FYI.

This story is over 5 years old.

ON A PARLÉ CHIFFONS AVEC JOHN WATERS

On a tous une idole qui nous donne encore l'espoir de ne pas finir comme nos parents. Mais ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de les rencontrer. C'est précisément ce qu'il m'est arrivé la semaine dernière, quand j'ai vu mon idole - le réalisateur/écrivain de 64 ans John Waters, sacré « le Pape du Trash » par William Burroughs – alors qu'il était en train de promouvoir son dernier livre, Role Models.

Publicité

Waters a dit que son livre rendait hommage aux personnages qui l'ont aidé à se construire. Que ce soit des personnes réelles ou fictives, comme Rhoda Penmark dans le film d'horreur La Mauvaise Graine ou le Capitaine Crochet. Il paraît que c'est difficile d'affronter la vie quand la majorité de tes idoles n'existent pas, et quand les autres sont des créateurs de mode comme Rei Kawakubo. À part ça, Waters nous a donné des conseils mode pour faire en sorte de ne jamais vieillir et semble s'attacher à donner une nouvelle crédibilité au mot « hilarant ».

Vice : Les gens vous reconnaissent dans la rue ?

John Waters : Aujourd'hui, les gens ne me reconnaissent plus tant que ça. Avant, ils étaient plutôt surpris de voir que je n'étais pas un taré toxicomane.

Mais vous êtes arrivés depuis longtemps à un stade où tous les moments extrêmes de vos films – que ce soit des bébés adultes ou des mangeurs d'excréments - sont acceptés. Les gens éprouvent toujours de l'antipathie envers vous ?

Si tu fais rire les gens, ils finiront par t'écouter. Ils auront beau être en désaccord avec toi au début, tu peux au moins essayer de leur ouvrir l'esprit. L'humour, c'est comme la politique, et c'est aussi mon arme la plus précieuse. Je ne me suis jamais fait frapper, parce que les brutes de mon école savaient très bien que je détestais encore plus les autorités qu'eux. Ils avaient peur de moi parce qu'ils croyaient que j'étais fou.

Publicité

Depuis votre premier film Mondo Trasho qui est sorti en 1969, on voit clairement que vous avez une conception punk du monde. Ça a dû être un soulagement pour vous quand le punk est arrivé.

Au départ, je ne savais pas vraiment ce que c'était, mais j'étais très heureux. Et soulagé. Un de mes amis vivait avec Adam Ant, avant que ce dernier ne devienne l'Adam Ant qu'on connaît. Il nous a emmenés voir un concert des Sex Pistols. C'était avant que le punk ne devienne un gros truc, et c'était génial. Johnny Rotten en tant qu'icône punk, m'a énormément influencé.

Il y avait beaucoup de punks gays ?

Ouais, mais ils se cachaient. Il y en avait plein aux États-Unis. Entre les goths et les punks, c'était l'endroit idéal pour les marginaux. J'ai toujours dit que c'était parfait pour une fille moche de devenir goth, parce qu'on ne peut plus voir qu'elle est moche. J'appelle ça les « faux moches ».

Pas mal ! Vous avez d'autres astuces comme ça ?

J'aime bien l'idée du « faux vieux », quand tu es jeune et beau. Pour anticiper la vieillesse, il suffit de rattraper la nature. Dessinez-vous des poches sous les yeux, faites-vous une fausse calvitie, comme ça vous ne serez jamais vieux.

Qu'est-ce que vous pensez de la chirurgie esthétique ?

J'aime Photoshop. Demandez à n'importe quel type de 64 ans. Je regarde des magazines parfois et certaines photos de moi me rendent nostalgique. Je ne me reconnais pas, et c'est génial ! Et cette appli sur iPhone qui rend gros ? C'est du génie. J'aimerais une appli qui rend jeune, et une qui rend vieux. Améliorez votre apparence, mais n'essayez pas de ressembler à quelqu'un d'autre. Est-ce que vous avez vu cette exposition sur la mode japonaise à Londres ? Il y avait des robes avec des prothèses de faux ventres, le genre de petit ventre dont les gens essaient de se débarrasser en allant à la gym. C'est exactement ce que je voulais dire. C'est hilarant.

Publicité

Vous pensez que je devrais me débarrasser de ma moustache ?

