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LE NUMÉRO REPRÉSAILLES

Reviews

Le Très-Haut sait à quel point la ­critique et le journalisme ont eu raison de mes derniers espoirs en l'art, mais il arrive encore, quand tombe le masque du cynisme et qu'il révèle le visage poupin du vieux garçon, que je me réjouisse pour des albums...

THE WEEKND

JOSH T. PEARSON 

OPPONENTS

MIDLAKE

THE WEEKND

House of Balloons

Mixtape

Le Très-Haut sait à quel point la ­critique et le journalisme ont eu raison de mes derniers espoirs en l’art, mais il arrive encore, quand tombe le masque du cynisme et qu’il révèle le visage poupin du vieux garçon, que je me réjouisse pour des albums relativement inconséquents pour peu qu’ils soient une agrégation de ma ­discothèque idéale : celui-ci rassemble justement The-Dream, The Skaters, Cocteau Twins et plein d’autres références qui ­renvoient à l’Internet. J’ai l’impression de revoir ma vie défiler en écoutant cette ­mixtape de TumblR&B canadien, et « The Morning » est d’ores et déjà le morceau que j’ai le plus écouté de 2011. Dans deux mois j’aurai sans doute oublié l’existence de ce groupe – à moins que j’en aie horriblement honte –, mais pour le moment je le mets au Panthéon de l’humanité avec

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Pet Sounds

et le premier Bone Thugs.

JIMMY MORE HELL

J’adore cette clique de jeunes enfoirés d’Oakland qui ont passé tellement de temps à écouter Lil’B durant leurs longues journées à ne rien faire le cul posé devant une Playstation à attendre Zion en Vans Era qu’ils en sont revenus avec un nouveau son de l’ennui adolescent. Ça consiste en de grandes envolées de rap ­mécanique, froid et viril, débité sur des ­mélodies aériennes qui vous enveloppent comme des gants Mapa. C’est du psychédélisme frelaté, rigide et qui vous tire ­dessus pour rien. C’est très bien.

STOMY BALLSY

SNOOP DOGG

Doggumentary

Priority Records

Quelle barbe de devoir chroniquer un disque comme ça. Il va falloir que je concentre tout mon ressentiment non pas sur le principal intéressé (c’est le même album que ses dix derniers, ni mieux ni pire) mais sur la grande majorité de truffes qui composent son public. Et en réalité, même ça, ça me gonfle. Quel intérêt de vanner des innocents qui kiffent un mec devenu un tel sosie déformé de lui-même qu’ils ont l’impression de ne pas se souvenir de lui, mais seulement de ce personnage canin ridicule que les années et la weed ont légué à l’humanité ? Ça reviendrait à vanner la terre entière, la nation rap, mon cousin et… [

intervention inattendue d’Étienne Menu

] – ta gueule Morel, peut-être que c’est toi qui as tort, en fait.

KELLY SLAUGHTER

PUSHA T

Fear of God

Re-Up Gang

Je suis déçu que ce disque ne soit qu’une déception. J’aurais aimé le détester et effacer de ma mémoire le moi adolescent, m’affranchir à jamais du faible lycéen bougon qui a découvert

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Lord Willin

’ en 2003. À l’époque j’étais en première, je menais des luttes inutiles contre pas mal de trucs sur lesquels la plupart des gens n’ont pas d’avis et je n’avais pas le moindre projet d’avenir. C’est toujours le cas aujourd’hui, sauf que j’ai appris à ne rien en avoir à branler et depuis peu, à en faire mon métier.

JIMMY MORE HELL

Ce groupe est tellement bien qu’il me donne envie de me retirer dans une gravure de Jacques Callot et d’y être raillé jusqu’à la fin des temps par des ­satyres déguisés en gargouilles et des violonistes difformes pour avoir pris de beaucoup trop haut les ressources esthétiques du grotesque pendant les vingt-quatre ­premières années de ma vie.

HUBERT MENSCH

TV ON THE RADIO

Nine Types of Light

Interscope

Il paraît que le leader de TV on the Radio est un gros fumeur de joints complètement obsessionnel en studio. Franchement, si c’est pour faire des trucs comme cet album totalement FIP-

ready

, sans le moindre attrait sensuel ­(aucune chair, aucune texture, aucune ambiguïté) mais rempli de moments entre intensité « New Sincerity » et ironie décalo­-ringarde (ça sonne parfois comme du Soul Coughing, pour ceux qui voient), faudrait qu’il arrête de se prendre la tête, une bonne tasse de tisane aux fruits rouges suffirait.

