Au 5ème Disque, la boutique parisienne du plus grand braqueur français

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Au 5ème Disque, la boutique parisienne du plus grand braqueur français

J'ai travaillé pour André Bellaïche, ancien membre du gang des Postiches reconverti dans la vente de DVD.

L'intérieur du 5ème Disque, alors décoré pour l'Euro. Sauf mention contraire, les photos sont de Gabriel Carrère

Pour les étudiants en cinéma de la Sorbonne-Nouvelle, Le 5ème Disque est une boutique que même les enseignants conseillent. Prix cassés, DVD rares, vendeurs pointus, ouverture jusqu'à minuit : tous les éléments sont réunis pour faire du 53 rue Mouffetard, à deux pas de l'Université, un lieu de fouille intensive pour les cinéphiles en tout genre, avant ou après l'Happy-Hour des (nombreux) bars alentour. Et lorsque l'on devient un habitué du quartier, ce qui est largement facilité par le nombre de pintes à trois euros qu'on y sert, on finit par savoir. Un autre habitué ou un serveur vous le soufflera : Le 5ème Disque, c'est la boutique d'André Bellaïche, le visage médiatique du fameux gang des Postiches. Bref, l'un des plus grands braqueurs français de ces cinquante dernières années.

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C'est en tout cas ce qu'on m'a dit en 2011, quand j'y ai déposé un CV dans l'espoir de m'acquitter de mon indécent loyer parisien. André m'a rappelé le jour même, m'a invité à passer à la boutique et posé quelques questions pour tester ma culture cinématographique. J'ai débuté dès le lendemain. André est le genre de type qui va vite, mais qui sait pertinemment où il va. Il ne donne sa confiance qu'après l'analyse qu'il se fera de la réaction de son interlocuteur face à ses affirmations, souvent contradictoires. La clé, c'est de ne pas le suivre. De rester dans sa propre idée, de s'affirmer en tant qu'individu qui ne pliera pas devant l'immensité du personnage. Et ne jamais, jamais, le prendre de haut. On l'imagine 30 ans plus tôt, tester les types avec lesquels il devra dealer son butin, qui doivent lui fournir une nouvelle identité ou qui l'aideront à s'échapper d'une prison italienne en hélicoptère. Quand on a passé des années à placer sa vie entre les mains d'autres personnes, on garde quelques réflexes – même lorsqu'il s'agit d'embaucher un vendeur de DVD.

L'histoire d'André est connue et a déjà été racontée quelques fois, que ce soit dans son autobiographie ( Ma Vie sans postiche) ou dans un film (Le Dernier Gang ) romancé à l'extrême. Né à Tunis en 1950, il arrive à Belleville cinq ans plus tard. Il y formera sa bande et y débutera son œuvre, pour laquelle il effectuera un premier séjour de six mois à la prison de Fresnes à seulement 17 ans. Suivront les braquages, un premier exil et un retour à Paris au début des années 1980, la période des Postiches. En 1984, un braquage sanglant auquel il a toujours nié avoir participé stoppe net l'aventure. Re-exil, re-prison, re-libération. Nous voilà désormais en 1991, André a 41 ans, est enfin libre – il repassera brièvement derrière les barreaux le temps d'une procédure louche qui n'aboutira pas – et pense à son enfant et à sa femme (et actuelle co-gérante) Laurence, qui l'a toujours suivi. Il souhaite s'émanciper – cette fois-ci légalement. Lorsqu'il entend parler d'une boutique de CD mal tenue rue Mouffetard, il saute sur l'occasion, avec succès. Il en ouvrira même d'autres pour les revendre ensuite.

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Aujourd'hui il a deux 5ème Disque – un à Belleville et celui de Mouffetard, de loin le plus important. André m'a donné rendez-vous à 21 heures au restaurant Chez Michel, mais je sais déjà qu'il sera en retard. J'en profite pour me replonger dans l'ambiance de ce 20 mètres carrés bondé et dont le moindre centimètre est savamment exploité. On y trouve toujours une jolie collection de CD, et même quelques vinyles – mais cela fait bien longtemps qu'André a recentré son business sur les DVD et les Blu-Ray. Minutieusement classés par pays et par genre, ce sont surtout les films rares et les chefs-d'œuvre qui sont mis en avant, et c'est là que l'intelligence tactique d'André se révèle encore une fois – quoique dans un style plus normatif que le culot avec lequel il a échappé à une justice française bien décidée à faire de lui un exemple. Mais André était trop fort, trop déterminé, trop malin. Sans doute parce qu'il a toujours travaillé en équipe – et c'est ce qu'il continue de faire avec Le 5ème Disque et ses employés. Il y a par exemple Franck, vieux gaillard un peu usé, qui vend moins qu'il ne supervise et encaisse. De leur côté, les vendeurs sont tous des types comme moi il y a cinq ans – des petites jeunes passionnés de cinéma. André a ainsi instauré un système qui peut paraître un peu brutal aux nouveaux venus, mais qui n'en reste pas moins diablement efficace. L'ancien reste à la caisse pendant que le vendeur attaque. Laissez un client plus de 30 secondes sans lui tomber dessus, et soyez sûr que le téléphone sonnera avec un André plus Bellaïche que jamais au bout du fil, un œil sur sa vidéo de surveillance, vous conseillant grandement de vous bouger le cul sur le champ. Ça m'est arrivé une fois – pas deux.

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Photo de l'auteur

Il est 22 h 15 et le propriétaire du restaurant nous accueille en amis. Le respect qu'inspire André transpire partout. Je n'ai bossé que quelques mois pour lui, et il se souvient pourtant de tout – des bons chiffres que je faisais, du job de ma copine d'alors et de la raison très personnelle de mon départ. Après 66 ans d'une vie folle, je me demande comment il parvient à retenir de telles futilités. Selon lui, manager un commerce d'œuvres culturelles nécessite « une forme de paternité ». Je lui demande un peu plus tard comment vont les affaires : « Aucun problème ». La question est balayée, mais je le crois. « Je vis bien. Les gens continuent d'être attachés à l'objet culturel. Les films qu'ils aiment vraiment, ils veulent pouvoir le toucher, l'exhiber dans leur salon. Internet ou pas, ça, ça ne changera jamais ».

Alors que je termine ma bière offerte par la maison, André me parle de sa relation à la rue Mouffetard, ce « village qui n'a rien à voir avec le Vème arrondissement qui l'encercle », cette ville dans la ville qu'on dit construite sur un cimetière et qui conserve « une image romantique du gangster, ce qui fait qu'on m'a facilement intégré ». Personne ne donne de détails, mais bien des commerçants ou habitués de la rue m'affirment qu'André Bellaïche n'est pas le seul ex-bandit qui s'est refait dans le coin. Le plus connu par contre, sans conteste.

Je mentionne la possibilité d'une session photo. « Bah vas-y, prends là maintenant ta photo ! ». J'ai beau lui dire que je ne suis pas photographe, que mon téléphone n'est pas de toute dernière génération et qu'il fait très sombre chez Michel, il m'assure que non, ça fait de belles images maintenant, « ces machins là ». André reprend son solex – à minuit, il doit être au dépôt pour ramener quelques cartons bourrés de DVD dans sa boutique « pas ordinaire, comme moi. Ne pas être ordinaire, c'est tout ce que j'ai toujours voulu. Quand je faisais le voyou, c'était pour la même raison. L'inconscience en plus. »

Thomas est sur Twitter.