Non, je trouve que c'est très mignon les moustaches. Toutes les femmes devraient en avoir une. Partout, on trouve des produits pour les épiler, mais je ne vois pas le problème. Vous devriez voir les jeunes drag kings lesbiennes aux États-Unis - elles ont des barbes tellement longues qu'elles peuvent les tresser ! Elles ressemblent à Elvis et je les trouve géniales.

Dans votre nouveau livre, vous dites énerver vos amis plus que vos parents quand vous vous mettez à parler de mode. Qu'est-ce que vous n'aimez pas dans la mode ?

Les jeunes sont trop occupés à bloguer pour s'habiller ! Et cette obsession pour la nostalgie, pouah. J'ai l'impression que tout le monde se ressemble. Par contre, il y a cette petite fille, je ne me rappelle plus de son nom, celle qui tient un blog mode. Hmm, Tavi ? Je ne sais pas si elle est douée, mais j'aime ses idées. Elle a genre six ans, et elle se teint les cheveux en gris, elle ressemble à une petite vieille. Je ne sais pas si elle voulait donner une impression de « fausse vieille » mais c'est hilarant. À part ça, il n'y a que deux choses que j'interdis aux filles qui travaillent pour moi : mâcher des chewing-gums et porter des jupes longues en denim à patchwork. Est-ce qu'on peut faire plus laid ? Je ne pense pas.

Mon père m'a dit un jour qu'avoir du succès, c'était pouvoir emmener des taxis n'importe où. Pour vous, le succès, c'est ne pas être entouré de cons. Et les transports en commun dans tout ça ?

Publicité

Ah ! Je pense que c'est la seule façon d'apprendre à connaître une ville, et c'est le seul passage de mon livre qui a été controversé. J'ai écrit que les transports en commun de San Francisco étaient bien, et les gens ont eu des réactions très excessives. Mais vous savez, plus personne ne s'énerve contre moi, même quand j'ai plaidé en faveur de la libération d'une des tueuses de la « famille » Manson - mon amie Leslie van Houten.

Parce que vous aviez raison ! Vous êtes reconnu pour le côté choquant de votre boulot, mais vous semblez tout à fait moral. Qu'est-ce qui vous offense ?

Les préjugés. Les gens qui n'aiment pas qu'on blague sur eux, la politique, et les gens qui veulent rétablir la ségrégation. On ne devrait pas voter sur ça. C'est un droit, et ces juges sont des criminels.

Qu'est-ce que vous feriez si vous étiez maire pendant une journée ?

Je voudrais que tout ressemble à Comme des Garçons. Vous prenez un avion, et vous savez déjà qu'il y aura une turbulence. Vous allez dans un taxi, et le compteur se dérègle. Rei Kawakubo crée un hôtel, et il n'y a aucune chambre de libre. Et si vous essayez de vous glisser dans les draps, vos pieds les déchirent. Et bien sûr, l'eau chaude et l'eau froide sont inversées, et se remettent à sortir du bon robinet au dernier moment, ha !

Très bien. Quelles sont vos icônes de mode ?

La plupart sont mortes ou fictives. Le Capitaine Crochet m'a influencé très tôt. Avant, je faisais dépasser un cintre de ma manche, et même encore aujourd'hui, j'adorerais avoir un crochet. Il y a aussi Patty McCormack, que j'évoque dans mon livre, son personnage dans La Mauvaise Graine. Tout ce que mes parents détestaient, et Elvis aussi. Mais je n'avais pas de cheveux assez beaux. Ah, les cheveux, les rockabillys, c'est exactement pour ça que j'ai fait Cry Baby. Tout ce que tes parents détestaient, c'était le vrai style. J'imagine que c'est plus dur de chier sur ses parents aujourd'hui parce qu'ils ont le même look que les hipsters.

Publicité

Vous avez l'air de ne pas trop aimer vos parents.

Il y avait de quoi se rebeller. J'étais un vrai cauchemar, mais j'ai mis du temps à grandir. Je détestais l'école. Si on voit ce que sont devenus les gosses qui étaient populaires et beaux à l'école, on constate qu'ils sont tous devenus moches et sans intérêt. Aujourd'hui, les agences de mannequins vont à travers le monde pour cueillir les freaks grands et maigres directement dans leurs écoles. Mais c'était différent à l'époque.

Vous avez dit que vous étiez plus apte à juger un criminel sur sa tenue que sur son crime, et vous consacrez un chapitre entier de votre livre à votre amour de Comme des Garçons. Considérez-vous la mode d'aujourd'hui comme étant prétentieuse ?