BRANDADE & MONICA

Le directeur artistique peu coulant du magazine où je travaille et dans les locaux duquel j’écris bénévolement cette chronique m’a demandé, quand j’ai lancé ce disque, si je comptais « ouvrir un spa à Copenhague » pour écouter pareille « deep thaïlandaise », et j’avoue que cette évocation du pays du sourire sortait un peu de nulle part : avait-il reçu des soins en institut là-bas, avec une bande son de 2-step local ? Comment les cut-up vocaux si dramatiques et matures de Burial pouvaient-ils lui rappeler les hautes et mélodieuses syllabes thaï ? Je ne sais pas, mais toujours est-il que ce nouveau disque du mystérieux maître du UK blues-step confirme une chose : c’est dur d’être un trentenaire dépressif à Paris, mais au moins on ne passe pas son temps à se remémorer les raves et les soirées garage d’il y a dix, quinze ans.

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DADDY MORILLES

MATTHEWDAVID

Outmind

Brainfeeder

Matthew David McQueen trace avec Speculator, se coupe les cheveux tout seul et a des morceaux disponibles en dubstream sur un site qui se fait lui-même appeler « le laboratoire du dub ». Son album ressemble à une quête ponctuée de siestes dont le but serait un morceau idéal permettant de vider la piste de n’importe quel club tout en obligeant tout le monde à reconnaître que la musique qui passe défonce. C’est l’inverse d’une iPod battle. C’est du son pour les fainéants. C’est un vrai disque de gauche.

SLAVOJ ZIZOU

Si l’intention de ce groupe était de me faire réfléchir à mes problèmes, alors ces mecs sont de loin les plus gros incapables que j’aie jamais connus. Pas un instant je n’ai réussi à autovisualiser tous les manques dont souffre mon existence, les morceaux sont trop courts pour que j’aie le temps de ressentir le poids de l’influence de mes parents sur mes décisions et à aucun moment je n’ai entendu la voix de Thom Yorke. Ça doit plutôt être la musique des gens qui se marrent en buvant des litres de bière pour pouvoir ­danser et ainsi convaincre les filles de révéler leurs zones érogènes. Super drôle, mais je préfère m’indigner sur ma vie nulle en chouinant dans la position du fœtus, désolé !

CE PIPE

TYVEK

Nothing Fits

In The Red

Ne vous avisez pas de porter des jugements sur le son propre du dernier Times New Viking après avoir porté des jugements sur le son sale de l’avant-dernier Times New Viking parce que je déteste les gens qui évaluent « le son » autant que les gens qui évaluent « le songwriting ». On s’en fout. Ce groupe ne dérange personne. Contrairement aux Vikings du temps passé, la seule chose qu’ils aient dévastée, ce sont les rives du sarcasme : ils sont gentils, ce qu’ils font est bien, et leur nouvelle paire de Clarks Desert Boots de la sagesse les habilite à écrire des chansons qui sont autant de conseils avertis comme « Try Harder », « Don’t Go To Liverpool » ou « Fuck Her Tears ».

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ANDRE CUNT-SPONVILLE

Comme Tyvek vient de Detroit, la récession économique ne leur permet de faire que des morceaux de moins de deux minutes avec des paroles inintelligibles et des guitares de sortie d’usine. Ce qui suffit largement, puisque leur sujet est souvent le fait de n’en avoir rien à branler (sauf dans cette chanson à propos de patates). Ah ! Ça y est, j’ai envie de simultanément monter un fanzine et hurler. C’est parfait.

G.W. PABST BLUE RIBBON

Fidèles à leur réputation de passeurs, de tuteurs bienveillants, de grands frères, de types qui t’empêchent de déconner, les mecs de Midlake ont sorti cette double compilation qui comprend une vingtaine de groupes probablement sélectionnés sur des critères de sincérité, d’authenticité et de modestie. Je refuse de commenter les compilations par principe, parce que je refuse de parler de « voyage dans un univers musical », de « pertinence du tracklisting » et encore moins de « curation », parce que j’estime que les seules compilations valables sont ces CD-R couverts de dessins maladroits au crayon de couleur que les mecs indie crapuleux offrent aux rates indie-nerds pour les serrer, et aussi parce que cette démarche est trop associée à l’épopée DJ-Kicks pour être honnête.

KARIM BENZEDRINE

LOW

C’mon

Sub Pop

Avec Cioran et les Converse, Low a fait partie de l’uniforme de toutes ces filles intelligentes, touchantes et drôles mais aussi neurasthéniques et vaguement dépressives que les hypokhâgnes produisent par bataillons entiers. Depuis, Low a abandonné le slowcore gothique et c’est toutes les Daria du monde qui se sentent trahies et devront se consoler en échangeant aphorismes et sarcasmes désespérés avec leur meilleur ami timide et secrètement amoureux d’elles sur un forum indie-rock.

