Quel risque hooligan pendant l'Euro 2016 ?
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Quel risque hooligan pendant l'Euro 2016 ?

18 ans après les débordements des hooligans anglais et allemands durant le Mondial 98, à quoi s'attendre pendant l'Euro 2016 ? Elements de réponse avec Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters.

Pendant l'Euro 2016, VICE Sports s'intéressera en priorité aux supporters venus de toute l'Europe pour soutenir leurs équipes nationales. Chants guerriers, fumis et passion parfois débordante, tout ça, ce sera dans notre série Kopland.

Le 10 juin prochain, le coup d'envoi du match France-Roumanie sera aussi le coup d'envoi de l'Euro 2016, première compétition de football de grande envergure en France depuis le Mondial 1998. 2,5 millions de spectateurs sont attendus dans les stades selon un rapport du Centre de droit et d'économie du sport de Limoges publié en 2014.

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En 1998, la venue de plusieurs millions de supporters sur le sol français s'était majoritairement bien passée, sauf dans deux cas. Le 21 juin 1998, en marge du match Allemagne-Yougoslavie à Lens, 400 à 600 hooligans allemands investissent la ville, s'organisant en groupes de quelques personnes. Une bande de quatre hools s'attaque à trois gendarmes isolés. Deux réussiront à s'enfuir, mais le troisième, Daniel Nivel, sera passé à tabac. Il restera infirme à vie après avoir passé six semaines dans le coma. Ses agresseurs ont été jugés et emprisonnés.

Une semaine avant, en marge d'Angleterre-Tunisie, ce sont 200 à 300 supporters anglais qui s'attaquent à des supporters tunisiens puis à la police sur le cours Belsunce et le Vieux-Port. Des supporters marseillais viendront se mêler aux échauffourées qui provoqueront de nombreux dégâts matériels et feront plusieurs dizaines de blessés légers. La police dispersera les belligérants à coup de gaz lacrymogènes et procèdera à une cinquantaine d'interpellations.

Ces deux évènements sont restés, avec les débordements des hooligans parisiens contre des supporters adverses pré-plan Leproux, comme les dernières manifestations largement médiatisées du hooliganisme européen sur le sol français. Ces derniers jours, un des meneurs des hooligans anglais arrêté lors des incidents de Marseille a annoncé vouloir agresser des musulmans à l'occasion du match Angleterre-Russie qui se tiendra dans la cité phocéenne le 11 juin.

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A l'heure d'un Euro 2016 qui verra débarquer des supporters de 23 nationalités différentes, et dans un contexte sécuritaire autour des enceintes de football toujours plus répressif, quels sont les risques de voir le hooliganisme européen de nouveau sévir en France ? Pour en savoir plus, on est allés interroger Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters et professeur agrégé de sciences sociales à l'Ecole Centrale de Lyon.

VICE Sports : Est-ce que vous pourriez rappeler tout d'abord votre définition du hooliganisme et ses nuances, notamment dans ses différences avec le supportérisme ultra ?
Nicolas Hourcade : Il y a une certaine confusion dans l'usage des termes hooligan et hooliganisme. Tout le monde n'en parle pas de la même manière. Les chiffres du hooliganisme publiés par la police ou les médias regroupent les violences entre supporters, les outrages aux policiers, les jets de projectiles, l'allumage de fumigènes, la consommation d'alcool ou de drogues chez des supporters… On rassemble sous le terme de « hooligan » un peu tous les problèmes en lien avec les supporters.

Si on réduit la focale aux violences entre supporters, certains parlent de hooliganisme dès qu'un supporter est violent. En tant que sociologues, nous ne parlons pas de hooliganisme de manière générale, nous nous efforçons de distinguer les types de faits, qui ne sont pas tous de même nature et de même gravité. Ensuite, parmi les supporters violents, nous constatons qu'il y en a qui se définissent comme hooligans et forment des bandes informelles régulièrement violentes envers d'autres supporters ou la police. Et que d'autres se définissent comme ultras. Eux constituent des associations dont l'objectif premier est de soutenir leur équipe et d'animer les tribunes. Mais ils voient le football comme un combat et peuvent user de la violence dans certains cas.

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Le rapport à la violence des hooligans et des ultras n'est pas le même. Si vous discutez avec des hooligans, ils vous diront que c'est la violence qui les motive. Quant aux ultras, d'un côté, ils cherchent à limiter la violence car sinon ils ne sont plus légitimes dans leurs relations avec le club. Mais de l'autre, ils n'arrivent pas à l'écarter complètement car ils craignent de perdre leur radicalité.

Le rapport à la violence des hooligans et des ultras n'est pas le même - Nicolas Hourcade.

Quelles sont les évolutions qui ont été particulièrement observées ces derniers mois dans le hooliganisme européen ?
Globalement, le hooliganisme suit l'évolution des modes de gestion de la sécurité autour des matches de foot. Au départ, dans les années 1970, les incidents avaient lieu dans le stade ou aux abords directs de celui-ci. Et au fur et à mesure, les violences se sont éloignées dans l'espace et dans le temps, à mesure que les autorités sécurisaient les enceintes. Les incidents n'ont plus forcément lieu au moment du match, ils peuvent se passer un jour avant ou un jour après. Au XXIe siècle, les hooligans sont devenus des professionnels de la violence parfois prêts à s'affronter dans des endroits reculés, loin des stades.

