (Political Action Committee) pour lutter contre les pro-weed. Et les informations concernant les donateurs de ces PAC sont déjà disponibles.

L'une des donatrices les plus généreuses de Sabet est Julie Schauer, une riche passionnée d'art qui habite dans la région de Washington, D.C. Via le fonds d'investissement de sa famille, elle a donné près de 1,3 million de dollars à l'organisme de Sabet, afin de faire échouer la tentative de légalisation de la weed en Californie. Elle a aussi donné 30 000 dollars pour atteindre le même objectif dans le Nevada, et 25 000 dollars pour empêcher la légalisation de l'herbe dans le Massachusetts.

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Schauer n'a pas répondu à notre demande de réaction adressée par e-mail et Sabet a précisé qu'elle « ne voulait pas parler aux médias. » Mais elle avait déjà exprimé son point de vue sur le cannabis à plusieurs occasions. Tom Angell, fondateur du groupe pro-légalisation Marijuana Majority et journaliste pour marijuana.com, a retrouvé des commentaires postés par Schauer sur OpenSecrets. Elle déclarait que les tueries de masse et les attaques terroristes, dont l'attentat du marathon de Boston, sont dues au fait que les assaillants fumaient de la weed.

La participation de Schauer à la campagne anti-légalisation est seulement éclipsée par Sheldon Adelson, le fondateur et PDG de la Las Vegas Sands Corporation, un empire du jeu qui compte une dizaine de casinos aux États-Unis et en Asie. Classé parmi les hommes les plus riches du monde, selon Forbes, Adelson a donné 5 millions de dollars pour essayer de contrer la légalisation dans le Nevada, le Massachusetts, l'Arizona et la Floride. Adelson avait déjà donné 5,5 millions de dollars pour éviter que l'usage médicinal de la marijuana soit légal en Floride.

Les représentants d'Adelson n'ont pas souhaité répondre à nos questions. Sabet estime qu'Adelson n'est pas motivé par des questions commerciales, mais qu'il a perdu un enfant « à cause de la drogue », ce que la femme d'Adelson a déjà évoqué publiquement.

En plus d'Adelson, le plus gros donateur de la campagne anti-weed en Floride (à hauteur d'un million de dollars) est Mel Sembler, directeur émérite de la Sembler Company, une entreprise immobilière. Donateur régulier du parti républicain, Sembler a été ambassadeur en Italie et en Australie. Sembler et sa femme, Betty, sont les cofondateurs de la Drug Free America Foundation, un groupe qui prône le dépistage de drogues chez les étudiants et assure que la marijuana « brute » n'est pas un médicament.

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Un porte-parole de la Sembler Company a fait suivre une demande d'interview à l'assistant personnel de Sembler, qui n'est pas revenu vers nous. Sembler n'est pas le seul donateur anti-weed à ne pas vouloir s'exprimer.

« La plupart des donateurs souhaiteraient rester anonymes, » explique Sabet. « Ils ne veulent pas se retrouver sous les projecteurs. Ils tiennent vraiment à ce problème, et moi je suis là pour m'occuper de ça. Il ne s'agit pas d'inconnus. »

La crainte de la mauvaise presse n'arrête pas certains personnages publics. Ernie Garcia, PDG de l'entreprise de vente de voitures d'occasion, DriveTime, a donné 250 000 dollars à la campagne en Arizona. Carol Jenkins Barnett, dont le père a fondé la chaîne de supermarchés Publix, avait donné 800 000 dollars pour empêcher que la weed médicinale soit légale en Floride.

Dans le Massachusetts, une industrie se serre les coudes pour contrer la légalisation de la marijuana. Une association de vendeurs de vins et de spiritueux a donné 50 000 dollars pour éviter la légalisation dans l'État, et un brasseur de bières a ajouté 25 000 dollars. Les pubs locaux, dont McGreevy's (un célèbre sports bar de Boston), a aussi apporté sa pierre à l'édifice. McGreevy's et la Lower Mills Tavern (un bar du quartier de Dorchester à Boston) ont donné tous deux 1 000 dollars — ce qui a motivé certains habitués du bar à vouloir les boycotter.

Dans certains cas les opposants assurent soutenir une réforme de la politique contre les drogues — mais ne souhaitent pas une totale légalisation. Lauren Michaels, responsable des affaires juridiques à la California Police Chiefs Association, qui a donné 20 000 dollars à la campagne contre la Prop 64, a précisé que son organisation soutenait la marijuana médicinale, mais s'opposait à la légalisation de la consommation récréative. Notamment parce qu'il « y a moins de surveillance pour rentrer dans les lois de l'État. »

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Nombre de groupes représentant des forces de l'ordre ont contribué à la campagne anti-Prop 64, dont la Peace Officers Research Association of California, une coalition de plus de 66 000 membres des forces de l'ordre. Les gardiens de prison de la California Correctionnel Supervisons Organization ont donné 5 000 dollars. Michaels explique que les chefs de la police pensent que la Prop 64 ne va pas vraiment changer la donne sur le marché noir, et risque de faire augmenter le nombre de conducteurs défoncés sur la route. Comme Sabet, elle voit bien que l'industrie de la weed investit beaucoup d'argent pour faire passer la loi.

« Les gens qui soutiennent l'initiative, ils le font comme un investissement pour eux — c'est normal qu'ils investissent de l'argent, » dit Michaels. « Ceux qui s'y opposent sont en revanche des gens connectés avec leurs communautés. Ils n'ont pas beaucoup de moyens. Donc on n'a pas été surpris. C'est juste la réalité des choses. »

Les policiers et procureurs auront toujours du travail si la weed est légale, mais Mason Tvert, porte-parole du Marijuana Policy Project, qui finance les campagnes pro-marijuana, estime que les millions de dollars qui financent les stups sont en jeu.

« Ces gens essayent de faire subsister un système qui criminalise des milliers et des milliers de personnes, afin de continuer à faire de l'argent, » dit Tvert. « Et ça, c'est pas terrible. »


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