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RIP, les hommes : la nécrologie d’un sexe éteint

Plus que les hommes au foyer, l'ultime balle tirée dans la virilité de l'homme se nomme « porte-bébé ».

Lecteurs, assurez-vous d'être bien assis. S'il vous plaît. J'ai une terrible nouvelle à vous annoncer. Ça faisait un bout de temps que la rumeur circulait, mais il semblerait que ce ne soit pas un de ces hoax du web 2.0. Un peu plus tôt cette semaine, le genre masculin se serait éteint dans un tragique accident. La nouvelle n'a pas encore été confirmée par les autorités, mais à en croire Hanna Rosin, une universitaire américaine qui connaissait bien les hommes et qui a signé The End Of Men, mon peuple vient de rendre son dernier souffle.

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Et avant que vous ne posiez la question, non, ce n'est pas la même chose que quand Nas a déclaré que le hip-hop était mort (d'ailleurs juste après Sulja Boy s'est payé un jet privé). Hanna semble catégorique : même si la gent masculine n'a en réalité pas encore tout à fait disparu, ses protagonistes mènent actuellement une campagne active pour avoir le droit de crever. Leurs proches essaient en ce moment par tous les moyens de les débrancher, lassés d'avoir à prendre soin de ces créatures qui chouinent.

Vu que je connais plutôt bien les hommes, j'ai décidé de leur composer une sorte d'éloge funèbre, pour expliquer non seulement combien ils me touchent (pas de cette façon là, hein), mais aussi comment ils en sont arrivés à connaître une fin aussi tragique.

LES HOMMES (Date à déterminer – aux alentours du 10/03/2012)

Pour ceux d'entre vous qui ne me connaissent pas, je m'appelle Clive Martin et j'étais un ami proche des hommes. C'est donc avec une profonde douleur que je commémore leur disparition. Même s'ils sont présents sur Terre depuis ce qui semble être une éternité, j'ai tout de même l'impression qu'ils sont partis bien trop tôt.

C'est difficile d'admettre qu'un tas de mecs aussi géniaux se soient volatilisés de la surface de la Terre au simple contact des doigts d'Hanna sur un clavier d'ordinateur, mais il nous faut l'accepter pour mieux nous en détacher. Ne levons pas les yeux au ciel pour interroger le Créateur dans un « Pourquoi ? » aussi pathétique que déchirant. De toute façon c'est une question sans réponse. Ne pleurons pas à gros chaudrons la perte de notre père ; frère ; fils ; mari ; ami ; amant ; DJ ; plombier ; facteur ; tyran ; brigand ; vieux rebeu qui met son plus beau costume pour aller jouer au PMU le dimanche ; Pape. Aujourd'hui, il s'agit de leur rendre hommage, à eux et à la façon dont ils ont égayé nos vies.

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J'ai côtoyé mon premier homme très peu de temps après ma naissance – je pourrais même avancer que l'un d'eux m'a en partie élevé. Dans un de mes plus vieux souvenirs, je rampais avec difficulté sur la moquette du salon vers un homme, mon père, dans la plus profonde indifférence.

Ça peut sembler débile de dire ça maintenant, vu les super potes qu'on est devenus, moi et les hommes, mais au début, ils m'intimidaient vachement. J'étais effrayé par leurs voix tonitruantes, par les étranges danses qu'ils entamaient quand ils avaient bu du Boddingtons (oui, je suis anglais) et par leur regard lorsque Jet, de Gladiators, apparaissait à la télé. J'étais fasciné, intrigué, et légèrement inquiet. Ah, les hommes.

Mais après avoir vécu des années dans l'épouvante, l'effroi et la peur, je suis devenu plus occupé, poilu et déprimé. Et j'ai commencé à comprendre. En fait, ils étaient exactement comme moi. Eux aussi, ils bavaient en dormant, étaient ronchons quand ils avaient faim et faisaient les cons pour attirer l'attention des autres. Et aussi, j'ai réalisé que, comme moi, ils adoraient les nichons.

Ç'a été une découverte capitale dans ma relation longue et compliquée avec les hommes, et au final, l'idée jusqu'alors inconcevable d'intégrer leur gang m'a semblé relever de moins en moins de l'ordre du fantasme. Un jour, je suis devenu pote avec eux.

J'ai passé mon adolescence à essayer de devenir une de ces somptueuses créatures, mais du jour au lendemain, ce n'était plus mon prof de judo ni le pote de mon père qui m'ont servi de modèles, mais des types beaucoup plus cool, comme Tom Hawk, Michael Jordan ou Batman. Ils n'étaient pas vraiment à l'image des hommes que je fréquentais au quotidien, bien plus des icônes machistes et courageuses.

