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Rwanda : une opposante politique présentée comme « le pire ennemi de la nation » a été condamnée à 8 ans de prison

Depuis 2010, Victoire Ingabire a fait des allers-retours en prison dans l’attente de son jugement, chaque fois reporté aux calendes grecques. Le verdict a enfin été rendu aujourd’hui, comme une mauvaise plaisanterie qui aurait beaucoup trop duré : elle...

Victoire Ingabire chez elle, bien décidée à en découdre

En août 2010 s'est tenue la deuxième élection présidentielle au Rwanda. Le général Paul Kagamé, leader du Front patriotique rwandais, au pouvoir depuis 2003, a été réélu à 93 % – un taux digne de la Corée du Nord qui s’explique par les chansons débiles à sa gloire qui passent en permanence à la radio et sa faculté à organiser des rassemblements populistes un peu partout dans le pays, un peu tout le temps. Les élections se sont déroulées dans un climat plutôt bon. Trois ou quatre grenades ont explosé au centre de Kigali, la capitale, pendant la campagne électorale, mais rien de bien méchant.

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Paul Kagamé semble avoir fait plutôt du bien à son pays – aujourd’hui, tous les citoyens sont couverts par une assurance maladie, par exemple (prends ça dans ta face, Obama). Cependant, il déteste l'idée que quelqu'un puisse un jour le déposséder de ses fonctions. Si vous lui posez la question, il vous répondra certainement que l'opposition existe et que des partis se sont présentés face à lui pour l'élection de 2010. Mais si l’on regarde de plus près, les candidats qui ont pu se maintenir face à lui avaient un programme strictement identique au sien – et surtout, étaient des anciens membres de son parti. En d'autres termes, ils semblerait que ces « opposants » aient plutôt été des alliés engagés pour jouer les figurants dans ce pantomime démocratique.

Les vrais opposants, eux, font face à quelques difficultés. Le vice-président du Parti démocratique vert, André Kagwa Rwisereka, a été retrouvé décapité dans un marais aux environs de la capitale deux mois avant l'élection de 2010. Bien qu’il n’existe aucune preuve, il semblerait que cet incident soit lié à la volonté de cet homme de déloger Paul Kagamé. Victoire Ingabire, quant à elle, leader des Forces démocratiques unifiées (FDU) et potentielle opposante de Paul Kagamé, subit depuis deux ans une forme de répression un peu différente mais tout aussi révoltante. En août 2010, elle s’est ainsi fait accuser de « complicité de terrorisme, propagation de l'idéologie du génocide, atteinte à la sûreté intérieure de l'État et création d'un groupe armé anti-Kagamé », ce qui l’a empêchée de présenter sa candidature.

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Depuis cette date, Victoire Ingabire a fait des allers-retours en prison dans l’attente de son jugement, chaque fois reporté aux calendes grecques. Le verdict a enfin été rendu aujourd’hui, comme une mauvaise plaisanterie qui aurait beaucoup trop duré : elle a été condamnée à 8 ans de prison ferme pour « menace à la sécurité intérieure du pays ». J’ai eu la chance de la rencontrer fin août 2010 pour lui poser quelques questions quant à sa situation.

Victoire Ingabire menottée et emmenée à sa cellule

VICE : Quel a été votre sentiment sur l'élection ?
Victoire Ingabire : D'abord, il faut savoir une chose, ce qui s'est passé au Rwanda en août 2010 n'est pas une élection, c'est une comédie. Le général Paul Kagamé, qui est  arrivé au pouvoir par les armes, a tout fait pour rester au pouvoir. Il a fait semblant de consulter le peuple rwandais, mais il a pris le soin d'exclure toute forme d'opposition. Il y avait quatre candidats, dont trois membres du parti de Paul Kagamé et Paul Kagamé lui-même. Tous les programmes étaient les mêmes. Dans quelle genre de démocratie un candidat se fait élire à 93 % ?

À quels obstacles avez-vous été confrontée lors de votre candidature ?
L'obstacle principal a été le général Paul Kagamé qui n'est malheureusement pas habitué à entendre des voix dissidentes. Il préfère que tout le monde dise : « Oui, Monsieur, oui, Monsieur. » Si je suis dans l'opposition, c'est que j’ai mon programme, mon projet de société à présenter au peuple rwandais. Paul Kagamé n'a pas le courage d'accepter une compétition légale, il a utilisé l'administration et la justice pour m’empêcher de participer. Je suis accusée d'être divisionniste, d'adhérer à l'idéologie génocidaire, et de collaborer avec le FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda – un groupe armé opposé à la présidence de Paul Kagamé). Ces accusations sont tombées en février 2010, six mois avant l'élection, et aujourd'hui, ils n'arrivent toujours pas à me traduire en justice.

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Que reprochez-vous à la loi contre l'idéologie génocidaire ?
Il ne faut pas utiliser le génocide à des fins politiques. Aujourd'hui, on n'a plus le droit de faire la différence entre Hutus et Tutsis ou Twas. Mais ce n'est pas l'existence d’ethnies qui pose problème au Rwanda, ce sont plutôt les hommes qui les dirigent. Il faut savoir de quel système de gouvernance nous avons vraiment besoin pour vivre en paix. Je ne suis pas d'accord avec le fait d'imposer une loi comme la loi d'idéologie génocidaire, pour empêcher l'opposition de parler et le peuple de s'exprimer sur un problème de fond. Le discours de Kagamé sur l’unité est simpliste : « Nous sommes tous Rwandais. » C'est vrai, mais il ne faut pas demander aux gens de nier leurs origines ethniques. La stabilité du Rwanda est basée sur la répression. Manifestation pour la libération de Victoire Ingabire Quel serait votre projet pour le Rwanda ?
Aujourd'hui, 95 % de la population travaille dans le secteur agricole. Il faut créer de nouvelles activités et réorienter la population vers d'autres secteurs. Par dessus tout, il faut que le Rwanda cesse d'empiéter sur les richesses congolaises afin d'épargner la vie de Congolais innocents. On peut utiliser nos propres ressources pour développer notre pays. Nous devons offrir des services aux pays limitrophes, au lieu de piller leur sol.

D’accord. Mais vous ne pensez pas que Paul Kagamé a fait progresser l’économie du Rwanda ?
Je vais vous dire : il y a eu du progrès, mais l’essor de l'économie s’est limité à la capitale, Kigali. La majeure partie du pays est composée de paysans qui vivent encore dans la pauvreté. Et cet essor est le résultat du pillage en République démocratique du Congo. L'économie rwandaise a coûté 5 millions de vies congolaises. C'est une chose qu'on a tendance à oublier. Ce n'est pas aux investisseurs étrangers que l'on doit ça, mais au pillage des richesses du sol congolais. Si on développe le Rwanda avec le sang des Congolais, vous pensez vraiment qu’on construit un avenir sain pour notre pays ?

Que préconisez-vous ? Un soulèvement populaire contre le gouvernement en place ?
Pas exactement. J'ai demandé au peuple rwandais de mener une résistance pacifique contre la dictature du président Paul Kagamé. Cet homme se vante d'apporter développement et stabilité à son pays tout en violant les droits fondamentaux de son peuple. Nous voulons continuer à lutter contre ce régime dictatorial jusqu'à ce qu'on arrive à instaurer une démocratie basée sur la liberté des citoyens.

Comptez-vous vous présenter en 2017 ?
Nous allons continuer à lutter pour que notre parti soit enregistré. Si nous y arrivons, nous nous préparerons aux élections parlementaires, sénatoriales, régionales, et évidemment aux présidentielles de 2017.