Rei Kawakubo a inventé le look qui donne aux gens l'air d'avoir piqué leurs fringues dans des friperies. C'est une artiste, et elle n'essaie pas particulièrement d'être drôle, mais elle fait preuve d'esprit. Mon père ne comprendrait jamais cette blague, il me demanderait « T'as vraiment acheté ça ? ». Je porte ces choses dans des bars en bas de chez moi et les gens ne devinent jamais que j'ai payé une fortune pour ça. Ça me fait rire. Mais je pense que c'est la jeunesse qui rend les dernières modes prétentieuses. Quand j'étais jeune, je portais ce que je pouvais m'offrir. Quand on a plus de quarante ans, on s'aide comme on peut. Je débourse une fortune pour des fringues que des pauvres seraient gênés de porter. Porter Comme des Garçons, c'est porter une grande marque de mode, mais sans prétention. Et c'est la clé, c'est à l'opposé du nouveau riche.

Publicité

Vous êtes le client parfait.

Je ne pense pas qu'ils aient beaucoup de clients fidèles. Il y a des fringues que la plupart des gens ne porteraient pas si on leur donnait gratuitement. J'ai porté des costumes qui me donnaient l'air ridicule, et qui me gênaient quand je me regardais dans le miroir. Combien de gens peuvent en être fiers ? Je sais qu'à chaque saison, toute la collection est envoyée à une femme qui vit dans l'Arkansas. Elle a l'air de s'en foutre. Imaginez combien elle pourrait en tirer lors d'une enchère.

Est-ce que des employés de pressing ont essayé de « réparer » vos vêtements Comme des Garçons ?

Oui. Et je ne peux pas leur en vouloir. Ils ne comprendraient pas si je leur expliquais que les vêtements ont été conçus comme ça et qu'ils coûtent une fortune. Est-ce que vous avez déjà lu leurs précautions de lavage ? Elles sont encore plus difficiles à comprendre que la théorie de la relativité.

Vous faites des films, des livres, de l'art contemporain, vous n'avez jamais essayé d'être styliste ?

Non, mais dans mon livre je détaille des idées que j'aimerais que Rei dessine. Un maillot de bain, ce qu'elle n'a jamais fait. J'aime bien l'idée d'un maillot de bain qui donnerait l'air aux gens d'avoir pris un énorme coup de soleil. Et une cravate qui serait déjà tachée, parce que c'est très dur d'enlever des taches de soupe sur une cravate. C'est dur d'emmener une cravate au pressing parce que ça finit toujours par coûter plus cher que la cravate en elle-même.

Publicité

Quels sont vos projets à venir ?

Je travaille sur un film qui s'appelle Fruitcake, que je ne peux pas finir à cause de la crise.

Vous devriez faire un retour aux sources. Vos premiers et vos meilleurs films - à mon humble avis - ont été réalisés avec quelques dollars empruntés à votre père.

Ce serait être un « faux jeune » ! J'étais un gamin très énervé à l'époque, je venais d'arrêter les cours et je n'avais rien à perdre. Je dois faire un peu plus attention maintenant - beaucoup de gens travaillent pour moi et doivent aussi gagner leur vie. Mais si je ne peux pas faire d'autre film, ça ne me dérangerait pas. J'ai des livres à écrire, et de l'art à faire.

Vous avez toujours fait attention au business ? Vous avez dit que les Dreamlanders avaient trouvé leur « capitaliste intérieur » et arrêté d'être des délinquants juvéniles après le succès de Pink Flamingos.

Pour moi, Bobby Picket incarne la carrière parfaite. Il a écrit une chanson, « Monster Mash », et il n'a jamais eu à se soucier d'autre chose. Quelle vie. Tout est question de stratégie. Si vous devez être entouré de connards, servez-vous d'eux !

Vous essayez toujours d'être controversé, en fait.

On ne peut pas choquer les gens quand on essaie trop. Les choses les plus choquantes ne sont ni drôles ni intéressantes. Une personne m'a envoyé un mail qui raconte ce que sa sœur lesbienne a fait pendant Thanksgiving. Apparemment, elle a dit à table qu'une chatte avait le même goût qu'un cul. Hilarant.

INTERVIEW : CHARLET DUBOC

PHOTOS : KITTY WALKER