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JULIEN CRACK

FLEET FOXES

Helplessness Blues

Sub Pop

Tiens, encore un membre du collectif d’animaux totems formé par Grizzly Bear et Andrew Bird pour envelopper l’homme blanc de leur molle aura. Et quel esprit protecteur incarne votre petit renard ? La haute teneur en fibres, je suppose. Voilà, vous êtes contents, Fleet Foxes ? Je commence déjà à faire des blagues injustes sur les divinités païennes. Cessez donc de rejeter la responsabilité de votre faiblesse sur votre affinité pour la nature ! La nature est un lieu violent ! Je n’ai jamais entendu un sapin de Douglas se plaindre de quoi que ce soit avec un ton nasal ou un bâton de pluie ou un tambourin ou vos autres instruments nuls. Vous vivez peut-être dans le désarroi depuis que vous êtes à court de thé vert et de transcendance, mais est-ce que ça vous donne le droit de composer des mélodies chorales délicatement dissonantes ? Non. Parce que personne ne veut entendre ça, sauf les gens qui aiment être tristes.

MAURICE BARBÈS

CRYSTAL STILTS

In Love with Oblivion

Slumberland

Dans mon esprit les Crystal Stilts sont un groupe de garage-surf des années soixante qui, une nuit de fin d’été, ont roulé sur l’autoroute du Pacifique si longtemps qu’ils ont dépassé l’heure mélancolique et se sont retrouvés en 2011 au terme d’une errance inexplicable à travers un demi-siècle d’influences musicales. Ils en ont perdu le goût de se forcer à sourire et jouent à présent un doo-wap fatigué qui suggère qu’ils ont certes connu les sombres secrets des astres et de l’océan, mais ­préfèrent quand même boire des bières de plein air en dansotant au ralenti.

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JANE AUSTIN

Pour être honnête, j’ai d’abord pensé dire du mal de cet album de Bill Callahan, que je trouve très inférieur à

Sometimes I Wish We Were an Eagle

. Puis j’ai pensé aux conséquences. Au sentiment de culpabilité qui commençait de m’asphyxier, au doute qui ne tarderait pas de me ronger, aux ponts qu’il me faudrait couper avec mon entourage le plus proche, à leurs regards désapprobateurs et lourds de sens, au poison amer de la trahison, à ce mélange d’effondrement personnel et d’aliénation sociale qui éprouve et épuise la résistance des dissidents. Et j’ai réalisé que ce sentiment de désarroi, cette mauvaise conscience qui culmine dans cette tentative dérisoire de rédemption était exactement ce que j’attendais d’un album de Bill Callahan.

MARCO POLIO

THE KILLS

Blood Pressures

Domino

Je ne sais pas pourquoi je n’arrive pas à retenir que The Kills ne sont pas la marque The Kooples. Peut-être parce que The Kooples vend du prêt-à-porter haut de gamme quoiqu’accessible caractérisé par une esthétique dandy rock de fringues noires et de fines cravates pour couples fusionnels sans enfant qui n’ont jamais cessé de se séduire, par exemple en partageant leurs écharpes et leurs obsessions, ou bien encore en discutant de leur sexualité d’une voix éraillée sur des rythmes élégants et bluesy ­appuyés par des percussions à la production bien léchée. Non, j’ai encore confondu.

MANU CHAOS

PANDA BEAR

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Tomboy

Paw Tracks

Ça faisait au moins deux mois que l’univers gris-beige de l’indie-music n’avait plus entendu parler d’Animal Collective, c’est pourquoi ce nouvel album de Panda Bear vient à point nommé pour nous refaire penser à eux pendant trois ans. C’est reparti pour un océan d’adjectifs qualificatifs et un tsunami radioactif d’enthousiasme incontrôlé de la part des gens affiliés à la même convention collective que moi, des explosions de bonne humeur dans tous les festivals et peut-être même quelques nouveaux mp3 téléchargés légalement par mon père. On dirait que ces mecs ont été fécondés par une insémination artificielle de

Best New Music

.

KELLY SLAUGHTER

THE VACCINES

What Did You Expect from the Vaccines?

