Brûle Babylone, brûle : dans la tête de Mavado Charon, le dessinateur qui mêle fist-fucking et univers post-apocalyptique
Tous les dessins sont de Mavado Charon

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Brûle Babylone, brûle : dans la tête de Mavado Charon, le dessinateur qui mêle fist-fucking et univers post-apocalyptique

On a posé quelques questions à un mystérieux Nantais qui passe son temps à dessiner des phallus et des mecs empalés.

Les univers post-apocalyptiques manquent généralement de baise, c'est un fait. Pourtant, la mise à mort des conventions sociales, de l'État de droit, et de l'éthique de la capote devrait pousser les derniers survivants à copuler, à se mélanger, à passer leur temps nus, le sexe dressé – ou humide. Mais non. À la place, ils préfèrent s'entre-tuer, pleurer leur compagne défunte, leurs enfants terrassés par la pandémie, leur chien dévoré par une horde de morts-vivants à la démarche incertaine. C'est dommage.

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Pour remédier à cet angle mort, un Français a décidé d'adopter une démarche radicale. Au milieu des décapitations et autres sévices, Mavado Charon s'amuse à représenter des dizaines d'hommes bien membrés, tout occupés à s'astiquer, se palucher – voire à s'insérer des bras entiers dans l'anus. Ça fait plusieurs années que ce Nantais publie ses illustrations hard-core dans des magazines gays et indés célèbres. Aujourd'hui, toujours fidèle à son dessin au stylo-bille noir, il revient pour publier ce qu'il nomme lui-même un « livre-monstre ». Pour ce faire, il a mis en place une campagne Kickstarter. On a voulu en savoir plus, et on lui a donc posé quelques questions.

VICE : Salut Mavado Charon. D'où te vient cette passion pour les orgies gays hard-core post-apocalyptiques ?
Mavado Charon : Cela fait maintenant une dizaine d'années que je réalise de tels dessins. Je les faisais d'abord pour les montrer sur mon blog, puis, assez rapidement, j'ai eu des retours très positifs sur mon travail de la part de gens que je ne connaissais pas, et ce aux quatre coins du monde. Billy Miller, le rédacteur en chef de la mythique revue homo Straight to Hell, m'a beaucoup encouragé dès le début. Puis il y a eu Adam Baran, alors rédacteur en chef de Butt Magazine, puis l'équipe de feu la revue pédé Monstre, le photographe d'origine russe Slava Mogutin, le mangaka SM Gengoroh Tagame.

Parallèlement à ces rencontres, qui m'ont encouragé dans cette voie, j'ai commencé à publier dans des graphzines collectifs : Hôpital Brut du Dernier Cri, Tranchée Racine de United Dead Artists, Timeless, etc. Au fil des années, j'ai également eu l'occasion de montrer mes dessins lors d'expositions, en France ou aux États-Unis. J'ai réalisé de nombreux fanzines avec des petites structures basées un peu partout : en Allemagne, en Autriche, en Espagne… jusqu'à la Turquie et au Pérou !

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Peux-tu m'en dire plus sur ton projet actuel de bouquin ?
Comme j'ai toujours eu à cœur de travailler de façon très régulière pour pouvoir mettre au moins un nouveau dessin toutes les semaines sur mon blog, je me suis retrouvé après huit ans de travail – et sans m'en être vraiment rendu compte – à la tête d'une « œuvre » assez conséquente de plusieurs centaines de dessins. Je commence à être assez à l'aise avec le dessin pour envisager de créer des récits, et avant de mettre sur papier les romans graphiques que j'ai en tête, j'ai eu envie de faire quelque chose de tous ces dessins : un gros livre de 250 pages, qui rassemblerait les meilleurs et donnerait à voir les fanzines qui ont été très vite épuisés. J'ai trouvé un imprimeur que le propos de mon travail ne choque pas et j'espère que Kickstarter va me permettre de financer ce projet, qui est une première étape importante pour moi, quelque chose de fondateur.

Comment vas-tu articuler tous ces dessins dans ton livre, s'il se fait ?
Il n'y aura pas de lien explicite entre ces dessins, à part la volonté de construire un univers cohérent par petites touches. J'essaie d'imaginer un monde post-apocalyptique où de petits détails réalistes prennent toute leur importance, et j'essaie de varier le plus possible les décors et les situations : un pavillon de banlieue, une bretelle d'autoroute, une classe d'école… Mes tueurs y évoluent, torturant et assassinant gaiement leurs victimes, baisant sans aucune limite, mais je les représente aussi dans des scènes plus quotidiennes : ils mangent, boivent, dorment, chient…

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Je ne sais pas encore tout à fait comment je vais construire la mise en page de ce livre, mais je pense que je mettrai l'accent sur certains détails, tandis que d'autres seront un peu cachés. Ce sera au lecteur de se balader dans mes dessins et d'y trouver les expressions du visage, les anecdotes, les points d'humour que j'ai dissimulés dans le sang et le porno.

Et d'où te vient l'idée d'associer univers post-apocalyptique et homosexualité ?
Je crois que cette association puise ses racines dans des influences à la fois très profondes chez moi, et en apparence contradictoires. Quand j'étais môme, j'ai pris en plein dans la gueule l'émergence des mangas en France : leur cruauté, leur violence, mais aussi le sens du rythme et la fluidité de leur narration. Il y a notamment eu Ken le Survivant, cette histoire où des gros mastards s'étripent à mains nues en s'enfonçant des doigts dans le corps. Ça a sans doute été la source d'un traumatisme très créatif dans mes jeunes années. C'est également un univers où l'homo-érotisme est latent mais omniprésent, un peu comme dans les films de Bruce Lee ou les concours de body-building. La mise en valeur du corps mâle y est sexuellement très ambiguë, mais dissimulée (et donc acceptable) sous des valeurs « saines » de perfection et de justice.

Au-delà de cette référence aux mangas, je me suis énormément nourri de mes lectures déviantes. Je suis un gros lecteur de textes extrêmes, qui vont aussi loin que l'on puisse aller dans la cruauté, la perversion, la déviance. L'ouvrage fondateur pour moi a été Les Onze Mille Verges de Guillaume Apollinaire, que j'ai sans doute lu beaucoup trop tôt… Depuis, il y a eu les livres de Sade, Bataille, Jean Genet, Pierre Guyotat, Tony Duvert… Je pense que ce n'est pas un hasard si l'homosexualité est souvent au cœur de ces récits, qui déconstruisent patiemment toutes les bienséances, à commencer par l'imagerie romantique de l'amour parfait entre un homme et une femme. Dans le genre, ma claque la plus récente a été le fabuleux roman Hogg de Samuel Delany, qui est capable de retourner les estomacs les mieux accrochés mais qui m'excite beaucoup.

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J'admire également les grands maîtres du dessin pédé : Tom of Finland, Bastille, Tom de Pékin… J'ai toujours été fasciné par toute l'iconographie « gay cuir » : les harnais, les masques, les bracelets à clous, et je crois que j'essaie d'exprimer le potentiel de violence qui se trouve caché derrière ces ustensiles, plutôt inoffensifs. J'imagine mon monde à moi, où les gays S.M. dominent, où les homos baisent sans honte et tuent avec enthousiasme le reste de l'humanité. Je les mets en scène dans des grands dessins à la Jérôme Bosch, où j'essaie de rendre l'horreur la plus jubilatoire possible !

C'est noté. Merci beaucoup !

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