Quels pays européens sont les plus touchés ?
Ces bagarres arrangées sont répandues, notamment dans le nord-est du continent, en Pologne, en Russie… Les formes des violences autour du football dans les différents pays dépendent de la sécurisation des stades, de l'ampleur de la passion pour ce sport, du contexte social et politique… À l'origine, dans les années 1970, le hooliganisme est né au nord de l'Europe, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne… Désormais, ses principaux foyers se sont déplacés vers l'Est.

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Est-ce qu'il pourrait y avoir des incidents liés au hooliganisme lors de cet Euro 2016 comme ce fut le cas pendant le Mondial 1998 ?
Oui. A priori, les risques majeurs sont plutôt dans les centres-villes ou sur les trajets. La France est au cœur de l'Europe, donc elle va accueillir des fans venant de tous les pays.

Beaucoup d'Anglais vont se déplacer, la grande majorité de manière pacifique. Mais l'occupation de l'espace par les Anglais, qui se créent des territoires dans la ville en s'accaparant des bars ou des places et en se manifestant bruyamment, peut susciter des tensions avec la population locale, comme ce fut le cas à Marseille en 1998. Seule une petite minorité des fans anglais sont des hooligans, mais de nombreux supporters anglais peuvent être prompts à réagir s'ils s'estiment agressés.

Pour ce qui est des Allemands, le hooliganisme s'est essoufflé là-bas depuis 1998. Mais il n'a jamais complètement disparu, il a d'ailleurs retrouvé un peu de vigueur avec certains groupes qui se sont lancés dans « un combat contre l'islamisation de l'Europe » comme ils le disent. Donc, parmi les supporters allemands, certains auront envie d'en découdre. Mais la masse des supporters allemands sera elle aussi pacifique.

Un manifestant d'un mouvement « anti-islam » à Wuppertal en mars 2015. Crédit : Reuters/Kai Pfaffenbach

Est-ce qu'il y a des matches particulièrement à risques ?
Dans les matches de la phase de poules, Allemagne-Pologne au Stade de France peut être tendu. Les Polonais auront un contingent important de supporters, ils ont acheté beaucoup de places, une partie des hooligans polonais devrait être là. L'accessibilité de Paris et de Saint-Denis peut permettre des déplacements en masse et favoriser les incidents.

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Turquie-Croatie, au Parc des Princes, présente également des risques. La Turquie draine toujours de très nombreux supporters. Et il y a un conflit vif entre les supporters turcs et les hooligans parisiens qui date des deux confrontations entre le PSG et Galatasaray en 1996 et en 2001 (en 2001, le match avait été interrompu au bout de 20 minutes à cause de violences entre supporters, avec une cinquantaine de supporters turcs blessés, N.D.L.R.). Les deux camps se sont déjà provoqués sur les réseaux sociaux.

Angleterre-Russie à Marseille pourrait aussi être problématique. D'abord parce que c'est le retour des Anglais à Marseille depuis les graves incidents de 1998 et ensuite parce qu'il pourrait y avoir un noyau important de hooligans russes.

Les principaux matches à risques sont dans tous les cas déjà ciblés par les policiers français et européens.

Et est-ce qu'il y a des hooligans français qui pourraient se manifester ?
Pour les Français, il y a deux risques sécuritaires majeurs, les hooligans purs et durs d'une part, et les réactions des populations locales à la présence sur leur territoire de supporters étrangers parfois excités, d'autre part. Lors des affrontements entre Anglais et Marseillais en 1998, il y avait des supporters actifs de l'OM mais aussi des habitants de Marseille pas forcément habitués du Vélodrome. Il peut par ailleurs y avoir des mobilisations ponctuelles de hooligans français en fonction des affiches et de leur localisation : le match de la Turquie à Paris ou celui de l'Albanie à Lyon ou d'éventuelles rencontres de la France contre un pays possédant un fort contingent de hooligans…

Des supporters anglais brûlent un drapeau tunisien à Marseille le 15 juin 1998. Crédit : Reuters.

Par ailleurs, l'attitude de la police française sera décisive : il lui faudra savoir faire respecter l'ordre public tout en accueillant correctement les supporters visiteurs et en s'efforçant de ne pas faire dégénérer certaines situations. C'est un challenge difficile qui n'avait pas été complètement réussi en 1998.

Mais ces affrontements potentiels ne se dérouleraient pas aux abords des stades ?
Non, les enceintes et leurs abords seront tellement sécurisés que les risques y sont a priori moindres. Les affrontements risquent plutôt de se situer loin des stades, notamment en centre-ville vers les « fan zones » parce qu'il s'agit de lieux de passages de différentes populations. Leurs accès seront contrôlés mais moins faciles à sécuriser que les stades.

Dans tous les cas, il s'agit du premier Euro à 24 pays dans un contexte de sécurité lié au terrorisme qui n'a encore jamais été vu jusque-là. Ce sera un gros défi sécuritaire.