Columbia

L’inconvénient du retour à la notation binaire smile/barf, c’est qu’on est obligé de prendre partie et par là de se compromettre sur ce genre de groupe un peu nul mais foncièrement sympa, alors qu’on pouvait jusque-là s’en sortir avec un 4, un 5 ou un 6 et s’en laver les mains. C’est surtout difficile de vanner des mecs qui n’ont l’air de s’intéresser qu’à leur prochain bol de Cheerios, à leur partie de

Sims

en réseau et à la météo des deux prochains jours, et qui ont le regard vide et l’air désarmé sur toutes leurs photos de presse. En fait, plus je les regarde sur Google images et plus je peine à percer le mystère de ce regard aussi neutre qu’une planche d’anatomie. C’est comme quand on observe un chat pendant quelques minutes et qu’on finit par se demander : « Est-ce qu’il sait que c’est un chat ? »

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JULIEN CRACK

HATCHBACK

Zeus and Apollo

Lo Recordings

Ce qui a été bien fait doit être refait, a dit Delacroix, ou Baudelaire, ou un connard imbuvable qui a voulu se la raconter, et quand je vois des gens réussir à aussi bien reproduire (dans l’idée) les premiers disques ambient de Brian Eno, je ne peux que m’incliner. Rien ne peut aussi finement résumer cette mélancolie gris-rose propre à la dialectique de l’obsession bourgeoise du confort et du vide postindustriel. On croit se relaxer, atteindre la sérénité, alors qu’en fait on se délecte de sa propre vacuité : c’est ­l’effroi du rien en

slow motion

extrême.

BRANDADE & MONICA

V/A

Play That Beat Mr. Raja – Selected Oddities from the Tamil Film Industry, 1984-1991

Cartilage

Je ne m’étais jusqu’ici jamais pris de passion pour la pop indienne qu’on entend dans les films de Bollywood car ­bêtement je la jugeais certes déconneuse, mais très vite relou ; aussi me suis-je retrouvé intensément surpris en écoutant cette ­anthologie de sons Kollywood (du nom de l’industrie du cinéma de Calcutta, de langue tamoule) éditée par le label parisien Cartilage. Les morceaux datent de la fin des années quatre-vingt, ça mélange analogique et digital, c’est super

catchy

mélodiquement, il se passe 10 000 trucs par morceau, c’est rocambolesque, mais ça réussit quand même à rester simple et subtil. Les producteurs présents sur le disque, le genre de mecs qui devaient débiter (et qui débitent encore pour certains) des dizaines de compos par mois, ont la bonne idée d’intégrer des ­influences européennes, que ce soit sous forme de reflets François de Roubaisiens, d’arpèges nostalgiques de jeu vidéo ou d’ambiances SF postapocalyptiques, tout en réussissant à éviter le plan relou « trop kitsch ces Hindous qui jouent du synthé ! ». Dépêchez-vous de l’acheter, il n’y a en déjà plus beaucoup – même si un deuxième ­volume est déjà annoncé, pas de panique.

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2 LIVE C.R.O.U.S

JOSH T. PEARSON

Last of the Country Gentlemen

Mute

Je suis probablement le mec le moins violent du monde. J’évite tout affrontement physique. Je sublime ma colère en détruisant des objets, en hurlant sur des tiers innocents et en fixant le Créateur dans les yeux, quand je ne la retourne pas en culpabilité, en haine dirigée contre moi-même (égocentrisme et complexe de supériorité latent non résolu). D’une façon générale, je ne maîtrise aucune situation dans laquelle le langage corporel se substitue au logos (je ne mets jamais les pieds en club) car je possède 0 % de latinité et de sang chaud en moi. Pourtant, ce disque me met dans une rage d’un genre nouveau. Il me fait désirer (pas vouloir, mais bien « désirer ») un déferlement de violence gratuite, une mise à l’amende panoramique, une destruction de mobilier urbain et un autodafé de la pensée humaniste. Ce disque me fait l’effet d’une émeute de banlieue.

MARCO POLIO

OPPONENTS

Together We Will End the Future

Sweatlung

Plutôt dur de mettre des mots sur ces sons venus tout droit des tréfonds galactiques de la haine. Ces gens ont l’air de s’opposer à toutes les valeurs sur lesquelles a été bâtie notre civilisation, et je suis sûr qu’ils sont aussi contre plein d’autres trucs comme le pain ou les Beatles. Ils ont tellement envie d’énerver nos cerveaux conformistes qu’ils ont rajouté des cris de robots mutants anthropophages, des bruits de métal qui explose et des vrilles numériques de nano-atomes en passe d’être ingérés, dissous, recrachés, transformés, vomis. Ce disque est la bande son mentale de mon souvenir du film

Planète hurlante

.

BORED AGAINST