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reportage

Ce que j’ai vu du monde littéraire français en publiant mon premier roman

Lectures, plateaux télé, défonce au Lexomil : dans ma nouvelle vie de micro-célébrité.

« Bonjour, je suis Stéphanie, des éditions Don Quichotte. Je viens de jeter un œil sur votre blog ; j'aime bien ce que vous écrivez. Il paraît que vous avez un manuscrit sous le coude. »

En effet, au moment où ladite Stéphanie m'appelle, j'ai un manuscrit sous le coude. Ça s'appelle Le Boss de Boulogne, c'est un roman très sombre dont la trame se déroule au Bois de Boulogne, dans le milieu des toxicomanes et des travailleurs du sexe et où se côtoient transsexuels et travelos, gigues, talonneuses et shlags en phase terminale.

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À ce moment-là, nous sommes en juin 2012. J'ai 28 piges et je passe un cap dans ma vie de scribouillard. Blogueur, je suis en phase de devenir auteur édité, romancier – le Graal pour un mec comme moi. Je vais peut-être concrétiser un rêve de gosse, booster mon amour-propre, brasser des lovés, serrer masse de meufs et taper de la coco sur des derches de porno stars.

Édité. Un terme bandant pour tout aspirant auteur pourvu d'un minimum d'ego.

De fait, je m'enflamme. Je surkiffe, mais je sais aussi que pour l'heure, ma carrière n'est pas lancée. J'ai la chance de m'être fait pas mal fister dans ma vie d'écrivaillon débutant et ma méfiance est telle que je ne crois plus aux promesses orales, seulement aux contrats écrits et signés. Tant qu'aucun papelard officiel ne m'est passé sous le zen, je ne débouche pas la bouteille.

Je balance donc mon roman aux éditions Don Quichotte. La taulière me recontacte une semaine plus tard pour me fixer un rencard dans son bureau du cinquième arrondissement. Je ne me fais pas prier. Je me pointe à la maison d'édition où pour la première fois de ma life, quelqu'un que je ne connais pas – une « assistante » – me propose un café. Je rencontre ma future éditrice. Elle a lu mon roman, elle souhaite me publier, mais me demande un truc : retaffer mon bouquin.

Et merde.

Je vais encore devoir charbonner sur ce putain de roman que je gratte depuis deux piges et que je ne peux plus blairer. Mais en vrai, je n'ai pas le choix. De fait, pendant deux mois non-stop, je turbine comme un Noich. Je flingue mes mois de juillet et août, reste cloîtré chez moi à approfondir mes persos secondaires, épurer le manuscrit, aiguiser mon style, virer des lourdeurs. En septembre, je renvoie le Boss de Boulogne à mon éditrice. Je ne tarde pas à recevoir un mail de sa part : « On signe. »

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Ça y est. Ce n'est peut-être pas grand-chose mais j'ai largué mes tripes dans ce roman. Pour moi, c'est énorme. Enfin, je vais serrer masse de zouzs, palper de l'oseille, taper des traces de chnouf sur des boulards de stars porno. Chanmé ! Le soir où je signe le contrat, je me souviens avoir fait la fête comme jamais. Je me suis buté au whisky, à la C, à la MD, au shit. Je me suis flingué la tête à la limite de l'OD en compagnie de mes colocs. Je suis tombé malade le lendemain, à force d'avoir souillé mon corps. Écrivain, je peux maintenant crever. Je ne me sens plus pisser.

L'auteur, à la suite d'un combat de boxe en Thaïlande, vient terrasser un mec par K.O.

Direct, j'annonce la nouvelle sur les réseaux sociaux. « C'est officiel, mon roman paraîtra le 14 janvier prochain aux éditions Don Quichotte. » Des fomblards me prennent pour un mytho. Pour certains, je suis le foncedé, l'ancien boxeur hydrocéphale ou le blogueur qui écrit avec ses chlops. Qu'à cela ne tienne, la revanche est mon carburant ; je peux aujourd'hui remercier ceux qui depuis le bahut m'ont chié à la gueule, à commencer par Monsieur Raveneau, mon prof de maths qui à onze piges, me traita de « pauvre connard qui balayera les chiottes ».

