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Sports & Drogue

Dopage dans le sport amateur : « j’avais pris un peu de joues… »

Pour la gloire ou l’estime de soi, les sportifs du dimanche ont massivement recours à des boosters. La France devra-t-elle bientôt mettre en place des contrôles antidopage dans les salles de sport, comme la Belgique vient de le faire ?
Photo : Flickr 

Des scandales de dopage, le grand public ne retient que les affaires cinq étoiles, celles qui impliquent l’élite du sport mondial, ces dieux de l’Olympe nourris aux hormones. Pourtant, piquouze, cachetons et autres boissons « boostantes » ne sont pas réservés à la crème de la crème. C’est même tout le contraire : selon un rapport de l’Académie nationale de médecine publié en 2012, 5 à 15 % des sportifs amateurs se doperaient. Soit plus que dans le très haut niveau (où le dopage touche, tout de même entre 900 000 à 2 700 000 de personnes). Clairement, l’art de la triche n’est pas un raffinement de grands champions, mais bien un sport de masse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Belgique francophone a annoncé en mars dernier la mise en place de contrôles antidopage auprès des simples usagers des salles de sport.

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Dans le marigot du sport amateur, chacun, selon son parcours, son niveau, ses aspirations et ses choix de vie, peut-être tenté de verser dans le dopage, qu’il soit chimique ou… mécanique. Et oui, Cyril Fontaine, cycliste périgourdin de 43 ans, a été rattrapé par la patrouille en octobre 2017 pour avoir dissimulé un petit moteur dans son vélo. Le premier cas de dopage mécanique avéré en France n’a donc pas incriminé un grand champion mais un coureur qui officiait dans la troisième division du cyclisme amateur en Dordogne. Le principal intéressé avait justifié son geste en expliquant qu’il voulait « avoir moins mal » suite à une hernie discale et une sciatique qui le handicapaient. Christophe Bassons, ancien coureur cycliste dégoûté du peloton pro et de ses pratiques sulfureuses, est devenu conseiller interrégional antidopage de Nouvelle Aquitaine. C’est donc lui qui a suivi ce dossier, sur lequel il avance une autre théorie : « Ce gars trichait pour se venger du système de mafia qui régit les courses amateurs. Dans de nombreuses compétitions régionales, les meilleurs coureurs s’arrangent entre eux pour se partager les victoires, les bouquets et les primes qui vont avec. Il voulait doubler ces gens qui lui avaient fait subir une injustice. C’était sa motivation première. »

Si certains trichent pour régler leurs comptes avec leurs rivaux, d’autres y recourent comme une thérapie : plus fort, plus musclé, plus beau et donc mieux dans sa tête - le « syndrome d’Adonis », touche particulièrement les culturistes. Au prix d’une consommation effrénée de stéroïdes anabolisants ou autre « complément alimentaire » bourrés de produits dopants.
« Ils gonflent comme des grenouilles qui voudraient se transformer en bœufs », résume poétiquement Jean-Christophe Seznec qui, en plus de connaître les classiques de La Fontaine, est également psychiatre et médecin du sport. Une double casquette qui lui a permis d’écrire l’ouvrage J’arrête de lutter avec mon corps et de se plonger dans les méandres de la psyché parfois torturée des sportifs : « Ils ne sont pas plus vertueux que la moyenne des gens. Comme tout le monde, ils peuvent avoir tendance à chercher une réponse extérieure à des problèmes intérieurs. Le sport est une sorte d’eldorado qui les fait sortir de cette condition humaine et les rend héros de leur propre vie. Et pour s’assurer d’être bien ce héros, ils se dopent. » Pas forcément pour gagner des millions donc, mais plutôt pour apaiser les angoisses égotiques. Le meilleur exemple étant ces photos inquiétantes qui circulent en masse sur Instagram, où l’on peut voir de jeunes hommes normalement proportionnés, si l’on excepte leurs biceps environ trois fois plus gros que leurs cuisses. Une maladie qui a un nom : la dysmorphophobie.

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« J’avais pris un peu de joues… C’est comme ça que je suis tombé dedans » - Fabien Taillefer, cycliste poursuivi pour dopage avant de passer « pro ».

Dans des proportions moins inquiétantes, l’ancien grand espoir du cyclisme français Fabien Taillefer en est aussi venu au dopage non pas pour améliorer ses performances -il était déjà « dans les meilleurs du monde à 18 ans »- mais pour des raisons purement esthétiques. Dans un monde où le mollet saillant et la veine affirmée constituent des canons indépassables de beauté, lui qui venait de prendre un peu de poids a donc commencé à tricher : « J’avais pris un peu de joues et un peu de gras. C’est comme ça que je suis tombé dedans, explique-t-il neuf ans après les faits. Au début, je ne cherchais pas à améliorer mes performances ou à gagner plus d’argent. La preuve, c’est que la première dose d’EPO que j’ai achetée m’a coûté 800 euros, soit plus que ce que je pouvais gagner dans les trois semaines où elle faisait effet. » De cosmétique, le dopage est peu à peu devenu une « béquille » qui lui permettait de moins s’entraîner et de profiter de la vie. Grillé par les autorités en 2011, Fabien Taillefer a ainsi vu une carrière prometteuse lui passer sous le nez : « C’est là où j’ai fait une connerie, je n’ai pas compris tout de suite que le dopage développait la paresse. J’aurais dû laisser le temps à mon corps de progresser et de se développer. À 20 ans, tu as encore 7 ou 8 années de progression physiologique devant toi. » Aujourd’hui auto-entrepreneur et trentenaire, Fabien est conscient qu’un peu plus de travail et patience lui auraient sûrement permis d’avoir une « autre vie » à laquelle il évite de trop repenser.

