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Vice Blog

Quelques questions à Christian Lombardi, l'auteur de la Mauvaise Merde

La semaine dernière on a passé un coup de fil à Christian Lombardi, le photographe officiel du général bolivien Hugo Banzer à la fin des années 1990. C'est plutôt impressionnant comme CV, surtout quand on sait qu'il a débuté sa carrière en France en tant que fossoyeur. Pour le numéro de photo de cette année, Lombardi nous a envoyé les photos qu'il a prises alors qu'il se déplaçait avec l'Unité de police mobile de la région de Cochabamda, à la recherche des narcotrafiquants de la région.

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VICE : Hey Christian, comment t'as atterri en Bolivie ? Tu viens pas du tout de là-bas, si ?

Christan : Non. Je suis issu de la seconde génération d'Italiens nés en France. Je suis de Nice en fait, et je me suis retrouvé en Bolivie complètement par hasard. J'ai été volontaire dans l'Armée de l'Air française pendant deux ans ; je bossais sur un site d’expérimentations nucléaires à Moruroa, d’abord en tant que conducteur de bus, puis comme pompier. Quand j'ai fini ces missions, j'avais deux mois de vacances devant moi, et je ne savais pas trop où aller - j'hésitais entre l'Australie et l'Amérique du Sud. J'ai joué à pile ou face, et c'est l'Amérique du Sud qui a gagné. Je suis allé dans le désert au nord du Chili ; ça faisait longtemps que j’avais envie d'y aller, depuis l'époque où je fumais de l’opium. J'ai demandé à la proprio de l'auberge de jeunesse dans laquelle je logeais ce qu'elle pensait de la Bolivie, et elle m'a raconté plein de trucs incroyables sur le pays. Du coup, j'ai voulu y aller pour voir par moi-même.

Et alors, c'était comment ?

J'ai traversé l'Altiplano. C'était complètement désert et les nuages étaient énormes.  Puis je suis allé dans les villes, où tout était en bordel. J'avais l'impression d'être dans un pays complètement fou, où rien n'était cohérent, où les lois n'existaient pas. C'était un chaos total, mais les autochtones s'en sortaient très bien. J'ai baisé avec des femmes magnifiques sans avoir à faire le moindre effort. C'était le paradis. Je suis rentré en France pour me désengager de l'armée et un an plus tard, je me suis installé en Bolivie.

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J'ai lu quelque part que vous t'as été fossoyeur en France.

Ouais, en effet. Je devais nettoyer les corps à la morgue, déterrer de vieux corps des cryptes, ce genre de trucs. Quand je me pointais dans un café, les gens se barraient parce que je puais la mort. J'ai appris une chose en particulier, je l'ai même fait tatouer sur mon bras : « Requiem quia pulvis es et in pulverem reverteris » (« Souviens toi que tu es poussière, et que poussière tu retourneras. ») Les morts, qu'ils soient riches ou pauvres, sont les mêmes pour moi. La seule différence, c’est qu’il y a des gens qui partent en paix, d’autres dans la frustration. La plupart des morts ont comme une expression furieuse sur le visage, un genre de rigidité. Un jour, je m’occupais du corps de cette vieille femme, et au contraire elle avait un grand sourire, comme si ses dernières pensées avaient été « je m'en vais en paix, que tout le monde aille se faire foutre ». J’ai commencé à pleurer, je ne pouvais plus m’arrêter. Personne ne me demandait si ça allait , parce que dans ce genre de profession beaucoup de personnes craquent à un moment ou à un autre. Après ce jour, j'ai su ce que je voulais faire de ma vie : je voulais mourir avec le même sourire sur le visage.

Comment t'es passé de fossoyeur à photographe personnel du Général Banzer pendant sa campagne présidentielle bolivienne, en 1997 ?

Un jour à la radio, j'ai entendu qu'ils cherchaient un photographe pour la mairie de La Paz. J'y suis allé, j'ai montré mes photos et j'ai été engagé. Trois mois plus tard, le MNR a renversé le gouvernement. C’était un coup d’État. On a passé trois jours derrières des barricades, avant que notre parti capitule. On a dû partir sous les coups du MNR. J'étais fauché et désespéré, donc j'ai essayé de récupérer mon ancien job dans une agence de photo. Le patron pensait qu'il avait quelque chose de mieux pour moi. Il m'a ramené chez lui, c'est là que j'ai rencontré ce vieil homme entouré de gardes du corps. Mon patron lui a dit : « Général, laissez-moi vous présenter votre nouveau photographe personnel ». Il m'a regardé et dit : « Bienvenue dans l'équipe, fiston », et il est parti. J'ai demandé à mon patron qui était ce mystérieux « client », et il a répondu avec un immense sourire : « Cet homme, c'est le Général Banzer, et c'est le prochain président de Bolivie ». Je suis devenu son ombre et j'ai rencontré la totalité de son entourage. J'ai appris comment un ancien dictateur pouvait toujours être aimé de son peuple. Ça m'a fait bizarre d'être complètement fauché et du jour au lendemain, faire partie de la garde rapprochée du président. Tout le monde me traitait avec respect et certaines personnes avaient même peur de moi.

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T'as jamais eu peur pour ta vie ? Quand tu preniez ces photos dans la Cochabamda, j'imagine que c'était assez dangereux.

Ces photos ont été prises entre 1997 et 2001. On était toujours très nerveux. J'ai appris à manger de la main gauche pour pouvoir me servir de mon arme avec la droite. On travaillait de 4h à 22h - parfois sans manger - sous la pluie ou sous un soleil de plomb, sous une avalanche de gaz lacrymogène et de pierres. Partout il y avait des pièges, des embuscades, des balles… C'était éreintant.

C'est quoi la chose la plus effrayante qui te soit arrivée quand tu travaillais là-bas ?

Un jour on revenait d’une ronde avec huit hommes, et on est tombé sur des centaines de cocaleros (les planteurs de coca) qui bloquaient la route. C'était terrifiant. Je me suis presque chié dessus. Le sergent est sorti de la camionnette et s'est dirigé droit sur eux. Personne ne sait ce qu'il leur a dit, mais il est revenu et m'a dit de recouvrir mon visage (alors que j'avais de la peinture camouflage sur le visage). J'ai caché mon visage avec mon chapeau et on a roulé très, très doucement. Si quelqu'un m'avait vu et avait dit « Il est de la DEA, il faut le tuer ! », ça aurait été la fin pour moi. Quand on est sorti de là, j'ai immédiatement fumé la moitié d'un paquet de cigarette.

T'y es retourné, par la suite ?

Je suis retourné dans la région des planteurs de coca, le Chapare, avec le président Evo Morales et Hugo Chavez. Là-bas, j'étais tout le temps avec eux. Aujourd’hui quand je me fais embaucher pour un job, je précise toujours que je suis prêt à prendre des photos partout dans le monde, sauf dans cette région.

Quelle est ta photo préférée prise durant cette période ?

Je me souviens de cette photo d'un gosse en train de se foutre le doigt dans le nez. Il me regardait, l'air de rien. J'ai pris cette photo pendant un meeting politique assez animé. Evo Morales s'était rendu dans cette toute petite ville de l’Altiplano où personne ne le connaissait, sauf à travers quelques affiches de campagne. Ce gamin se foutait éperdument de tout ce qu'Evo racontait. Il était là, « j'ai juste envie de me curer le nez à côté de ce photographe étranger. » C'est la bonne attitude, selon moi.