Les choses arrivent vite. On me présente Christelle, mon attachée de presse. À ce moment-là, j'ignore ce à quoi sert un attaché de presse. Obligé d'aller pécho la définition sur Internet. Une copine, blogueuse littéraire, me suggère de lui envoyer un SP – service de presse – et moi, je lui demande, évidemment : « C'est quoi un SP ? » Ma srab se fout de ma gueule. J'y connais vraiment que dalle. Mais je suis là, je découvre un peu le milieu littéraire, et le jargon qui va avec.

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Je dédicace mes livres à des gens que je ne connais pas, et à d'autres dont je connais le blase : Naulleau, Ardisson, Taddéï. En guise de dédicace, je dégaine toujours la même punchline. « En vous souhaitant une agréable lecture et plongée dans le Bois de Boubou ». Je n'ai jamais été fortiche pour les cace-dèdes, elles me foutent mal à l'aise.

Puis les premiers retours sur mon roman me parviennent. J'avoue que ça fait chelou. On me lit, moi qui n'avais lâché Le Boss de Boulogne qu'à une clique restreinte de potes. Fait étrange, des experts autoproclamés ne se gênent pas pour me filer des conseils littéraires : « Ouais, au niveau du jargon, c'est un peu too much », « t'aurais dû faire ceci… », « t'aurais dû faire cela… » Niquez vos morts. Bien sûr, je tombe aussi des gens bienveillants, gentils, qui ne me connaissent pas forcément mais m'encouragent. Pour la première fois, on me juge.

J'ignore quelle posture adopter. En fait, je me défonce du soir au matin et commence peu à peu à me la raconter. Je me sens à la fois fier et flippé comme jamais.

Le 14 janvier 2013, Le Boss de Boulogne débarque en librairie, et la promo débute. Je me retrouve le soir de la sortie du roman, au micro du Mouv'. En stress total, je me suis bourré la gueule au pastaga avant de rejoindre les locaux de Radio France, où j'ai gobé un demi-cacheton de Lexomil. On me présente comme écrivain. On me pose des questions auxquelles je suis infoutu de répondre. Expéditif, je veux faire vite, par flippe d'endormir les auditeurs avec trop de détails. Mauvais client, je réponds via les mots « ouais » ou « nan » aux questions posées par les présentateurs.

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Je quitte le plateau épuisé. Je reçois une pluie de textos : « Bravo, t'étais chanmé ! », accompagné des traditionnels « t'aurais dû dire ceci, t'aurais dû dire cela ». Un pote ose m'envoyer « faut que je te donne des cours de com' ». Un autre exprime sa déception devant mon calme et mon sérieux pendant l'émission. Manifestement, on s'attend à ce que je fasse le golio de service. Car il y a une différence fondamentale entre mes textes et moi, entre mes écrits et qui je suis, même si je laisse souvent planer un flou entre les deux.

Je vis assez mal la promo. Je passe de l'anonymat à une visibilité qui ferait kiffer tout primo-romancier, mais je galère à gérer ce trop-plein d'émotions. En fait, l'impression est assez paradoxale : on parle de mon œuvre, ce qui est gratifiant, mais en parallèle, mon image est exposée au public : on me pose des questions persos. J'ignore quelle posture adopter. En fait, je me défonce du soir au matin et commence peu à peu à me la raconter. Je me sens à la fois fier et flippé comme jamais.

Une caricature relativement ressemblante de l'auteur.

Mon attachée de presse m'apprend que je suis l'invité d'Éric Naulleau dans son émission Ça Balance à Paris, sur Paris Première. Je réagis direct : « Mais putain, je vais me faire défoncer. » Je connais la réputation de Naulleau. C'est un type dur et pas suce-boule pour un sou. Je flippe à mort avant l'émission, pile un demi-cacheton de Lexomil pour me l'envoyer dans le zen, fume un splif et me glisse deux pintes de Kro dans la gueule.