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« Les sportifs amateurs de haut niveau sont une population à risques » - Dorian Martinez, fondateur de l’agence de conseil Sport Protect

Si Fabien Taillefer n’avait pas besoin de se doper pour être performant, la plupart des jeunes qui recourent au dopage le font dans l’espoir d’enfin percer. Un choix à l’époque assumé dans l’intimité des amitiés du peloton : « Je connais d’anciens collègues qui dès leurs 18 ans disaient qu’ils voulaient être comme telle ou telle star dont on savait pertinemment qu’elle était dopée, pose Fabien Taillefer. Un de mes coéquipiers en équipe de France m’a dit : "Si j’étais riche, le premier truc que je ferais ce serait d’aller voir un médecin pour me payer un programme de dopage". Ça en dit long sur la mentalité de certains. »

Jeunes prometteurs, amateurs ou semi-pros chevronnés, quel que soit le sport pratiqué, ces sportifs de l’ombre constituent l’armée de réserve du sport-business actuel. Ils forment le gros des troupes, qui se trouve tout près du haut niveau, mais du mauvais côté de la barrière. Pour ces athlètes - rugbymen, cyclistes, footballeurs ou lanceurs de poids - la réussite se joue souvent à quelques centimètres, quelques dixièmes de secondes ou quelques kilos. Alors forcément, arrive parfois un moment charnière : celui où, quand on touche du doigt le rêve d’une vie, on en vient à envisager d’emprunter des chemins de traverse. Un traitement aux corticoïdes pour prendre du muscle, quelques injections d’EPO pour ne plus avoir mal aux jambes, tous les moyens médicinaux sont bons pour gagner ce « petit plus » et décrocher sa place au soleil. Dorian Martinez, fondateur de Sport Protect, une agence de conseil aux sportifs, qui les aide à distinguer médicaments autorisés et illégaux, résume bien l’état d’esprit de ces athlètes : « Ce sont des gens à qui il manque un rien pour sortir de l’antichambre du sport pro. Dans cette zone grise, les appétits sont aiguisés et les espoirs très vifs, c’est pour cela qu’il y a autant voire plus de dopage ici qu’à très haut niveau. Je me souviens notamment de deux joueurs de CFA d’origine africaine qui n’étaient pas assez costauds pour jouer en défense et qui étaient prêts à prendre n’importe quoi pour gagner en muscle parce que, pour eux, c’était le meilleur moyen de mettre leur famille à l’abri. Dans tout sport amateur de haut niveau, on a des cas de tentation. C‘est une population à risques, où la probabilité de passage à l’acte est importante du fait de la proximité du professionnalisme. »

« Dès le plus jeune âge, on fixe aux gamins des objectifs de poids, de taille et de puissance » - Christophe Bassons, conseiller inter-régional antidopage

Parmi ces candidats aux rêves de gloire, les jeunes espoirs sont particulièrement vulnérables. Et donc au recours précoce au dopage, qui s’est notamment répandu dans le rugby, dont Christophe Bassons, connais bien les ressorts, ancrage dans le Sud-ouest oblige : « Dès le plus jeune âge, on fixe aux gamins des objectifs de poids, de taille, de puissance et de masse musculaire. Alors, forcément, ils vont tout faire pour les atteindre, et s’ils ne sont pas taillés pour, l’issue est assez prévisible… » C’est exactement ce qui est arrivé à Rémi Jolivet, ancien pilier aux capacités hors-norme à l’âge de 15 ans : 12 secondes sur 100 mètres et 120 kg de muscles, dont 20 gagnés en un temps record. Un physique de titan obtenu à l’aide de « compléments alimentaires » et autres « brûleurs de graisse » qui ont fini par user son corps avant d’atteindre les terrains du Top 14, comme l'avait dévoilé France 2 dans son enquête. Une « erreur de jeunesse » qui lui a valu une double hernie discale et 5 ans d’arrêt de toute activité physique. Dorian Martinez résume bien le calcul rationnel qui hante tous les candidats à la gloire sportive : « Le ressort psychologique principal est : est-ce que les risques des effets secondaires sont plus élevés que la probabilité de remporter une victoire - et donc de s’aimer ? »

Un engrenage que l’ancien cycliste Romain Chan-Tsin connaît bien. Aujourd’hui coursier dans la région caennaise, il faisait « partie des 10 meilleurs Français » en juniors. Une période charnière dans la construction d’une future carrière : « Quand on voit que le temps passe et qu’on n’arrive pas à passer pro, on est tenté de recourir à des méthodes illégales et dangereuses. C’est ce qui m’est arrivé. Dans ma tête c’était soit ça et j’entretenais mon rêve, soit je retournais à la vie active normale. À mon époque, le dopage était répandu. Je me disais que tout le monde faisait la même chose et que c’était donc logique que j’y recoure aussi. » Un calcul perdant pour Romain Chan-Tsin, condamné à 4 mois avec sursis pour usage de corticoïdes et d’EPO, et qui trouve aujourd’hui une morale lucide à son histoire : « Malgré tout ça, je n’ai jamais été approché par une équipe pro. Je crois que je ne rentrais pas dans le moule de ce qui était attendu d’un jeune coureur. Ça prouve bien qu’au-delà des performances, il faut réunir un certain nombre de critères pour passer du bon côté de la barrière. Et que le dopage ne fait pas tout. »