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J'ai grandi dans ce monde à moitié réel. Je passais tout mon temps à exercer mes kick-ups, à porter des coudières chez moi et à essayer de « fissurer l'atome » sur mon yo-yo Viper – en somme, j'essayais de faire coïncider ces Dieux avec des hommes normaux. Mais après des années passées à me faire jeter des équipes de football et me péter la clavicule, une brusque prise de conscience est venue assombrir le tableau de mon existence : jamais je ne serais un homme.

D'Antoine et Cléopâtre à Ant & Dec, toutes les grandes relations ont leurs vicissitudes. À l'adolescence, le monde masculin et moi-même avons eu nos problèmes. C'était normal que j'explore d'autres possibilités. J'avais l'impression que je n'étais peut-être pas obligé de finir comme eux. Un jour – par accident – j'ai vu un type se masturber sur une vidéo qui mettait en scène exactement le genre de filles que les hommes se sont mis à ne plus calculer le jour où ils ont épousé leur femme, intégré une équipe de foot prestigieuse et commencé à exiger de goûter la bière avant de la commander.

J'ai mis de l'eyeliner histoire de me sentir femme. J'ai même acheté un album de Jeff Buckley. Hélas, même les relations les plus solides connaissent un jour ou l'autre une traversée du désert.

Dieu merci, les doutes n'ont pas subsisté longtemps. Après plusieurs mauvaises expériences d'identification avec le sexe féminin – et la poésie –, j'ai commencé à réaliser que je resterais, quoi qu'il arrive, un homme. Inutile de lutter, aucun moyen d'y réchapper, tout comme il était inutile de me forcer à en devenir un. Un peu comme ces gens dépressifs qui ont l'air d'être nés pour être dépressifs. Devenir un homme est un processus naturel, c'est un truc qu'on pige en réparant son premier fusible ou en mettant son premier coup de boule au videur d'une boîte de nuit.

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Un jour vous sortez votre plus belle plume et écrivez un sonnet à une fille qui éclate de rire en le lisant, et le jour d'après vous vous explosez le crâne à la tequila avec des étudiants américains dans un bar qui diffuse des matchs de foot sur des écrans géants. Vos icônes ne sont plus Keats et Yates, maintenant c'est Springsteen et Dyer. Vous avez abandonné ; que ça vous plaise ou non, vous êtes devenu un homme.

À présent, j'erre seul, comme le dernier représentant de mon espèce. Mon genre est mort et enterré dans une tombe pourrie sur laquelle est inscrit « Mecs ». Et dans cette histoire, je pense que s'il faut blâmer quelqu'un, c'est nous-mêmes. L'homme est devenu has-been depuis le début du XXIème siècle. L'arrivée des vibromasseurs, des fécondations in vitro et de ce nouveau genre d'idéal platonique plus connu sous le nom de « Ryan Gosling » nous ont rendus, nous qui jadis étions primordiaux, sans importance.

Ne l'oublions pas, c'est nous qui avons donné naissance à ce qui nous détruit. Nous sommes tous des Oppenheimer en puissance, nous sommes devenus des destructeurs d'hommes. Quelques femmes se sont accrochées, mais seulement par nostalgie ou parce qu'elles ne font pas confiance à la technologie. Faire l'amour avec des hommes, aujourd'hui, c'est un peu comme porter des chapeau haut-de-forme de merde ou tricoter des napperons en dentelle qui ne servent à rien, sinon à encombrer un peu plus la maison.

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Plus que les hommes au foyer, l'ultime balle tirée dans la virilité de l'homme se nomme « porte-bébé », tant et si bien que coller un procès au nom de la virilité aux fabricants de porte-bébés aurait été légitime. D'un coup, les seuls hommes qu'on peut croiser dans la rue ressemblent à un croisement entre une maman kangourou et un kamikaze avec son explosif arrimé au torse, menaçant d'appuyer sur le détonateur si un bar s'approche à moins de 15 mètres – sachant que les bars ont déjà été destitués de toute leur puissance virile par les rencontres littéraires autour de 50 Shades Of Grey.

C'est une tragédie, oui, les hommes ont été arrachés au souffle de l'existence. Mais il ne faut pas chercher à se venger de Hanna Rosin, elle endosse déjà un terrible rôle, celui du messager. Le messager qui doit annoncer à une famille noyée dans le désespoir la perte d'un être aimé. Ce n'est pas sa faute, c'est la faute des porte-bébés. Je suis sûr que si les hommes étaient encore de ce monde, ils feraient comme si de rien n'était, raconteraient un tas d'anecdotes et boiraient des bières.

À vous les hommes, je chérirai éternellement ces moments passés ensemble, tout en avançant prudemment dans ces nouveaux champs remplis d'œstrogènes.

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FIN.