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Pendant l'émission, je suis tétanisé. Je suis dans le cosmos, incapable d'en placer une face aux quatre chroniqueurs. Pourtant, il s'avère qu'ils ont kiffé mon bouquin. Moi qui jusqu'alors ne pouvais pas saquer Naulleau, je me mets à l'apprécier. Il m'a invité, moi, un jeune auteur inconnu au bataillon – ce type ne peut-être que réglo. Je quitte l'émission, lessivé. Une journaleuse m'incitera à tailler le présentateur, « ce bobo égocentrique », mais elle pourra se brosser jusqu'à l'os. Je ne suis pas le genre de chméta à cracher dans la soupe.

La promo diminue peu à peu. Je me retrouve à promener l'équipe de l'émission Paris Dernière dans le Bois de Boulogne, pété à la chnouf et au sky. Invité à des soirées sur Paname, je rencontre du people, des journaleux, des gens de la télé, des artistes, les frères Bogdanov. Je n'ai jamais kiffé les mondanités, ni cru en leur utilité. Mais dans ce genre de rapta, on bouffe gratos, on tise gratos et soyons honnêtes, ces soirées me donnent l'impression de devenir quelqu'un, quand bien même ce serait un trou de fiacre mal torché.

La promo d'un bouquin dure environ un mois. Après quoi, l'auteur retombe dans l'anonymat. Ça y est : on s'en bat les steaks à nouveau de ma gueule. Certains romanciers vivent mal l'après-promo, moi pas. Mon livre m'a ouvert les portes de l'édition, j'adore mon chafra, découvre un nouveau monde, sans avoir à supporter cette relative exposition médiatique.

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Souvent, je me sens teubé dans ce milieu. Les mecs sont cultivés : ils ont tout lu, te sortent des références de ouf et moi, comme un gland, je hoche la tête et fais mine de piger, y compris quand je ne bite rien.

Convié à une autre soirée organisée par Paris Première, j'essaie d'intercepter Naulleau. Le présentateur me fout un zef monumental. Merde, je voulais juste le remercier pour son invite à Ça Balance à Paris, pas lui sucer la trique. D'un coup, je n'intéresse plus mon éditrice, ni les journaleux, ni plus grand monde. Game-over.

Truc intéressant, on m'invite quand même à des raptas littéraires. J'y croise des personnalités intéressantes, passionnées, et aussi des pros de la branlette, infoutus de s'exprimer simplement, qui ne pénavent pas sans métaphores, hyperboles et tout le bordel. Souvent, je me sens teubé dans ce milieu. Les mecs sont cultivés : ils ont tout lu, te sortent des références de ouf et moi, comme un gland, je hoche la tête et fais mine de piger, y compris quand je ne bite rien.

Je participe aussi au salon du livre d'Arras, passe ma journée à me tourner les pouces, postiché à une table, une pile de livres sous le pif. En huit plombes de temps, je dédicace deux romans et lâche cinq sourires. Je n'existe plus. Par contre, je bouffe à l'œil et me bourre la gueule comme un Polak, entouré d'une écrivaine syndicaliste et d'un philosophe. On se marre bien, j'apprécie ces petites sessions chaleureuses.

Il me faudra attendre une pige et demie avant de réapparaître dans le paysage littéraire avec un second roman, « Phi Prob », une aventure mystique dans les bas-fonds de Bangkok. L'histoire se répète – je déboule pendant la rentrée littéraire, braquemart en main. Plus apaisé, j'appréhende mieux la promo, me calme sur les substances, baragouine un peu moins de conneries aux journaleux.

Je perds l'étiquette de primo-romancier, on me chouchoute moins. Les nouveaux venus bénéficient d'une certaine clémence de la part des critiques, les autres doivent s'accrocher pour rester dans le biz.

Aujourd'hui, je m'installe peu à peu dans le milieu. La fight commence.

Johann écrit des livres, il a aussi un blog et un Twitter. Il publie ses fictions aux éditions Don Quichotte.